Le président chinois, Xi Jinping, dans le cadre de la coopération sino-sénégalaise, sera à Dakar dans quelques heures. Xi Jinping travaillera avec sa représentation diplomatique au Sénégal, rencontrera les officiels sénégalais et travaillera à Dakar et certainement des grandes entreprises chinoises opérant à Dakar. Ceux qu’il ne rencontrera pas peut-être, ce sont ses compatriotes du petit commerce, spécialisés dans la vente de pacotilles, -principalement des vêtements- et qui ont pris d’assaut le mythique quartier bourgeois de l’air Senghor dénommé «Allés du Centenaire», le long du Boulevard général de Gaule. Mais ils sont bien là. Bienvenu au China Town de Dakar. Un grand reportage de Ibrahima DIENG.
Aménagées en 1957 pour commémorer les cent ans de la ville de Dakar (d’où sa dénomination «Allées du centenaire »), ce quartier, jadis réservé à la bourgeoisie dakaroise, est devenu depuis les années 2000, le «Chinatown» du Sénégal. La forte implantation des Chinois a transformé le site en un hub commercial incontournable et quasiment la seconde plaque tournante du commerce informel après Sandaga. Les boutiques chinoises jalonnent le long de l’avenue, les marchands ambulants et les marchands tabliers occupent çà et là les moindres coins et recoins de l’avenue. Cette occupation de l’espace attisait une grande frustration de la population riveraine. Mais au fil du temps, l’agacement des riverains et la méfiance des Chinois se sont peu à peu dissipés. La cohabitation semble apaisée et pacifique entre les deux communautés.
L’atmosphère d’anarchie au quartier du Centenaire a créé une grande frustration à l’égard des habitants. Ceux-ci n’en pouvaient plus d’être confrontés à un vacarme incessant ; source de tension entre et leurs voisins commerçants chinois à qui ils ont délibérément loués, pour la plupart, leurs maisons à prix d’or.
« L’allée n’est pas faite pour être un marché », déclare Mamadou Lamine Diagne, habitant du quartier, la quarantaine. « Notre problème ce n’est pas les ambulants, mais les magasins. Car ce sont eux qui drainent les marchands ambulants, ce qui favorise l’encombrement. Avant on pouvait apercevoir le rond-point 25, mais maintenant du fait de l’activité commerciale, le quartier est bouillonnant. On n’a plus d’intimité », dit-il.
En 2013, la décision du maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall de déguerpir les commerçants installés sur la chaussée a été accueillie comme une bouffée d’oxygène par la population riveraine. Depuis lors, « Les allées du centenaires » sont devenues plus dégagées et plus attrayantes qu’avant. Ainsi, la cohabitation entre population riveraine et commerçants chinois en particulier est de moins en moins conflictuelle.
Les Chinois, nos voisins ingérables ?
«Avant, il y avait des tensions et conflits entre les Chinois et les riverains. Vous savez, les Chinois sont indisciplinés. Ils se saoulent, font du tapage, et leurs femmes sont vraiment indécentes dans leur habillement », dénonce un riverain sous couvert d’anonymat.
Après tant d’années passées au Sénégal, les commerçants chinois anciennement installés, au début des années 2000, se sont plus ou moins intégrés à la population sénégalaise. « La majeure partie d’entre eux ne traîne pas dans les rues. Après leurs heures de travail, ils rentrent directement chez eux », constate pour sa part Modou Dia.
Cependant, dans les magasins ou sur le trottoir on peut apercevoir des enfants de moins de trois ans jouer avec leurs pères ou mères. Il s’agit de la deuxième génération de Chinois installée au Sénégal ; celle qui est née au pays de la téaranga.
« Ils sont bien intégrés dans le quartier. Ils mangent nos plats et vont à nos cérémonies. Un de mes amis Tapha, s’est même marié avec une Chinoise. Beaucoup d’entre eux sont musulmans. Certains vont à la mosquée lors de la prière du vendredi. Et durant le Ramadan certains jeunent également », raconte Ablaye Kane marchant tablier. Il y a quelques années ce témoignage serait invraisemblable. En effet, on avait souvent reproché aux Chinois leur manque d’ouverture envers la population locale, leur comportement très réservé, égoïste et individualiste. Il semble avoir compris la nécessité de s’intégrer pour leur propre intérêt.
Aujourd’hui, la bonne cohabitation entre Sénégalais et Chinois fait presque l’unanimité dans le voisinage. « J’ai un voisin Chinois qui habite dans le quartier d’en face, son jeune garçon joue avec le mien, il n’y a pas de problème de cohabitation entre nous », explique Mamadou Lamine Diagne.
Quand les Chinois s’approprient le wolof
Un argument conforté par une jeune commerçante chinoise, la vingtaine. S’exprimant en wolof, le sourire aux lèvres, Amina la Chinois confie que ses compatriotes n’ont que de bonnes relations avec la population sénégalaise. « Les Sénégalais n’ont pas de problème et le Sénégal est un pays calme », dit-elle dans un wolof assez marqué d’un accent chinois.
L’intégration des Chinois dans les quartiers du Centenaire est surtout marquée par leur occupation de la majeure partie des maisons faisant face à l’avenue. «Les Chinois sont très malins et ils s’adaptent très vite. La majeure partie des maisons occupées est transformée en dépôt de marchandises. Certains d’entre eux ne vendent plus dans les boutiques. Ils se chargent d’importer les marchandises de Chine et de laisser les Sénégalais vendre dans les magasins », confie un riverain du quartier.
Ainsi, locataire à leur arrivée, certains commerçants chinois sont passés à propriétaire. Un changement qui ne semble pas déplaire les propriétaires qui souhaitaient vendre ou louer leur demeure. « Beaucoup de maisons ont été achetées ou louées par les Chinois. Les bailleurs disent que les Chinois sont de bons payeurs. Une maison qui doit être normalement louée à 200.000 F Cfa, le Chinois peut le prendre sans broncher à 600.000 F Cfa. En plus, il paye l’avance cash », révèle Mamadou Lamine Diagne.
Cette arnaque des bailleurs…du moins, ce business du logement ne semble nullement gêner les Chinois. Sans doute, considèrent-ils le coût du loyer abordable ou peut-être sont-ils préoccupés par des choses plus importantes à leurs yeux : le retour sur investissment… « Nous n’avons aucun problème avec le coût du loyer. Notre seul souci, c’est la sécurité. Nous voulons que la sécurité soit renforcée », plaide Amina Chinois.
Durant leurs premières années au Sénégal, les commerçants chinois étaient fréquemment victimes d’insécurité : vols, agressions et autres actes de délinquance ne laissaient personne à l’abri. Mais ils sont dû casquer, mettre la maison à la poche que soit résolue cette équation. « Au début, c’était dur pour eux. Ils étaient confrontés à des agresseurs, et des voleurs ; mais maintenant, ils engagent des gens pour surveiller leurs magasins », explique Ablaye Kane.
Le Sénégal montre l’exemple de son ouverture et son esprit de tolérance à l’égard des ressortissants étrangers. La présence des commerçants Chinois qui au début des années 2000 a suscité d’une part la colère des commerçants de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois) et d’autres part la frustration des populations riveraines des Allées du centenaire, ne semble plus être un problème. La cohabitation est aujourd’hui harmonieuse entre voisins chinois et sénégalais.