L’OBS – Hier mardi, le tribunal des flagrants délits de Dakar a jugé le policier filmé acceptant 3 mille FCfa de civiles. L’une des filles qui auraient balancé la vidéo sur la toile et lui risquent une peine d’un an dont quatre (4) mois de prison ferme.
C’est une affaire à suivre en «live and direct». Et pour les curieux, pas question d’attendre que ce procès soit diffusé avec un léger décalage. Lire les comptes rendus de journalistes ou écouter le reporter de radio relater les débats d’audience, non plus. L’envie de revoir le policier Assane Diallo et se délecter des moindres minutes de cette affaire les a conduits au Palais de justice de Dakar, hier mardi. La salle était comble, la longue et pénible attente n’ayant ni découragé ni poussé ces «curieux» à rentrer. Des heures durant, ils sont restés stoïques. Patients ! Le temps passe, les dossiers défilent, la fatigue ride les visages, mais la salle ne désemplit point. Se faisant désirer, «l’affaire du jour» n’a pointé le bout du nez que vers 15 heures. Après la pause, Mme le juge, Aïssatou, a, de sa voix berçante, appelé l’affaire numéro «22». Du box des accusés, Diallo, le pas lourd, le geste lent, s’avance à la barre. Crane rasé, le flic lève la tête en direction du juge, avant de systématiquement baisser les yeux. Le regarder, c’est se cogner au masque de tristesse qui couvre ses traits. Ce visage, jadis radieux, n’est plus qu’un amas de cordes tendus menaçant rupture, à la moindre pression. A ses côtés, Sokhna Bousso Guèye, toute dévastée, également. Robe traditionnelle jaune sur un corps menu, elle pleurer comme une madeleine. Ingénieur en Génie civile, la demoiselle de 29 ans est accusée d’avoir, avec sa collègue Aïda Ndiaye, filmé le policier à qui elles ont remis 3 000 FCfa. La vidéo qui a atterri sur le Net, a enflammé la toile, courant juillet. Près d’un mois après ce scandale, le policier et l’ingénieur risquent une peine d’un an, dont 4 mois de prison ferme. Quant à Aïda Ndiaye, Mme Kama, elle n’est pas inquiétée. En voyage, elle n’a pas été traduite.
LE POLICIER : «Je suis humain et je les ai considérées comme mes sœurs… Je regrette»
A la barre, Diallo n’a pas cherché à nier les faits. Après 18 ans de carrière, il reconnaît avoir reçu cette somme des filles. Contrairement à la demoiselle qui, elle, a fait dans les dénégations. Teint clair éclatant qui s’éteint au fur et à meure que les larmes perlent sur son visage émacié, elle confie n’avoir ni filmé ni balancé la vidéo sur le Net. Elle raconte que c’était un vendredi et qu’en compagnie de sa collègue, elles allaient faire des achats. En cours de route, elles ont été arrêtées par le policier qu’elles ont, dit-elle, prié de leur pardonner. Et, «sur un ton taquin, il nous a demandé si nous avions de l’argent. N’en ayant pas sur elle, ma collègue m’a demandé de lui en remettre, si j’en avais. Je lui ai tendu 2 000 FCfa et après marchandage, on lui a remis 3 000 FCfa. A ce moment, je ne savais pas que ma collègue filmait. C’est plus tard qu’elle m’a montré le film. Je n’ai jamais reçu la vidéo et ne l’ai jamais donnée à qui que ce soit. Aïda l’a partagée avec des amis, leur intimant de ne jamais la publier». Mais, le pacte a été rompu. Interrogé, Diallo bat sa coulpe. «Je suis humain et je regrette. La fille était en train de répondre au téléphone. Quand je l’ai arrêtée, elles m’ont supplié de leur pardonner… A un moment donné, c’était devenu familier. Elles se sont adressées à moi sur un ton taquin et je les ai considérées comme des sœurs. Et l’argent, pour moi, a été comme un cadeau», a-t-il débité, la voix à peine audible. Pour ce policier qui n’a jamais été traîné en Conseil de discipline, ces moments étaient insupportables. Jetant parfois des regards en direction de ses proches et collègues venus le soutenir, il refoule toute son amertume et poursuit : «Je ne leur ai pas demandé de l’argent…»
LE PROCUREUR : «J’ai vu des escrocs condamnés par ce tribunal, déclarer avoir diffusé la vidéo.»
Avant le réquisitoire, le Procureur Saliou Ngom a sermonné la fille : «Vous saviez que le comportement de votre amie est répréhensible et vous l’avez aidée. Que vouliez-vous ? Dénoncer ou humilier le policier ? La corruption n’est pas à encourager. Elle existe partout ! C’est à dénoncer. Mais, si vous vouliez dénoncer, il y a des voies et moyens. Pensez-vous que cette vidéo donne une belle image du Sénégal ? Non ! J’ai vu des escrocs condamnés par ce tribunal déclarer avoir diffusé la vidéo.» Seulement, le Procureur qui a requis en faveur d’une réadaptation du policier de 41 ans, a demandé une peine qui risque de le faire radier. La défense a joué serré pour extraire ses clients de l’étau. Mes Abou Abdoul Daff, Sadio Diao, Barro, Ndiaga Dabo, Ousseynou Gaye, Abdou Dialy Kane et Khoureychi Bâ ont estimé que l’accusation doit prouver que l’acte de corruption est antérieur à l’acte ou l’adaptation du policier, le parquet doit prouver que c’est parce qu’il a reçu de l’argent qu’il n’a pas signé la contravention. Me Kane : «Si vous le condamnez, ce monsieur va vous léguer une famille. Il est déjà orphelin. Que vont devenir sa femme et ses quatre enfants ?» Lui succédant, Me Gaye de s’interroger : «L’Etat a-t-il mis en place un processus pour mettre fin à la corruption ? Ne détruisons pas notre Police…» A leur suite, Mes Mamadou Diouf, Malick Fall et Ousseynou Ngom plaideront la relaxe pure et simple pour leur cliente «qui n’a fait que remettre l’argent à sa collègue, par…amitié». Le délibéré, renvoyé au jeudi 18 août 2016, le policier «insulinodépendant» et l’ingénieur sont encore en attente du sort à eux réservé.