Boubacar DRAME est actuellement Conseiller Technique au Ministère de l’Agriculture et de l’Équipement Rural. A son actif, en plus de son expérience dans l’appui des filières d’exportation en tant qu’expert au niveau de l’Afrique de l’ouest, il a participé à la conception des Guides sectoriels d’auto contrôle et d’export de la filière mangue au Sénégal. Dans cet article, après avoir fait l’état des lieux de la filière, il expose les axes stratégiques pour développer le secteur et le rendre compétitif sur le plan international.
1- Comment se porte la filière ?
De prime abord, il faudra se féliciter des volumes records de mangue obtenus dans l’exportation. En effet, le Sénégal a exporté pour toutes destinations confondues durant cette campagne 2018 près de 18 395 tonnes. De ce fait, notre pays se positionne comme leader dans l’espace CEDEAO. Ceci malgré les craintes brandies par des oiseaux de mauvaises augures concernant les notifications de l’Union Européenne sur la mouche des fruits. Les résultats de cette année confirment la forte croissance que la filière mangue ait connu au cours de cinq dernières années.
Ces performances notées ne doivent pas pour autant occulter les insuffisances constatées, surtout dans ce contexte d’adoption d’une nouvelle législation phytosanitaire plus contraignante, à travers le Règlement 2016/2031 et la Directive 2017/1279 de la Commission européenne, qui exigent des mesures supplémentaires pour le contrôle des ravageurs de quarantaine.
Dans ce contexte, la mangue du Sénégal possède de fortes potentialités mais inexploitées. Nous pouvons dire sans ambages que la filière mangue est à la croisée des chemins.
Il faut dire que la mangue représente depuis plusieurs années une chaîne de valeur porteuse pour la plupart des Etats de l’Afrique de l’Ouest. La production nationale évaluée à environ 100 000 T représente 0,3% de la production mondiale et s’étend en trois bassins allant dans la zone de la Casamance, la zone centre (axe Sandiara – Filma –Toubacouta) et la zone des Niayes. La majeure partie des mangues exportées proviennent de cette dernière zone.
D’autant plus que les contraintes demeurent : Primo, le défi de la faible productivité et la non maîtrise des itinéraires techniques restent la principale contrainte pour la compétitivité. Au niveau des marchés d’exportation de mangue, le Sénégal est fortement concurrencé par le Pérou et l’Israël sur cette spéculation. En effet, ces deux pays ont beaucoup investi sur la productivité et la qualité des mangues exportées. Avec un rendement de 4 à 8 tonnes par hectare pour le Sénégal, nos concurrents produisent jusqu’à 20 et 30 tonnes/ha.
Si l’on ne prend pas garde, en plus des contraintes phytosanitaires (mouches des fruits, fusariose, etc.), l’exportation de la mangue risque d’être plombée les années à venir malgré le dynamisme noté pour cette sous-filière.
Secundo, la résurgence des ravageurs et maladies liés à la production de mangue a fortement impacté sur l’accès des marchés niches. A titre d’exemple, le Sénégal ne peut pas bénéficier des avantages de l’AGOA et du coup, notre pays n’arrive pas à pénétrer encore les Etats-Unis du fait que la contrainte reste liée à l’exigence de fumigation (traitement chimiques contre les mouches de fruits) qui est une pratique non encore utilisée par le Sénégal.
Tertio, le manque d’organisation des acteurs. Les acteurs essaient de s’organiser tant soit peu et timidement en plateformes et en inter-profession de la filière. Ces organisations ont mis en place des collèges à trois niveaux (producteurs, exportateurs/logisticiens et transformateurs). Toutefois, nous notons une léthargie de ces faitières du fait qu’elles n’ont pas pu mettre en synergie leurs stratégies mais surtout faute de plan d’actions durables prenant en compte les vrais enjeux de la filière.
2- Nous savons que l’offre est supérieure à la demande, quelles sont les mesures que vous avez prises pour que ce surplus ne soit pas perdu ?
Certes, le Sénégal a un potentiel de fournir le marché européen à hauteur de 50 000 T vu les périodes où la mangue sénégalaise est sur le marché. La mangue sénégalaise est devenue une véritable niche sur l’international. Par rapport à la mangue exportée, la transformation demeure le secteur non négligeable pour une valorisation de la mangue.
Toutefois cette activité reste une activité secondaire. Celle-ci représente moins de 1% de la production et occupe une place limitée pour la valorisation des surplus de production. En 2017, la production de mangue transformée se situe à environ 3 600 T pour une valeur de 250 millions de F CFA.
C’est dans cette foulée que des programmes innovants sont mis en œuvre entre différents ministères impliqués dans la filière. Il faudra noter que tous les programmes du Gouvernement s’inscrivent dans la stratégie Plan Sénégal Emergent comme nouveau model de développement visant à accélérer la marche du pays vers l´émergence (émergence économique, sociale et environnementale).
Ainsi, l’Etat du Sénégal, à travers des stratégies de développement pertinentes (PSE, PRACAS et agropoles), a mis un cadre pour le financement des entrepreneurs s’activant dans la transformation en facilitant les mécanismes de financement des jeunes entrepreneurs et des femmes. Ainsi dans le cadre des trois Agropoles, il s’agira de venir à bout aux problèmes des secteurs agricole et agro-industriel dans des Zones économiques ayant un poids économique important.
A ce propos, une agropole sera dédiée essentiellement à la filière mangue transformée au niveau de Ziguinchor.
Comme vous le savez, le concept d’Agropole consiste à mettre en place un Pôle moderne de développement agroindustriel facilitant la mise en réseau de tous les acteurs des chaîne de valeur avec des capacités et compétences accrues pour faire le saut qualitatif nécessaire à la compétition sur les marchés. A ce titre, chaque agropole s’appuie sur les leviers suivants : i) un savoir-faire technique/ technologique de haut niveau, ii) un entrepreneuriat proactif, iii) un environnement professionnel favorable, iv) des infrastructures pour l’agrobusiness de niveau mondial, v) une nouvelle approche pour la recherche en partenariat avec le secteur privé.
Pour dire l’important potentiel que recèle le secteur des fruits notamment la mangue transformée en termes de valeur ajoutée et d’export (pulpe, purée, jus, compotes, confitures, etc.), constitue pour les autorités une priorité, ceci afin d’appréhender les problèmes du secteur de manière intégrée et inclusive au bénéfice de tous les acteurs.
Les autorités sont conscientes que le développement de ce secteur avec une stratégie audacieuse fera de la filière horticole soit l’or vert du Sénégal.
3- Quelles sont les mécanismes mises en œuvre par votre ministère pour lutter contre les mouches et autres maladies de la mangue ?
Du fait que, les pertes en champ causées par les mouches des fruits comme Bactrocera invadens et autres nuisibles de la mangue entravent les performances réalisées dans la filière et que les pertes causées par les mouches des fruits peuvent se situer entre 40 à 50 % dans les Niayes et à plus de 80 % en Casamance, les autorités sont préoccupées par ce fléau.
Ainsi, l’intervention du Ministère de l’Agriculture et de l’Équipement Rural s’effectue à travers ses structures opérationnelles sous tutelle MAER, à savoir la Direction de l’Horticulture, la Direction de la Protection des Végétaux, l’ANCAR, CEREX LOCUSTOX, l’ISRA et le FNDASP entre autres.
Ces interventions se traduisent par le renforcement des acteurs à la lutte contre la mouche des fruits et l’intensification des inspections phytosanitaires au niveau des opérateurs. A titre d’exemple, 550 acteurs de la filière mangue ont été formés par la Direction de l’Horticulture et la Direction de la protection des végétaux en collaboration avec l’Agence sénégalaise de promotion des exportations (ASEPEX).
De même, avec un coût de 300 millions de FCFA pour une durée de 3 ans, le MAER à travers le Fonds National de Recherches Agricoles et Agro-alimentaires (FNRAA) a financé un projet de mise à l’échelle de technologies de lutte contre les mouches et autres maladies ravageurs de la mangue. Cette mise à l’échelle permet de faire en sorte qu’il y ait un taux de pénétration des résultats importants en termes de réduction de pertes générés lors de projet précédent par un nombre plus important d’acteurs dans les différents bassins de production de la mangue au Sénégal mais aussi prendre en compte les autres chaînes de valeur de la production.
Par ailleurs, la DPV a joué un rôle déterminant dans la gestion de la campagne mangue de cette année. En raison de la forte pullulation constatée ces dernières années et l’augmentation du nombre des interceptions des lots de mangue au niveau des frontières de l’UE, tous les pays de la CEDEAO ont été priés de mettre en place des mesures correctives, se traduisant par un plan d’action, déjà soumis aux partenaires de l’UE.
Ainsi, les dispositions ont été prises par la DPV en relation avec les acteurs, à savoir :
i) l’ouverture et la fermeture concertée de la campagne,
ii) le partage des nouvelles approches d’encadrement de la filière (plan d’action de lutte contre la mouche des fruits, règles à faire respecter par tous les acteurs, etc.)
iii) la mise en place d’un manuel de procédure décrivant l’organisation et les modalités pratiques de mise en œuvre du système d’inspection et de certification phytosanitaires des mangues fraîches (mobilisation d’une trentaine d’inspecteurs/Contrôleurs).
Tous ces efforts permettent d’une part de mieux positionner la mangue sénégalaise à l’international et d’autre part pour réduire de manière significative les éventuelles notifications d’interceptions dues aux organismes de quarantaine, notamment aux mouches de fruits dans les mangues exportées du Sénégal vers l’UE et rendre plus compétitive l’origine Sénégal.
Avec « DELICES ».