Le procès opposant Abdoul Mbaye à son ex épouse a finalement été jugé, hier, à la chambre correctionnelle du tribunal de Grande instance de Dakar. L’ancien Premier ministre risque 1 an de prison ferme pour le délit de tentative d’escroquerie. L’affaire est mise en délibéré au 18 mai prochain. Si toutefois cette peine est retenue, il risque de perdre ses droits civils et politiques.
Il est 10 heures. La Chambre criminelle du Tribunal de Grande instance termine de rendre les affaires qui ont été mises en délibéré avant de se pencher sur celles inscrites au rôle du jour. Le procès opposant Abdoul Mbaye, l’ancien Premier ministre, à son ex épouse, Aminata Diack, est appelé à la barre.
Le président du parti Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT) se signale en premier. Vêtu d’un ensemble costume bleu foncé, il se tient droit devant le prétoire, avec une pile de documents dans sa main droite. Il sera suivi de près par son ex épouse, habillée très relaxe. Aminata Diack a déboutonné sa veste noire, lassant ainsi apparaitre son body blanc.
Sa tête est bien nouée par un foulard multicolore qui mariait parfaitement avec ses chaussures.
L’officier d’état civil Adama Thiam, dans son grand boubou blanc, rejoint les ex conjoints à la barre. Ce dernier est le prévenu principal dans cette affaire. Il est poursuivi pour faux et usage de faux dans un acte administratif. Quant à Abdoul Mbaye et Aminata Diack, ils sont tous les deux, à la fois partie civile et prévenu. Ils se reprochent mutuellement du délit de complicité de faux et usage de faux et tentative d’escroquerie.
Après que toutes les parties ont comparu à la barre, le président du tribunal leur notifie les faits pour lesquels ils sont poursuivis. Avant même que ces derniers ne répondent aux questions, les avocats d’Abdoul Mbaye ont demandé la parole pour soulever des exceptions, évoquant la prescription de l’action publique dans un premier temps.
Dans un second temps, ils ont évoqué le sursis à statuer en expliquant qu’une requête d’annulation de la procédure a été déposée le 14 décembre 2016 devant la chambre d’accusation, juridiction qui n’a pas encore rendu la décision. Le juge joint ses exceptions dans le fond. Ainsi, les débats d’audience peuvent commencer.
« C’est la présidente du tribunal départemental qui m’a demandé verbalement de changer l’option du régime », a déclaré Adama Thiam
C’est l’officier d’état civil Adama Thiam qui est appelé à s’expliquer sur le faux constaté dans le document de mariage de l’ex couple. Le 26 mai 1994, il dit avoir reçu, des mains du greffier en chef Hyacinthe Gomis, une ordonnance du tribunal départemental hors classe de Dakar pour la rectification de l’acte de mariage.
« Quand j’ai reçu l’ordonnance, je n’ai fait qu’exécuter la décision du juge. J’ai mentionné dans l’acte que le régime communauté des biens sur lequel le couple Mbaye s’était marié en 1981 a été supprimé et remplacé par le régime de la séparation des biens. J’ai fait 40 ans de service à l’état civil et je n’avais jamais contesté les décisions d’un juge », s’est défendu M. Thiam qui dit avoir constaté des irrégularités dans le dossier mais, il ne les a pas signalées d’autant qu’il ne voulait pas contester une décision déjà rendue par la justice.
A l’en croire, c’est en 2012, suite à l’introduction de la demande de divorce d’Abdoul Mbaye, que la présidente du tribunal départemental l’a appelé pour lui dire de remettre l’ancienne option car, le juge du tribunal départemental n’était pas compétent pour ordonner le changement de ce régime.
« Elle me l’a dit verbalement et j’ai exécuté. C’est ce qui explique les ratures notées dans l’acte », a déclaré le prévenu.
« Vous avez une ordonnance et lorsque vous portez les mentions, vous avez mis jugement. Qu’est- ce qui explique cela », lui demande le maitre des poursuites. Le sieur Thiam rétorque : « c’est une confusion qui se fait toujours à l’état civil ».
Pour ce qui est des modifications portées sur le livret de famille, l’officier d’état civil admet les avoir commises mais ignore celui qui lui a apporté ce document.
« Pendant plus de 30 ans de mariage, je n’ai jamais demandé 1000 F Cfa à mon ex épouse. J’ai assuré exclusivement toutes les dépenses et, après notre divorce, je lui ai offert un chèque de 50 millions »
A la suite de l’officier d’état civil, autour de l’ancien Premier ministre de donner sa version des faits. Revenant sur le changement du régime de communauté de biens initialement signé lors de son mariage au régime de séparation des biens, il a fait savoir que son épouse et lui avaient signé une requête conjointe adressée au tribunal départemental hors classe de Dakar.
« J’ai déposé le dossier que nous avons signé ensemble », a appris Abdoul Mbaye. A la question de savoir si les déclarations de son ex époux sont avérées, la dame de répondre : « il m’a présenté une requête préparée et j’ai adhéré. J’ai signé le document sans me faire des soucis.
Après le changement du régime, il est venu pour me dire que ce que nous avions fait n’était pas bon. » Cependant, ces affirmations d’Aminata Diack ne semblent pas être partagées par Abdoul Mbaye qui les qualifie de « fausses ».
« C’est inexact, elle ne dit pas la vérité », crie presque l’ancien Premier ministre qui précise être sous le régime de la séparation des biens depuis 1994. En outre, il a indiqué qu’il ne s’est pas préoccupé de la liquidation des biens après le prononcé du divorce car son ex épouse considérait qu’ils ne s’étaient pas mariés pour de l’argent.
Poursuivant, il renseigne qu’à l’époque, il avait un bien acquis en crédit et qui est en cours de remboursement. « Donc, chacun a continué à administrer ses propres biens après le divorce », a signalé le leader de l’ACT en précisant qu’il n’a jamais eu l’intention d’escroquer cette dernière.
« Pendant plus de 30 ans de mariage, je n’ai jamais demandé 1000 francs Cfa à Aminata Diack pour faire fonctionner notre ménage malgré qu’elle soit médecin. Durant les plus de 30 ans que nous avons vécus ensemble, j’ai exclusivement assuré la charge de la nourriture, j’ai toujours payé les frais d’études et les voyages de nos enfants. J’ai toujours payé les frais médicaux de madame, ses habits, les voitures qu’elle conduisait, ses voyages et jusqu’à son billet pour le pèlerinage à la Mecque. Et, après notre divorce en 2012, je lui ai offert un chèque de 50 millions de francs Cfa. J’ai même proposé que ma maison qui se trouve à Ngor soit mutée aux noms de nos trois enfants avec comme usufruit Madame Diack. »
« Je ne l’ai pas épousé pour de l’argent. Mais, aujourd’hui nous avons perdu ce que l’argent ne peut pas acheter, c’est la réputation »
Pour sa part, Aminata Diack a fait savoir qu’elle n’avait pas épousé l’ancien Premier ministre pour de l’argent. « Quand il m’a proposé le changement du régime, j’ai trouvé la demande inélégante et les arguments qu’il avait fournis faibles mais, j’avais signé la requête. Nous étions en couple et je lui faisais confiance malgré tout. Je ne savais pas que ce qu’il me demandait était contraire à la loi. Ce qui ce cachait derrière cette requête, c’est son second mariage et les adoptions des enfants qu’il a faites plus tard. J’ai eu le sentiment d’avoir été trompée pendant des années, dès lors qu’il a épousé une seconde épouse. Pourtant, je l’ai épousé dans un contexte très difficile et il le sait très bien », a relaté la dame avant d’ajouter : « Je ne l’ai pas épousé pour de l’argent. Mais, il nous a fait perdre ce que l’argent ne peut plus acheter, c’est la réputation. »
Le témoin Ousseynou Ndiaye, actuel officier d’état civil de l’hôpital principal de Dakar, a enfoncé le prévenu Adama Thiam en mettant à nu les irrégularités qu’il a commises dans l’exercice de ses fonctions.
Le réquisitoire salé du Procureur
Faisant ses réquisitions, le procureur a d’emblée soulevé une exception de la chose relativement à la procédure qui a été intentée à l’encontre d’Aminata Diack. Selon lui, aucun grief ne peut être reconnu contre cette dame du moment qu’une ordonnance définitive a été connue. Il explique qu’Abdoul Mbaye a eu à saisir le doyen des juges avec une plainte dirigée contre son ex épouse. Et, le magistrat instructeur avait rendu une ordonnance de refus d’informer.
Sur ces entrefaites, il a demandé que la dame soit relaxée des délits pour lesquels elle a comparu devant le prétoire.
Concernant les faits qui sont imputés à l’officier d’état civil et au chef de file de l’ACT, le maitre des poursuites estime qu’ils ne souffrent d’aucune contestation.
L’ordonnance dont l’officier d’état civil fait état n’existe pas et personne ne peut attester de la réalité de cette décision. A son avis, c’est une décision qui n’existe pas ni en fait encore moins en droit. De même, le représentant du parquet a fait savoir que le juge du tribunal départemental est incompétent pour le changement d’un régime.
Cette procédure, explique-t-il, relève de la compétence du tribunal régional hors classe de Dakar. Ce qui, d’après lui, n’est pas le cas dans cette affaire.
Pour ce qui est qui du délit de tentative d’escroquerie, il a fait savoir que c’est réel car, Abdoul Mbaye s’est accaparé de tous les biens. Alors que du moment qu’ils se sont mariés sous le régime de la communauté, tous les biens que l’un des époux acquerra sera considéré comme un bien commun.
Après toutes ces observations, le procureur a requis 6 mois assortis de sursis et 50 mille d’amende contre Adama Thiam pour les délits de faux dans un acte administratif. Concernant l’ancien chef du Gouvernement, il a requis 6 mois de prison avec sursis pour le délit de complicité de faux et usage de faux et 2 ans dont 1 an ferme et 600 mille d’amende pour le délit de tentative d’escroquerie.
Aminata Diack réclame un demi-milliard à son ex époux
Les avocats d’Adama Thiam ont plaidé la relaxe pure et simple de leur client en estimant qu’il n’y a pas eu de faux. Ceux d’Abdoul Mbaye ont abondé dans le même sens en demandant sa relaxe sans peine ni dépens.
Quant aux conseils d’Aminata Diack, ils ont réclamé la somme de 500 millions de francs Cfa pour toute cause et préjudice confondus.
Ce procès qui a duré plus de 10 tours d’horloge a été ponctué par des empoignades entre les avocats des différentes parties et parfois entre ceux d’Abdoul Mbaye et le maitre des poursuites. Le juge, à un moment donné, a même eu à évacuer la salle à cause des inconditionnels d’Abdoul Mbaye qui applaudissaient pour soutenir leur mentor. Mais tout est bien qui finit bien, l’affaire a été mise en délibéré jusqu’au 18 mai prochain. Si toutefois cette peine est retenue, il risque de perdre ses droits civils et politiques…