Après les conférences, les forums (fora), les débats et les ateliers sur le terrorisme, c’est l’orgie de terreurs. Et de quel type de terreur, s’agit-il ? De la terreur ambulante qui a ensanglanté Paris, affolé les Parisiens, désarçonné le gouvernement de la France et, évidemment, interloqué le monde entier. Après la tétanisation des esprits, l’heure est à l’inventaire des terrifiantes leçons d’un terrorisme qui vire à l’hyperterrorisme.
Le format des attentats est particulièrement démentiel. Le champ d’actions est sans bornes. Six lieux d’attaques qui vont du cœur de la capitale au stade de France. Cette guerre en plein Paris est rigoureusement bien planifiée par des stratèges chevronnés et, surtout, doués dans l’art de répandre le feu, ciblé par-ci et aveugle par-là. Il s’y ajoute que le mode opératoire est sans parade. Il est même paralysant. La mine défaite du premier flic de France, le ministre de l’Intérieur Bernard Caseneuve, en dit long sur les écrans de télévision. Paris n’est pas occupée par l’ennemi – comme en 1940 – mais Paris est paniquée par les terroristes.
A juste raison. En effet, les services de sécurité français (renseignement extérieur, contre-espionnage, Préfecture de police de Paris et gendarmerie) ont été impuissants devant un scénario infernal qui rend inopérante toute riposte instantanément efficace. Comment agir, lorsque des étrangers ressemblant à « Monsieur tout-le monde » épaulés par de mauvais citoyens ayant l’air de bons citoyens, font des rodéos en voiture, lâchent des rafales (via la vitre baissée) au hasard dans la foule ? Rien à faire, sauf à vider toutes les casernes du pays et à positionner un soldat dans un intervalle de cinquante mètres. Seul un renseignement de qualité venant à son heure, donc non tardif, peut, en amont, contrecarrer de tels desseins, avant qu’ils ne se transforment en scènes de panique et de pleurs. Voilà pour la dernière facette de la stratégie du terrorisme qui donne du fil à retordre à la France et à ses polices.
A présent, l’anatomie du mal qui fixe un faisceau de lumières sur la redoutable nébuleuse dont l‘évolution est historiquement séquencée et étiquetée. Au plan de la définition (définition vraiment dépouillée), le terrorisme est une orgie de violences par laquelle on veut atteindre des buts sociopolitiques. Les buts peuvent être nobles ou sordides. Et parfois odieux comme le nazisme. Le vocabulaire n’étant pas neutre, une certaine sémantique – arbitrairement adossée à un rapport de forces politiques – a violé le mot, en lui donnant des significations étagées et modifiées dans le temps.Hier, le discours colonial collait aux nationalistes du Vietnam (braves compagnons de route du leader nationaliste Ho Chi Minh) et aux combattants algériens (héroïques camarades du révolutionnaire Ben Bella) l’appellation culpabilisante de hors-la-loi : HLL. Relire les articles de la presse française des années 50. Des hors-la-loi qui sont, aujourd’hui, reçus et décorés à l’Elysée, en tant que dirigeants respectés de leurs pays libérés par la violence. Comme quoi la terminologie est politiquement et historiquement à géométrie variable.
Même chose au Proche-Orient où toutes les organisations constitutives de la Résistance palestinienne (OLP, FPLP, FDPLP et le groupe du fameux Abou Nidal) ont été longtemps qualifiées de « terroristes » par un large spectre des médias du monde. C’était l’époque des détournements des avions de la compagnie aérienne israélienne El Al et de la tragique prise d’otages aux jeux olympiques de Munich, en 1972. Coup de théâtre : les responsables palestiniens arpentent maintenant les couloirs de l’ONU, tandis que la diplomatie sénégalaise reste le fidèle défenseur de leur cause. N’empêche, certains pays et journaux occidentaux falsifient et diabolisent toujours la cause juste du peuple spolié de Palestine. Moralité : les formules consacrées ne sont jamais sacrées, même si elles font florès.
La coupe anatomique du terrorisme révèle aussi une coupure dans la vocation ultime et un basculement sans frein dans la folie meurtrière. Le cahier des charges de l’hyperterrorisme ne renvoie ni à un territoire disputé ni à une cause justifiée. Des Talibans à Bokko – en passant par les djihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant dit Daech, les GIA, AQMI et Ansar Dine – la terreur déployée a un contenu et une perspective éminemment messianiques. Très au-dessus des programmes politiques et par-delà les frontières nationales. De façon ramassée, l’horizon du terrorisme (version apocalyptique) n’est pas le PIB ou le taux de croissance. C’est le Ciel promis aux combattants. Ni plus ni moins. Inédit.
Du coup, la guerre engagée contre ses « auxiliaires ou délégués de Dieu » sur terre, est sans précédent. Voire militairement absurde. Car l’ennemi n’a pas peur de mourir. D’ailleurs, il cherche à mourir pour se retrouver immédiatement dans les jardins du Paradis. Difficile sinon impossible de gagner le combat contre un ennemi aussi drogué de messianisme forcené aux couleurs (je dis bien et strictement aux couleurs) de l’Islam. Pour l’instant, les Etats modernes lui opposent le civisme ardent et la vigilance policière. En revanche, des forces sociales distinctes des l’Etats, développent, en Occident, un messianisme parallèle aux couleurs judéo-chrétiennes dont le pionnier est le célèbre Samuel Huntington, théoricien du fameux choc des civilisations, c’est-à-dire un télescopage de deux croisades (d’Orient et d’Occident) qui n’enchante que les extrémistes des deux camps.
Dans tout ce tumulte rouge de sang et lourd de périls, quelle doit être la posture globalement appropriée du Sénégal ? D’abord, mettre fin aux discours torrentiels sur le terrorisme (notamment les phrases en rafales du Président Macky Sall) qui ont le fâcheux effet de répandre l’électricité dans l’air. Le vacarme est tel que les habitants de Pikine se croiraient au cœur de Kidal ou dans la banlieue de Maiduguri, au nord-est du Nigéria. Ensuite, stopper les gesticulations qui sont habituellement plus spectaculaires que productives. A-t-on besoin d’un commando d’élite d’un corps d’élite pour arrêter deux dames (deux chèvres sans cornes) dans la banlieue ? Une convocation de routine au commissariat du quartier, suivie d’une mise aux arrêts dans le bureau du commissaire, serait un chef d’œuvre de discrétion et d’efficacité. L’essentiel étant de neutraliser ceux ou celles contre qui s’amoncellent des indices sérieux.
Toujours au chapitre des attitudes et des initiatives anti-terroristes, il convient de privilégier les directives silencieuses au détriment des annonces bruyamment détaillées comme l’interdiction du port du voile intégral, en attendant l’immobilisation des voitures aux vitres teintées. Et la chasse aux motocyclistes porteurs de casques – mode d’opération prisé par Bokko Haram – qui, à vive allure, sont encore moins identifiables que les porteuses de burqua. Et que dire ou faire du « Nietti Abdou » qui a plus de capacités logistiques (transport d’explosifs et de grenades) que le voile intégral sans poches ? Bref, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, chef d’orchestre de la lutte anti-terroriste, peut prendre en charge ce dossier. Sans tambours ni trompettes. La guerre contre le terrorisme est souterraine avant d’être à ciel ouvert. Et ce sont les services spéciaux qui en ont quasiment (pas totalement) le monopole.
L’Exécutif – avec le Président de la république en tête – n’est pas hors du champ de bataille. Loin s’en faut. Car sa politique intérieure et ses options diplomatiques placeront le Sénégal dans le collimateur ou l’éloigneront de la ligne de mire du terrorisme. A cet égard, notre implication ou non dans la guerre au Yémen sera décisive dans un sens paisible ou infernal. Pourvu que les leçons de Paris (La France encaisse les contrecoups de sa politique en Syrie) soient bien tirées ! Là où la France avec ses services de sécurité bien ramifiés et grandement dotés en budgets (DGSE, DGSI, DRM et un réseau dense d’ambassades dans le monde) peut être punie et humiliée par les terroristes, il va sans dire que le Sénégal y sera dynamité. Jusque-là, aucune gaffe majeure n’est à signaler. Au Mali, les Diambars sont intégrés à la MINUSMA. Et Dakar n’a pas rejoint la Force multinationale du Bassin du Lac Tchad (le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad qui guerroie contre Bokko Haram.
En un mot comme en mille, notre réponse adéquate à l’apologie du terrorisme demeure normalement l’apologie de la vigilance calme, sereine et sécuritaire. Loin de la frénésie, de l’hystérie, de la psychose et de la paranoïa qui sont de mauvaises conseillères.
source : dakaractu