L’ancienne Première ministre se dit rassurée par les premières décisions en tant que président de la République de Diomaye Faye qu’elle a soutenu dans le cadre de la coalition qui l’a porté au pouvoir le 24 mars dernier. Elles forment, selon elle, «les signes d’une gouvernance différente». «Moins de bling-bling protocolaire, la publication des rapports de contrôle, la ponctualité et l’efficacité exigées aux fonctionnaires, la prise à bras le corps de la question foncière», complète-t-elle.L’ancienne chef du gouvernement s’est confiée sur ce point dans un entretien paru ce vendredi dans L’Observateur et que nous vous proposons ci-dessous en intégralité. Elle y aborde d’autres sujets comme les premières nominations du nouveau chef de l’État, le faible nombre de femmes dans le gouvernement, son absence dans l’attelage dirigé par Ousmane Sonko…Dans cet entretien réalisé via mail, Aminata Touré, ancienne Première ministre et présidente du Mouvement pour l’intégrité, le mérite et l’indépendance (Mimi 2024), analyse les premiers actes de gestion du nouveau pouvoir. Candidate recalée à la Présidentielle 2024 et alliée du Président Bassirou Diomaye Faye, Mimi Touré invite les Sénégalais à être patients.
L’Observateur : Vous avez participé à la victoire de Bassirou Diomaye Faye, comment analysez-vous les actes déjà posés jusque-là ?
Aminata Touré : Il faut d’abord se féliciter du fait que notre démocratie a fini par triompher en dépit de tout se qui s’est passé. Le Sénégal a fait la Une de l’actualité mondiale pendant de longs mois et beaucoup d’amis du Sénégal ont eu peur de nous rejoignions le lot des pays africains instables. Finalement, nous avons tous été fiers que le processus démocratique ait été rétabli et que notre réputation démocratique ait été sauve. Comme un roseau, notre démocratie a plié sous le poids des multiples agressions de Macky Sall mais elle n’a pas rompu. Mais hélas, de jeunes compatriotes ont perdu la vie, une cinquantaine selon des organisations de défense des droits humains. Des centaines de détenus ont injustement souffert des affres de la prison pendant des mois. Et toutes ces personnes méritent justice.
Pour en venir directement à votre question, les actes posés par les nouvelles autorités vont dans le bon sens et nous souhaitons plein succès au Président Bassirou Diomaye Faye et au Premier Ministre Ousmane Sonko. Il faut dire qu’ils ne sont là que depuis exactement un mois et il faut quand même leur donner le temps de s’installer. Mais déjà les signes d’une gouvernance différente se manifestent comme moins de bling-bling protocolaire, la publication des rapports de contrôle, la ponctualité et l’efficacité exigées aux fonctionnaires, la prise à bras le corps de la question foncière. Je les encourage à persévérer dans la voie du changement car c’est le vœu de la grande majorité des sénégalais. A mes compatriotes sénégalais, je dirais aussi, comme pour paraphraser l’autre, nous devons être le changement que nous voulons voir en acceptant de changer de comportements et de mentalités, en respectant davantage les lois et règlements, en privilégiant le travail et en essayant de vivre avec nos moyens car le changement ne se fera pas seulement avec nos dirigeants mais aussi avec tous les secteurs de la Nation afin que le potentiel sénégalais dont on parle tant depuis des décennies se concrétise enfin à travers une productivité accrue, un bien-être partagé dans une société de bienveillance.
• Beaucoup s’attendaient à votre nomination dans le nouveau gouvernement, avez-vous été consultée ? Si oui, que vous a-t-on proposé ? Certains alliés de Pastef ont déjà été récompensés par des postes, pourquoi pas vous ?
Je me suis battue pour notre démocratie et mon combat qui a rejoint celui de très nombreux sénégalais a été récompensé par une belle victoire le 24 mars. C’est la meilleure des récompenses. Je suis une militante depuis l’âge de 14 ans et je ne m’engage pas en pensant au poste à occuper sinon le plus simple était de rester à BBY, accepter un 3ème mandat de Macky Sall et continuer à bénéficier des privilèges du pouvoir, à l’Assemblée nationale ou à un autre poste. Je me suis engagée par conviction dans des moments difficiles et quand les sénégalais nous ont donné raison contre le troisième mandat, contre le report de l’élection à dix heures de l’ouverture de la campagne électorale, la satisfaction a été grande. De plus, je pense qu’il est important d’avoir de nouvelles personnalités dans le nouveau gouvernement qui viendront avec une nouvelle énergie et de nouvelles idées. Nous ne sommes là que depuis quatre semaines et nous avons une grande coalition avec des talents multiples qui, je suis sûre, apporteront leurs contributions à différents niveaux de l’Etat.
• Les premières nominations effectuées ont suscité une certaine polémique, rappelant l’appel à candidatures promis, quel est votre avis ?
Dans un monde idéal, l’appel à candidature serait l’idéal mais laissez-moi vous dire qu’à l’heure où on se parle le portefeuille de l’Etat du Sénégal est ainsi composé : vingt (20) sociétés nationales, vingt(20) sociétés à participation publique majoritaires, vingt quatre (24) sociétés publiques minoritaires, quinze (15) établissements publics à caractère industrie et commercial, trois (3) établissements publics à caractère scientifique et technologique, quinze (15) établissements publics à caractère administratif, un (01) établissement public de formation professionnelle et technique, sept (07) Centre des Œuvres universitaires et sociales, quarante-six (46) agences d’exécutions et de structures administratives similaires ou assimilées, trente-neuf (39) établissements publics de Santé et quatre (4) établissements à caractère spéciale. Soit 188 postes de directions d’agence à pourvoir ! Si on voulait faire passer tous ces postes par appel à candidature dans les règles de l’art dans 2 ans on n’aurait pas fini l’exercice de recrutement, sans compter les directions générales des ministères. Or il y’a urgence à prendre en charge des besoins de sénégalais qui sont fatigués à l’extrême.
• N’est-on pas entrain de faire face à la réalité, loin des promesses électorales ?
Non, s’éloigner des promesses électorales serait de faire du népotisme, nommer des parents, amis ou militants incompétents. Il a fallu faire preuve de pragmatisme pour remettre rapidement le pays au travail. Certains postes pourraient être mis en appel à candidature, mais mettre TOUS les postes de directions d’agence et de ministères, plus de 300 postes à candidature, ce n’est ni réaliste ni réalisable à cette étape de notre pays où il faut urgemment prendre en charge la campagne agricole qui pointe son nez, le spectre des inondations, la jeunesse qui attend impatiemment, etc. Le plus important et je pense que c’est le cas, c’est de nommer des cadres dont la compétence ne souffre d’aucun doute.
• Après les premières nominations, d’aucuns parlent déjà de partage du gâteau, est-ce là le signe de la rupture systémique promise ?
Au USA, on parle de l’Administration Biden, de l’Administration Obama ou de l’Administration Trump, cela veut tout simplement dire que quand un président part, il part avec ses collaborateurs qui mettaient en œuvre sa vision et le nouveau président qui arrive arrive avec ses nouveaux collaborateurs. Les deux présidents désignent chacun une équipe de transition et les deux équipes font la passation des dossiers entre le mois de l’élection, novembre et le mois de janvier, mois de l’investiture du nouveau président. Les USA c’est quand même un pays démocratique. Lorsqu’on gagne, on gouverne avec ses compagnons de combat, chacun à son niveau de compétence et d’expertise car ces compagnons sont les plus aptes à mettre en œuvre votre mission et méritent d’être mis aux commandes pour réaliser le changement pour lequel ils se sont battus. Encore une fois chacun à son niveau de compétence et d’expertise. Ce n’est pas un partage du gâteau mais un partage de responsabilités entre personnes qui partagent une même vision. Vous connaissez un pays où une coalition gagne et ce sont d’autres qui dirigent ? Le plus important c’est de mettre des personnes compétentes et honnêtes.
Il y’a peu de femmes dans le gouvernement et les nominations de directeurs généraux, cela ne vous choque pas ?
Il va falloir effectivement que l’on fasse plus et mieux car il y’a suffisamment de femmes compétentes et engagées dans le pays. J’invite aussi les femmes intellectuelles à s’engager davantage en politique car, comme je l’ai dit plus haut, on gouverne avec ses compagnons de combat. En tout état de cause, je souhaite voir beaucoup plus de femmes dans les prochaines nominations en tant que militante de la parité.
• L’attente de la réduction des prix des denrées et du loyer se fait longue. Pensez-vous que ce soit facile ?
Loin s’en faut ! l’essentiel de notre inflation est importé puisque nous importons presque tout ce que nous consommons donc nous ne contrôlons pas les prix fixés par les pays qui fabriquent les produits que nous choisissons de consommer. Pour baisser les prix dans l’immédiat, il faudrait subventionner les prix ; pour cela, il faudrait trouver des niches d’économies dans le budget. Donc les mesures de réductions du train de vie de l’Etat, telles que amorcées, sont à saluer et encourager. Ce n’est pas un exercice simple face au urgences multiples dans tous les secteurs du pays. Il va falloir que nous soyons résilients et j’appelle nos concitoyens qui ont massivement voté pour le changement à accorder leur patience à la nouvelle équipe qui, comme je l’ai dit, n’est là que depuis 4 semaines.
• Avec la conjoncture économique mondiale et la tension financière au Sénégal, est-ce qu’il sera possible d’agir sur les prix des denrées ?
Je pense que le Président et le Premier ministre ont fait de la question de la réduction du coût des denrées une super-priorité et ils y travaillent. Il ne s’agit pas de faire des annonces politiciennes et de ne pas pouvoir tenir après deux ou trois mois ; c’est pour cela qu’il faut leur laisser le temps de trouver des solutions pérennes. Heureusement que nous ne sommes pas loin de nos premières productions de pétrole et de gaz et qu’avec une bonne gouvernance de nos ressources les sénégalais, les jeunes en particuliers, verront les retombées bientôt.
• La publication des rapports 2023 de la Cour des comptes et de l’Ofnac a révélé beaucoup de cafards de l’ancien régime, pensez-vous qu’une suite sera réservée à ces rapports ?
Ma réponse sur cette question est invariable : l’impunité en matière de mauvaise gouvernance doit définitivement prendre fin. Je pense qu’en toute sérénité, les lois et règlements en la matière doivent suivre leur cours normal. Que ceux qui ont pris l’argent public rendent compte comme c’est le cas dans tous les pays qui fonctionnent normalement. Je suis pour un audit annuel de tous les organes qui utilisent l’agent public. Ces audits accompagneraient la loi de règlement soumise chaque année par le ministère des Finances à l’Assemblée nationale, loi qui présente la manière dont les budgets votés l’année précédente ont été exécutés.
• L’avocat Me Ciré Clédor Ly a évoqué la possibilité d’accuser le président Macky Sall de haute trahison, qu’en pensez-vous, sachant que vous avez travaillé avec lui durant près de 10 ans ?
Je dois dire que j’ai été choquée par les tous derniers actes du Président Macky Sall qui dans les tous derniers jours de son mandat a tenu à engager financièrement notre pays à hauteur de centaines de milliards et en signant des décrets tout azimut. On ne fait pas cela à un pays qui vous a tout donné !
• Le problème de la cohabitation à l’Assemblée nationale est également agité, Pastef n’ayant pas la majorité, à votre avis comment le pouvoir devrait agir ?
Le pouvoir va présenter des projets utiles aux sénégalais et les députés qui ne sont pas des députés de Macky Sall mais des députés du Peuple sénégalais devraient voter les lois qui vont impacter favorablement nos compatriotes. En tout cas, c’est ce que je leur recommande de faire. Macky Sall est parti s’installer au Maroc, nous vivons ensemble au Sénégal et nous nous préoccupons tous ensemble du sort de nos compatriotes d’ici et de la diaspora quelque soient nos obédiences politiques respectives.
• Quelle relation entretenez-vous avec le Président et le Premier ministre ? Est-ce qu’ils vous consultent sur certains sujets ?
Nous entretenons de très bonnes relations ; nous nous sommes battus ensembles, nous avons gagné ensemble et nous souhaitons un succès jamais égalé à notre régime afin que toute l’espérance populaire se réalise au niveau de tous les segments de la Nation, tout particulièrement au niveau des jeunes, des femmes et des couches les plus vulnérables de notre pays.
• Comment voyez-vous votre avenir politique ? Allez-vous rester aux côtés de Pastef ou faire cavalier seul ?
Nous sommes dans notre grande coalition et nous souhaitons que la dynamique unitaire qui nous a porté au pouvoir se renforce et même s’élargisse afin que nous travaillons ensemble à réaliser nos promesses faites aux sénégalais.