Il y a 54 ans, jour pour jour, qu’un exécutif bicéphale (L.S.Senghor, chef de l’État / Mamadou Dia, président du Conseil), institué aux premières heures de notre indépendance, a rapidement enfanté la crise institutionnelle la plus grave que le Sénégal n’ait jamais vécue. Et qui a failli faire basculer le «Pays de la Téranga» dans des lendemains incertains ! Décryptage.
Au lendemain de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, le 04 avril 1960, Mamadou Dia, tout nouveau président du Conseil (Premier ministre) était une des personnifications, au sommet de l’État, d’un système politique hybride; il avait en charge la politique économique, pendant que la politique extérieure était dévolue au Président de la République, Léopold Sedar Senghor. Dia, qui militait pour une rupture radicale d’avec l’ancienne puissance coloniale, concocta un désengagement progressif du Sénégal de l’économie arachidiére. Ce qui desservait les intérêts de l’ancien colonisateur.
Mamadou Dia prôna, dans un discours historique radical, le 8 décembre 1962 à Dakar, axé sur «Les diverses voies africaines du socialisme», le «rejet révolutionnaire des anciennes structures» et une «mutation totale, aux fins de substituer à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement». Cette déclaration motiva des députés à déposer une Motion de censure contre le gouvernement, qu’il dirigeait. Jugeant cette motion irrecevable, Mamadou Dia tenta d’en empêcher son examen par l’Assemblée nationale, préférant que cette tâche fut dévolue au Conseil national de son Parti (Ups). Il fit évacuer manu militari le Parlement, le 17 décembre 1962, et en fit bloquer l’accès par la Gendarmerie.
Mais l’hémicycle fut rapidement dégagé par l’Armée, restée fidèle au président Senghor, pendant que le président de l’Assemblée, Me Lamine Guèye, était « protégé » par une foule de manifestants, venue en bouclier envahir l’Hémicycle. La tentative du Président du Conseil, Mamadou Dia, de démettre le Parlement de ses prérogatives ayant échoué – en dépit de son coup de force, alors qualifié de «tentative de coup d’État» -, la motion de censure fut votée dans l’après-midi au domicile du président de l’Assemblée, Maître Lamine Guèye.
Arrêté le lendemain, avec quatre de ses compagnons (Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall), par un détachement de paras-commandos, le Président du Conseil, Mamadou Dia, fut traduit devant la Haute Cour de justice. Lors de ce procès, qui s’est tenu du 9 au 13 mai 1963, il compta parmi ses avocats Me Robert Badinter (ancien Ministre de la Justice du Gouvernement de François Mitterrand), et un certain… Me Abdoulaye Wade. Mamadou Dia fut lourdement condamné, à la perpétuité. Peine qu’il devra purger dans une enceinte fortifiée à Kédougou, après un courte transition à la Prison de l’Ile de Gorée.
Durant son incarcération, des personnalités occidentales de premier plan et de célèbres intellectuels, dont Jean-Paul Sartre, François Mauriac, René Cassin (Prix Nobel de la Paix), Aimée Césaire et le Pape Jean XXIII, ont demandé sa libération. Mais Senghor resta de marbre. Ce n’est que 12 années plus tard, le 26 Mars 1974, qu’il consentit à le gracier, avant de l’amnistier, en avril 1976, à la faveur de l’institution du multipartisme au Sénégal – alors limité à quatre courants de pensée (Socialiste, Libéral, Marxiste, Conservateur).
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