Nous sommes en 1962, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia sont à la tête du nouvel Etat Sénégalais : le premier est à la Présidence et le second à la primature. Alliés de longue date, ils ont néanmoins une vision différente de l’avenir du Sénégal. Si le premier est un ami de la France, le second se veut radical et pour la rupture avec les colons. Senghor occupe des fonctions théoriques, Dia détient les rênes du pouvoir. Le conflit nait, avec d’un côté le Président Senghor Secrétaire général de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) qui veut plus de pouvoir, de l’autre côté Mamadou Dia qui s’impose lentement.
Causes de la crise de 1962
Les causes de la crise de 1962 sont multiples. Parmi celles-ci on peut citer l’insatisfaction que ressentait le président Senghor d’avoir moins de pouvoirs effectifs que son ancien protégé. Les propos de Mamadou Dia dans son ouvrage «Mémoires d’un militant du Tiers-Monde» en disent long : « (…) j’avais remarqué chez Senghor un certain malaise, une indisposition grandissante qu’il ne parvenait pas à réprimer, comme à l’occasion de mes voyages à l’extérieur qui, pourtant n’étaient pas du tout des voyages que je provoquais moi-même. Le fait que ce n’était pas lui, Chef de l’Etat, qu’on invitait le gênait terriblement. C’était visible particulièrement lors des réunions, des conférences entre Chefs de gouvernement ou d’Etat du fameux Groupe de Brazzaville. Puisque c’est moi qui étais le Président du Conseil, avec tous les pouvoirs, évidemment, c’est moi qui étais l’Autorité. Quand il s’agissait du Conseil des Ministres sénégalais, il n’y avait pas de problèmes. Mais quand c’était une réunion entre Etats, avec des régimes présidentiels, comme partout ailleurs, je sentais qu’il était un peu ennuyé, mais il ne me le disait pas».
Les lendemains de la crise de décembre 1962
Débarrassé d’un compagnon devenu « l’empêcheur de tourner en rond », qui purgera au total douze longues années de prison, Léopold Sédar Senghor réussit à intégrer au sein de l’Union Progressiste Sénégalais (Ups) d’autres formations politiques dans le cadre du «parti unifié», qui devient le Parti socialiste (PS). Pour asseoir son pouvoir, le poète président fait adopter par référendum, le 3 mai 1963, une nouvelle Constitution dessinant les contours d’un régime présidentialiste fort. Candidat unique à la présidentielle de décembre 1963, il est réélu sans difficulté. Mais, comme dans tous les régimes de parti-Etat sur le Continent, le président se méfie de toute forme d’opposition. Les militants des partis d’opposition, notamment communistes, entrés en clandestinité, feront les frais d’une vive répression policière à l’issue du scrutin présidentiel, couplé avec les législatives remportées par l’Ups. Même scénario en février 1968 où Senghor et son parti remportent la présidentielle et les législatives. Trois mois plus tard, le régime connaît l’une des plus graves crises (après celle de la filière arachidière en 1962) : le mouvement de mai 1968, mené par les étudiants et élèves, porteur de revendications d’ordre matériel et idéologique. En février 1970, Senghor fait adopter par référendum, une révision constitutionnelle instaurant un « régime présidentiel déconcentré » avec la nomination d’un Premier ministre, en la personne d’Abdou Diouf.
Renversement du gouvernement de Dia
La brouille entre Senghor et Mamadou Dia avait longtemps atteint son apogée. Mais elle était latente. Ce n’est que le 17 décembre 1962 qu’elle apparut au grand jour. Ainsi, lundi après-midi, le 17 décembre 1962, le gouvernement de Dia est renversé. La motion de censure signée, dès vendredi, par 41 membres de l’Assemblée nationale obtient 48 voix sur les 80 que compte l’Assemblée. De plus, sept ministres ont présenté leur démission au président de la République se rangeant ainsi ouvertement dans le camp de Senghor. Continuant son analyse, Monjid affirme que le 18 décembre de la même année, par une dépêche de 20h 14 de l’Agence Française de Presse annonce l’arrestation du président du Conseil vers 18h20 à sa résidence de Médina. Il est conduit vers le Petit palais. Quatre de ses compagnons M. Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye, Valdiodio Ndiaye et Alioune Sarr arrêtés en même temps que lui sont également en résidence surveillée dans le même endroit.
Après 5 jours de procès, Mamadou Dia et M. Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye, Valdiodio Ndiaye et Alioune Sarr sont jugés et condamnés par la Haute Cour de justice du Sénégal en 1963, successivement à la déportation dans une enceinte fortifiée à Kédougou, à 20 ans de détention criminelle pour les trois suivants et 5 ans d’emprisonnement et 10 ans d’interdiction de séjour pour le dernier.
En réponse à leur incarcération, beaucoup d’intellectuels français dont Jean Paul Sartre, et le Pape XXIII avaient demandé la libération des détenus de Kédougou. Senghor restera sourd face à leur appel jusqu’en 1974, période à laquelle il décida de les gracier. Il est important de préciser qu’avant d’être graciés après 10 ans de prison, certains compagnons de Mamadou Dia sont tombés gravement malades et sont décédés des séquelles de leur maladie après leur élargissement. Libéré en 1974, Mamadou Dia est amnistié le 4 avril 1976 par décret présidentiel.
Mamadou Dia était accusé d’avoir porté atteinte à la Sûreté de l’Etat, d’avoir procédé à des arrestations arbitraires et d’avoir requis la force publique pour s’opposer à l’exécution des lois et des dispositions légales. L’ancien président du Conseil du gouvernement du Sénégal, Mamadou Dia, est décédé le 25 janvier 2009 à l’âge de 98 ans.
Deux hommes de pouvoir
Léopold Sédar Senghor est né en 1906 à Joal dans la région de Thiès, Mamadou Dia en 1910 à Khombole dans la même région. Quelle coïncidence ! Le premier nommé est décèdé un 20 décembre de l’an 2001, tandis que le second le 25 janvier 2009. Les deux (02) hommes avaient travaillé ensemble pour l’indépendance du Sénégal finalement acquise en 1960. Le destin, sous les traits d’un « coup d’Etat » en 1962, les a séparés de manière tragique alors que demeure la controverse. Tous deux ont emporté la vérité dans leurs tombes.