A 42 ans, Aliou Sow est, de toute sa génération, celui qui a le plus capitalisé d’acquis politiques. Ancien leader des Jeunesses libérales du Parti démocratique sénégalais (Pds), ancien député, ancien ministre, le garçon est détenteur d’un profil politique unique, symbole d’un engagement de jeunesse qui n’a jamais souffert de grands reniements. Journaliste de formation, aujourd’hui enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop, le Président du Mouvement des patriotes pour le développement (Mpd/Liggeey) demeure un acteur majeur du jeu politique. Même si ses pourfendeurs le lui dénient et que ses activités professionnelles l’éloignement de plus en plus du champ.
Rencontré à son domicile, à Sicap-Foire (Dakar), le Président de la Commission spéciale No.1 des Études, de la Planification et du Suivi de l’Evaluation des Politiques de Décentralisation, du Développement et d’Aménagement du Territoire du Hcct, a accepté de deviser avec «L’Obs». Un entretien de presque une heure au cours duquel, le jeune rural, échappé de Ndiognick, confie politique et amour. Un succulent mélange de grandes réussites et de gros échecs, résumé d’une vie de boy toujours lesté de grandes ambitions.
- le ministre, vous êtes chef de parti et Président de la Commission spéciale des Études, de la Planification et du Suivi de l’Evaluation des Politiques de Décentralisation, du Développement et d’Aménagement du Territoire au Hcct. Deux casquettes qui vous donnent droit à la parole, mais on ne vous entend presque jamais. Pourquoi ?
On m’entend de plus en plus rarement depuis un an. C’est un choix politique personnel. C’est un choix de vie car à un moment de sa vie, il est opportun de savoir observer une pause, apprendre la réalité, scruter l’horizon, se calmer et ne pas hurler avec les loups, se jeter dans la confusion générale, si vraiment on est animé par une ambition à laquelle on croit réellement, si on ne fait pas du bluff et si on croit en l’avenir, en sa belle étoile et en sa projection. Il faut savoir se détacher du jeu et observer, voir comment réintégrer et sur quelle base. Je suis quelqu’un qui évalue son action et son parcours. J’accepte de faire mon autocritique et de rectifier au besoin. Et c’est pour ces raisons que j’avais décidé de me détacher du jeu pendant un moment. Mais dans les toutes prochaines semaines, je reprendrai pleinement, activement toutes mes activités politiques et académiques.
N’est-ce pas un peu égoïste pour quelqu’un qui a eu de hautes fonctions dans ce pays et qui devrait avoir une posture de guide politique pour les plus jeunes ?
Faire du bruit ne signifie pas agir positivement et utilement. En tant que membre du Haut conseil, nous avons adopté une posture de sage. Ce n’est pas un travail politicien. C’est une institution qui a vocation à apporter des conseils, donner des avis et formuler des recommandations au Président de la République dans divers secteurs de la vie qui sont liés au développement local, à la décentralisation et à l’aménagement du territoire. Ce que je dois dire publiquement, j’ai l’occasion de pouvoir le consigner sur papier et dans le cadre formel, le faire parvenir par la voie de notre Institution et son président, à qui de droit. Par ailleurs, je ne vois pas meilleur cadre que l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il y a 85000 étudiants, porteurs d’avenir et d’espoir à que vous avez l’occasion de parler régulièrement, transmettre des connaissances à des milliers d’étudiants par semaine et partager avec ces derniers connaissances, lectures, parcours de la vie et vision d’avenir. L’enseignement, ce n’est pas uniquement transmettre les connaissances académiques, c’est aussi savoir influer positivement sur la perception, la démarche et le comportement de ces jeunes Sénégalais. Pour le reste, je passe tout mon temps à voyager à l’étranger dans le cadre de mes activités de consultance. Lesquelles consultances sont les résultats de ma formation, de mes expériences politiques et étatiques au Sénégal. Par conséquent, il n’y a pas meilleure façon de célébrer son pays que de partager son expérience et ses connaissances au niveau international. C’est aussi une reconnaissance des ressources humaines de qualité au Sénégal. J’ai dépassé la quarantaine, qui est l’âge du début de la sagesse, où même nos péchés sont moins tolérés. A 40 ans, on doit éviter les erreurs, les comportements négatifs, les positions décousues ou les discours irresponsables. En dépit de mon jeune âge, je me veux un homme qui adopte une posture responsable, par ses paroles et ses fréquentations. Je milite davantage dans ce qui va dans le sens du consensus. Le décès de ma mère a fait naître en moi un nouvel homme. L’élan d’amitié, de solidarité manifestée par toute la classe politique sénégalaise, est allé au-delà de la symbolique politicienne et politique. Certains ont partagé de la meilleure des manières cette détresse, ce malheur que j’ai vécu. Je ne peux plus me permettre de traiter ces gens comme de simples adversaires par le discours et le comportement. De ces situations est né un Aliou Sow qui se veut consensuel et davantage respectueux du droit d’aînesse et des relatons humaines.
Mais quand on a un parti politique et des ambitions, on a le devoir de s’exprimer sur la vie politique et économique du pays. D’ailleurs, au Sénégal, on est habitué à voir des chefs de parti présents sur le terrain et qui vont à des élections. Mpd/Liggey était absent des dernières Législatives… ?
Nous avons analysé les dernières élections législatives et nous avons retenu que ces élections étaient parties pour être le cimetière de beaucoup d’hommes et d’ambitions politiques. L’histoire nous a donné raison. Pourquoi aller à des élections pour récolter un député avec «les plus fort restes» ? Qu’est-ce que cela va changer ?
Mais ils ont eu le courage d’y aller…
Ce n’est pas une question de courage. Avoir le courage d’aller récolter des miettes, de constater qu’on s’est trompé… (il ne termine pas sa phrase). Il faut savoir préparer un combat et savoir scruter les signes précurseurs de son heure qui sonne. Si on pense qu’on a une mission, on prépare la mission et le moment venu, on fonce, on se donne les moyens de réaliser cette mission-là, on rate, on recommence en tirant les leçons de ses erreurs pour que la réédition soit la bonne, la victorieuse. Moi, j’ai participé à des élections pour les remporter, avoir les instruments de bonne gouvernance et non participer pour se faire connaître. Je suis déjà connu sur ce point-là. En tant que membre du gouvernement, je peux aller dans n’importe quelle contrée du pays et montrer une action menée et une présence réelle. Des édifices visibles dont la première pierre a été posée par nos soins, inaugurée avec notre nom. Moi, quand je fais le tour du Sénégal, ce n’est pas pour me faire remarquer ou me faire saluer. Quand je le fais, c’est pour pouvoir mettre en œuvre une vision. Je réclame le droit à la différence, à l’approche originale et à la particularité, mais pas dans cette dynamique de chanson connue de pouvoir ou anti pouvoir. Mon combat ce n’est pas de faire tomber quelqu’un. C’est d’avoir les moyens, un jour, d’avoir des ambitions pour ce pays. J’ai côtoyé la souffrance des populations et j’ai envie, un jour, de mettre à contribution cette expérience, de choisir des hommes et des femmes avec qui cheminer et dont la moralité, la compétence et le talent ne souffrent aucune contestation. Si cela ne doit jamais se réaliser, parce que c’est la volonté divine, j’aurais eu le mérite d’avoir tenté et la patience et l’approche consensuelle me permettant d’oublier que je fus un jeune fougueux, un jeune porte-flingue, mais j’ai grandi.
Ne serait-ce pas un gâchis…
(Il enchaîne) Sous peu de temps, on tranchera cette question en nous alignant de façon claire, active, dynamique avec une présence réelle sur le terrain, dans les medias, dans un camp. Nous sommes à quelques mois de l’élection présidentielle et je suis convaincu que ma génération sonnera pour d’autres élections.
Qu’est-ce que vous comptez faire ?
Pour les élections à venir, je jouerai un rôle particulièrement dynamique, dans une coalition pour participer à mettre en œuvre une partie de mes convictions pour que cette coalition triomphe en 2019, en attendant que mon heure sonne.
Cette coalition que vous comptez intégrer, est-elle du pouvoir ou de l’opposition ?
J’ai accepté une nomination du chef de l’Etat au Hcct. Il m’a invité à participer à la mise en œuvre de sa vision présidentielle dans un domaine où j’ai capitalisé de l’expérience. Je commence à être co-responsable de sa gestion. J’ai accepté un décret nominatif signé par lui-même. J’apprécie beaucoup d’actions qu’il est en train de mener, même si sur bien des secteurs, je ne partage pas la démarche, tant du point de vue symbolique que de la démarche. Est-il aujourd’hui cohérent que je sois dans une institution, nommé par le chef de l’Etat et que j’agisse dans un groupe qui a pour ambition de faire tomber ce pouvoir et son œuvre ? Cela n’a pas de sens.
Mais on a vu dans ce pays des leaders politiques participer à un gouvernement d’union nationale et à la veille des élections, poser leur propre candidature ?
Ce n’est pas une belle façon de procéder. Pour ce cas-ci (Hcct, Ndlr), j’ai été choisi parce qu’ayant une compétence. Ce n’est pas le poste qui m’intéresse. C’est le plus petit poste que j’ai eu à occuper sur le plan de l’ordre de protocolaire dans mon parcours. C’est un homme qui est arrivé au pouvoir, sans ma contribution ni ma voix. Mon combat aurait réussi si c’est Wade qui était au pouvoir aujourd’hui et non Macky Sall. En dépit de tout cela, il a fait appel à moi, en me manifestant sa confiance. J’appréhende la dimension symbolique de cette confiance. Je ne dois pas être peu reconnaissant.
Donc vous renoncez à votre ambition de chef de parti, qui est de conquérir le pouvoir au profit du Président Sall ?
Je n’intègre aucun groupe, aucune structure pour renoncer à mes ambitions. Le président de la République le sait. Par contre, il ne faut pas oublier une chose : est-ce qu’il est cohérent qu’on accepte une promotion, une responsabilité de la part de quelqu’un, sans pour autant épouser ses idées, sa façon de faire, sa méthode et sa politique ? Si on ne partage pas une politique, on ne doit jamais accepter de mêler son nom à cette politique. Si je l’accepte, c’est parce que les relations historiques que j’ai avec l’homme, les rapports politiques que j’ai avec l’homme et son appartenance au camp libéral, dont je suis issu et auquel j’appartiens encore, sont des éléments qui m’ont permis de me retrouver en partie dans ce qu’il fait et dans la politique qu’il a définie pour le pays, au point d’accepter de prendre part à sa mise en œuvre. Mon combat, ce n’est pas de faire partir Macky Sall du pouvoir. Mon combat, c’est de permettre à ma génération, après lui, d’être l’alternative au Sénégal. Que ce soit Alioune Sow ou quelqu’un d’autre. J’ai envie que cette génération, qui aura 50 ans en 2024, soit celle qui sera installée aux différentes positions de commande de ce pays.
Mais pourquoi 2024, l’après Macky Sall peut être dans quelques mois, en 2019 ?
Les analyses que nous avons eu à faire, les données que nous avons pu recueillir, les évaluations que nous avons eu à faire et le peu que je connais en politique, par expérience, me font dire que le grand changement, ce n’est pas tout de suite. Aujourd’hui, même si le changement s’opérait dans quelques mois, il y aura un moment de transition, car le Président ne pourra pas dissoudre l’Assemblée nationale pendant les 5 ou 6 premiers mois. La Constitution a bien verrouillé cela. Et pendant cette période, il peut se produire énormément de choses en politique. On dit que la coalition n’a pas eu 50% aux élections législatives, mais une élection législative n’est pas une élection présidentielle. C’est une des rares fois au Sénégal qu’un président de la République, chef de coalition, ne s’est pas impliqué.
Mais il y a eu des affiches du Président Macky Sall avec les investis de Bby…
Les affiches ne parlent pas. Et je l’ai vu très en retrait. Et il a eu des résultants probants. Et en face, l’opposition sénégalaise a suffisamment démontré son incapacité, malheureusement, à faire bloc pour secouer le cocotier du pouvoir. L’opposition aurait gagné beaucoup de localités si elle avait présenté une liste unique.
L’opposition va sûrement apprendre de ses erreurs et se regrouper en 2019 ?
On ne peut pas se mettre là à parler du sexe des anges aujourd’hui. Si pour des Législatives, ils ne peuvent pas s’entendre, je ne pense pas qu’en 2019, certains vont renoncer à leurs ambitions présidentielles au profit d’autres. Chacun en vérité bosse pour son camp. Il y a eu beaucoup de gens qui ont bombé le torse, des géants aux pieds d’argile, tous ces gens qui annonçaient avec fracas une candidature à la Présidentielle, se disant presque victorieux, en y croyant fondamentalement ou en bluffant, ont été humiliés pendant les Législatives passées. Beaucoup de gens ont confondu ancrage local et dimension nationale. Cette défaite aura des effets psychologiques, mais aussi des effets redoutables sur leur crédibilité et même sur la confiance de leurs propres militants. Et tout cela combiné, fera l’affaire du pouvoir facilement.
Il y a le Pds, qui est sorti 2e de ces élections et combiné au retour de Karim Wade, ils peuvent faire sensation. N’est-ce pas?
Le Président Wade est un homme d’une dimension mondiale, une icône. S’il a accepté de revenir et d’être tête de liste d’une coalition en tant qu’ancien chef d’Etat, cela veut dire beaucoup de choses. En dépit de cela, sur 165 députés, la coalition a eu 19 députés, pas de quoi secouer le cocotier, empêcher le régime de gouverner ou de faire passer ses lois. A la présidentielle, il s’agira de candidat, il s’agira de qui fera face au Président Macky Sall. On parle de choses concrètes.
Mais la candidature de Karim Wade est concrète. Le Pds ne cesse de marteler qu’il n’a pas de plan B…
Chacun peut avoir son candidat. Le plus important, ce seront les candidats issus de la décision du Conseil constitutionnel. J’ai soulevé une question il y a de cela 1 an et 2 mois, je disais que je ne suis pas juriste, mais quand Karim Wade a été gracié, les gens ont dit : il doit rembourser 138 milliards, et l’Etat a donné ordre à toutes ses structures d’aller chercher partout, ici ou ailleurs, toute trace de bien lui appartenant pour recouvrer cela. Si demain il dépose sa caution à la Caisse des dépôts et consignations, l’Etat peut bien prendre cet argent-là pour dire que c’est son argent. S’il le fait cent fois, jusqu’à hauteur du montant à recouvrer, l’Etat peut toujours utiliser la même méthode. Et c’est maintenant que le Pds a soulevé cette question en Comité directeur, avec beaucoup de sérieux, en disant qu’il n’acceptera pas qu’on prenne la caution de son candidat parce qu’on a nommé telle personne pour cela. Ils ont intérêt à régler d’abord cette affaire. A moins que le fameux dialogue qu’on agite soit le moment de régler de nombreux problèmes au Sénégal.
Personnellement, croyez-vous que c’est pour cela que Macky Sall a nommé son frère, Aliou Sall, à la tête de la Cdc ?
Ça n’a aucun lien. Il faut que les gens apprennent à être honnêtes. On n’a pas besoin de nommer Aliou Sall à la caisse des dépôts et de consignations pour cela. Le pouvoir judiciaire peut tenter de recouvrer cet argent. A la limite, ce n’est pas respecter l’intelligence des gens que de penser qu’on peut nommer Aliou Sall pour une pareille mission. Celui qui était là-bas avant Aliou Sall a été nommé par le Président de la République. Il est militant d’un parti politique.
Mais justement, la nomination de Aliou Sall a soulevé un grand débat, parce que le Président Sall avait dit que son jeune frère ne bénéficierait, tant qu’il est au pouvoir, de décret de nomination. Qu’en dites-vous ?
Je préfère ne rien dire sur cette question. Il a dit une chose hier et il a posé un acte qui s’oppose à ce qu’il avait dit, c’est un fait qu’il est le seul à pouvoir expliquer et dire quelles sont les bases de cette évolution. Je ne veux pas être péremptoire comme les autres en m’attaquant à la promotion de Aliou Sall. C’est un homme qui a pris son courage à deux mains, est parti s’inscrire dans un département d’où il n’est pas originaire pour être candidat à une élection locale. Et mon niveau d’information me permet de dire qu’il n’était pas envoyé par son frère pour être candidat là-bas. Il a gagné largement cette élection et toutes les élections qui ont suivi. Sur le plan de la légitimité politique, Aliou Sall a le droit d’aspirer à tous les postes politiques. Sur le plan de la perception, le Sénégalais a montré qu’il ne veut plus voir un membre de la famille présidentielle occuper un poste. C’est depuis Karim Wade et Sindiely Wade et ce sont les arguments utilisés en son temps, qui se sont retournés contre les pourfendeurs du régime de Wade. C’est une sorte de retour de manivelle et Aliou Sall en fait les frais. Son grand-frère de Président de la république en fait les frais. Il est incompréhensible qu’un homme qui se bat, qui gagne, qui fait des résultats, n’ait aucun droit à être promu. Par contre moi, j’ai été aux affaires, j’ai des frères, des cousins, des oncles qui ont fait des études. Mais je n’ai jamais impliqué un seul membre de ma famille dans ma gestion. Même pas un chauffeur dans mon ministère ou dans mon cabinet, ou même un entrepreneur pour gagner le plus petit marché dans le cadre de mes fonctions. C’est cela ma perception des choses. Je ne le ferai pas. Mais je ne peux pas récuser les choix du Président de nommer qui il veut.
Aujourd’hui, pensez-vous que les termes de référence de l’appel au dialogue lancé par le Président Sall devraient être, par exemple, de négocier pour que quelqu’un comme Karim Wade puisse demain être candidat ?
Il faut d’abord évaluer le dialogue qui était lancé officiellement. Je n’ai pas été informé d’un suivi de ce qui a été dit et retenu là-bas. Aujourd’hui, on devait être dans la phase de mise en œuvre des actes issus de ce dialogue. S’il n’y a pas eu de suivi, partons d’abord de cela pour créer les termes de référence du nouveau dialogue, qui doit être une suite, une ouverture de ce dialogue-là. Beaucoup de gens aujourd’hui au Sénégal qui semblent être des adversaires de Macky Sall, ne sont pas loin de lui en termes d’échanges, de concertations et de consultations. Il ne rompt pas définitivement avec tout le monde en même temps. Il sait laisser les gens dans leurs positions en gardant le fil du dialogue.
Il a quand même rompu avec Wade, celui qui lui a tout donné politiquement ?
Je suis très mal à l’aise dans ce pays sur une question très précise. J’aurais aimé que Abdoulaye Wade et Macky Sall aient les mêmes relations que celles entre Abdou Diouf et Macky Sall. J’aurais aimé voir les mêmes scènes entre les deux hommes. J’aurais aimé voir Abdoulaye Wade et Macky Sall se rendre visite mutuellement. J’aimerais que chaque lendemain de Tabaski, le couple Wade et le couple Sall se retrouvent autour d’un thé. Que des relations quotidiennes et régulières les lient. Il y a eu des problèmes, mais il faut savoir les dépasser. Nous tous, avions mené un combat politique féroce contre le régime socialiste et pourtant aujourd’hui, il s’est conjugué avec tous les acteurs socialistes de l’époque. Je pense que le Président Macky Sall n’est pas fondamentalement opposé à cela, mais ceux qui sont autour de lui doivent comprendre qu’un chef d’Etat, on ne doit pas l’encourager ou le pousser vers une rupture définitive avec des pans aussi importants de ce pays. Des gens avec qui il a partagé la plus belle partie de l’histoire politique de son pays, qui a débouché sur son élévation à ce rang aussi prestigieux que celui de président de la République.
Vous avez grandi sous Wade, vous continuez de fréquenter Macky Sall. Qu’est-ce qui bloque leurs retrouvailles ?
Ce qui bloque, je le sais, beaucoup le savent. Mais je ne le dirai pas.
Pourquoi ?
Je ne le dirai pas. Beaucoup de gens qui sont initiés savent où se situe le blocage. Vous savez, la politique, ce n’est pas une affaire de cœur, c’est une affaire de tête. Le Président Wade a subi les pires traitements, les plus dégradants et les plus injustes, y compris gagner des élections et se les voir confisquer et se retrouver en prison avant la proclamation des résultats. Et pourtant, quand il est arrivé au pouvoir, il a passé l’éponge, il a pardonné. Il a toujours dit que si on veut que le changement soit banal en Afrique, il faut que ceux qui incarnent le pouvoir ne puissent pas penser qu’en le quittant, ils vont directement en enfer sur terre. Il a fait preuve de dépassement en son temps. Il a beaucoup célébré le Président Diouf. Il est évident que la rupture entre le Parti démocratique sénégalais (Pds) et le Président Sall était d’une laideur affreuse, mais cela peut être nettoyé par l’excellent compagnonnage. Macky Sall n’est pas un rancunier. Qui peut le plus peut le moins. Le Sénégal a besoin de tous ses talents. Ces petites querelles, ces petites guéguerres, on n’en a pas besoin.
Il y a la question du financement des partis, avec ce qui s’est passé avec la Ld, qui a reçu 4 millions F Cfa du pouvoir, il s’est dit que du temps de Wade, vous donniez beaucoup d’argent à vos alliés, Aj/Pads recevait 30 millions F Cfa, est-ce que cela doit continuer comme ça ?
Au delà du financement des partis politiques, beaucoup d’organisations, beaucoup d’acteurs du secteur privé, y compris même ceux qui ont été les plus radicaux contre les régimes successifs, ont toujours bénéficié des mannes financières sous l’appellation de fonds secrets ou fonds politiques. Le Président de la République peut légalement en faire usage de plusieurs manières, mais ce qui est important, c’est que ce n’est pas condamnable. Ça existe partout. Ce n’est pas une invention sénégalaise. Maintenant le statut du chef de fil de l’opposition existe, il faut le mettre en œuvre. Ça doit être un élément du dialogue.
L’OBS