AFFAIRE OUSMANE SONKO – ADJI SARR : ouverture d’une fenêtre d’opportunité pour l’emploi et l’entreprenariat des jeunes au Sénégal.

L’affaire Adji SARR – Ousmane SONKO qui défraie la chronique depuis plusieurs semaines a ouvert une fenêtre d’opportunité pour une prise en charge de l’emploi et de l’entreprenariat des jeunes en ce sens que ces derniers ont pu avoir un prétexte pour faire entendre, entre autres, leur message de détresse face au manque d’emplois aggravé par l’impact négatif de la Covid-19 qui augmente, considérablement, le taux de chômage.

Ainsi, il convient de se poser quelques questions légitimes :

– En quoi l’affaire Ousmane SONKO – Adji SARR, avec son cocktail de drames, de tristesse, de casses, de vols, d’agressions, de pertes économiques et d’emplois, peut-elle ouvrir une fenêtre d’opportunité pour l’emploi et l’entreprenariat des jeunes ?

– Qu’est-ce qu’une fenêtre d’opportunité en matière de politique publique ?

– Comment peut-on mettre à profit l’ouverture de cette fenêtre d’opportunité pour contribuer à résoudre le problème de l’emploi et de l’entreprenariat des jeunes ?

En effet, une fenêtre d’opportunité peut être définie comme étant une ouverture souvent imprévisible dans le processus des politiques publiques et qui donne l’occasion de faire passer plus facilement, des mesures visant à résoudre un problème d’intérêt public.

Ce concept de « fenêtre d’opportunité politique » ou « policy window » en Anglais, a été développé en 1984 par John Kingdon qui a identifié quelques indicateurs d’une fenêtre d’opportunité politique qui se produit lorsque :

– un nouveau problème surgit ou au moment de définir les politiques ;

– il y a un changement politique (changement de gouvernement ou parlement) ;

– il y a un changement d’humeur nationale.

En effet, un nouveau problème peut être lié à une catastrophe naturelle, une crise (exemple : pandémie), l’avènement d’un événement malheureux ou heureux d’envergure, la récurrence d’un phénomène, etc. alors que la définition d’une politique s’adresse à un aspect spécifique. La programmation budgétaire, l’élaboration d’une politique,  d’une stratégie ou d’un plan de travail ouvrent toujours des fenêtres d’opportunité pour résoudre un problème (emploi des jeunes, aménagement urbain, électrification de villages, gestion des eaux pluviales, etc.).

De la même manière, un changement politique est toujours une occasion rêvée pour une définition de nouvelles politiques qui, le plus souvent, ont beaucoup de chances de rencontrer l’adhésion des acteurs et des populations.

Aussi, les évènements affectant tout le pays, d’une manière ou d’une autre, peuvent déterminer l’humeur de la nation qui est, le plus souvent, une bonne occasion pour prendre de grandes décisions avec des chances réelles d’avoir un écho favorable au  niveau des populations.

Au Sénégal par exemple, l’exploit de l’équipe nationale de football lors du Mondial Corée-Japon et le naufrage du bateau le Joola en 2002 ainsi que la vague de manifestations en 2011 qui a vu naitre le M23 (Mouvement du 23 juin) avaient ouvert des fenêtres d’opportunité de politiques. Ce qui devrait permettre de bâtir un sentiment patriotique fort né de la succession voire même la cohabitation de l’amertume et de l’allégresse populaires. Ces événements oxymoriques avaient également donné l’opportunité d’élaborer des politiques durables dans les secteurs du sport, de la pêche et sur la réglementation du transport maritime.

D’ailleurs, de pareils événements constituent, pour certains pays, des repères historiques dans leur processus de décollage vers l’émergence socioéconomique. A titre illustratif, la guerre de Corée et le génocide rwandais avaient ouvert des fenêtres d’opportunité que les décideurs politiques ont pu saisir pour réaliser le développement économique en Corée du sud et entamer la marche vers le progrès au Rwanda.

Les fenêtres d’opportunité qui étaient grandement ouvertes au Sénégal en 2002 qui s’étaient vite refermées avant que l’on ne puisse en tirer tous les enseignements et prendre des mesures fortes et lucides à mettre en œuvre. Or, l’une des caractéristiques de certaines fenêtres d’opportunité, c’est qu’elles s’ouvrent rarement de manière soudaine et imprévisible mais se referment très vite. Elles n’offrent pas également le même niveau d’opportunité. C’est en ce sens, d’ailleurs, que John Keeler (1993) avait préconisé de distinguer les petites des grandes fenêtres d’opportunité politique.

Ainsi, il est permis d’affirmer que de grandes fenêtres d’opportunité ont été ouvertes par l’affaire Ousmane SONKO – Adji SARR au regard de l’ampleur et de la tournure des événements. Cependant, cette contribution se focalise sur la fenêtre d’opportunité ouverte sur l’emploi et l’entreprenariat des jeunes qui sont passés, aujourd’hui, de priorité à sur-priorité pour le Chef de l’Etat et son Gouvernement.

En effet, lors de son message à la nation en date du 08 mars 2021, le Chef de l’Etat avait annoncé des mesures fortes sur la lancinante question de l’emploi et l’entreprenariat des jeunes. Ces mesures ont été confortées par le communiqué du conseil des ministres du 10 mars 2021 dans lequel le Chef de l’Etat indiquait que « sur la période 2021-2023, outre les emplois salariés et les recrutements importants prévus dans plusieurs secteurs, c’est 350 milliards FCFA au moins, qui seront mobilisés pour le financement des jeunes et des femmes » dont 150 milliards à mobiliser dès cette année-ci.

Ces mesures prises, sans délai, pour résoudre la problématique de l’emploi et de l’entreprenariat des jeunes nous donnent l’espoir que la fenêtre d’opportunité ouverte par les récentes manifestations qui ont impulsé un changement d’humeur nationale ne se refermera pas sans actions concrètes.

Toutefois, force est de reconnaitre que la mesure prise par l’autorité est une chose mais sa mise en œuvre en est également une autre. Or l’un des plus grands défis de la mise en œuvre des politiques d’accompagnement de la jeunesse, se situe souvent au niveau de l’approche, du ciblage et de l’identification des besoins réels qui diffèrent souvent de ceux exprimés.

Il est clair que le problème des jeunes au Sénégal, en Afrique de manière générale, c’est le manque d’emplois. Mais la grande question est de savoir comment s’y prendre.

A l’instar de nombre de pays, le Sénégal tente, depuis plusieurs décennies, de résoudre ce problème à travers l’entreprenariat qui devrait permettre aux jeunes de s’auto-employer et d’employer d’autres. C’est ainsi que beaucoup de programmes de financement et/ou de formation se sont succédé depuis les années 2000 mais n’ont pas pu produire les résultats escomptés.

Ainsi, ne faudrait-il pas voir si l’entreprenariat des jeunes tel que préconisé (financement massif de micro-projets suivi de formations) peut-il régler le problème de l’emploi des jeunes ou augmente-t-il le taux de mortalité précoce de nos PME et micro entreprises ?

Ce qu’il faut savoir c’est que la plus part de nos porteurs de projets ne portent pas réellement leurs projets. Aussi, tout le monde ne peut pas réussir dans l’entreprenariat qui, au-delà de l’accompagnement externe, fait appel à une implication personnelle de celui qui est censé entreprendre. Même si on est d’avis que « l’on ne nait pas entrepreneur, on le devient », il convient de reconnaitre que tout le monde ne peut pas devenir entrepreneur.  

D’abord, rappelons-nous que l’entreprenariat des jeunes est identifié comme un moyen pour leur permettre d’accéder à un emploi décent. Donc, la préoccupation reste l’emploi des jeunes, surtout des jeunes diplômés qui sont plus touchés par le chômage. Il ressort le plus souvent de nos études et discussions que le problème de l’emploi des jeunes est lié au déficit de formation, au défaut d’employabilité, à l’inadéquation entre formation/emploi ou l’offre et la demande, aux difficultés d’accéder aux financements ou à l’absence de produits financiers adaptés, etc.

Nous souscrivons à ces analyses qui ne sauraient être généralisées parce que situant toujours la responsabilité soit au niveau de l’Etat soit au niveau des jeunes demandeurs d’emploi.  Toutefois, il faut reconnaitre que le marché de l’emploi n’est pas tendre avec les jeunes diplômés qui se contentent de « Stages à durée déterminée (SDD) » ou même « Stages à durée indéterminée (SDI)» qu’ils arrivent à décrocher difficilement d’ailleurs en lieu et place des CDD, CDI ou même contrats de prestation de service.

A ces stages interminables s’ajoutent d’autres obstacles qui semblent être des détails mais qui constituent un handicap sérieux pour l’emploi des jeunes diplômés notamment les années d’expérience pratique exigées pour le recrutement à certains postes. Le recrutement d’un jeune diplômé bien formé, sans expérience pratique, peut susciter l’innovation et favoriser le renouvellement de la pensée dans l’entreprise. C’est toujours un plus.

Cependant, cette réticence du marché de l’emploi pose le problème de la taille de ce marché qui présente des limites objectives pour absorber la nouvelle demande d’emplois qui arrive sur le marché chaque année et estimés à plus de 100 000 (ANSD, 2015).

Ainsi, pour la lancinante question de l’emploi des jeunes, il nous semble nécessaire d’augmenter les capacités d’accueil du marché du travail qui s’est encore contracté avec les licenciements et pertes énormes dus à la crise pandémique et d’assouplir les conditions d’accès.

Pour ce faire, il est évident qu’il faut créer de vraies entreprises par et pour les jeunes et ne plus se limiter à financer des projets individuels ou portés par de petits groupes qui, d’ailleurs, reçoivent des montants ne correspondant pas aux besoins indiqués dans leurs plans d’affaire. Ce qui peut justifier les détournements d’objectif, les difficultés récurrentes de remboursement et le taux élevé d’échec des projets financés.

C’est pour cela que nous jugeons opportun d’aller vers un changement d’approche afin que les 350 milliards destinés aux jeunes ne soient pas juste un fonds parmi tant d’autres. 

Ainsi, la solution que nous préconisons s’articule autour des points suivants :

– mettre en place une Société anonyme avec une délégation de service public pour gérer le fonds. Cette SA aurait deux principaux guichets : un « guichet Financement » et un « guichet  Pépinière d’Entreprises » ;

– mettre en place des pépinières d’entreprises relais à l’échelle départementale à côté ou au sein des Maisons de la Jeunesse et installer dans chaque commune un bureau d’orientation et d’animation économiques ;

– regrouper les porteurs de projets viables et similaires autour de Sociétés par Actions Simplifiées (SAS) et y  instaurer l’Actionnariat Salarié ;

– dissocier les besoins en fonds de roulement et les besoins en investissement (acquisition, équipement, installation, construction, aménagement, etc.) qui seront financés à travers le crédit-bail ou location-vente ;

– accorder des différés de paiement d’au moins 24 mois pour les crédits des SAS et un régime fiscal dérogatoireleur dispensant du reversement des impôts et taxes retenus sur les salaires de leurs employés, de la contribution forfaitaire à la charge de l’employeur, du paiement de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu, de l’impôt minimum forfaitaire, de la contribution économique locale, etc.

En effet, la gestion du fonds par une société anonyme délégataire de service public permettrait de passer à une gestion à 100% publique vers une gestion parapublique qui, à notre sens, serait plus efficace et minimiserait le taux de crédits en souffrance notés dans les fonds existants.

Pour la pépinière d’entreprises, c’est une structure destinée à faciliter la création d’entreprises en apportant un soutien technique et financier, des conseils et des services. Cependant, tel que nous la concevons, la pépinière ira au-delà de faciliter la création d’entreprises mais se chargera de mettre en place des Sociétés par Action simplifiée (SAS) pour les jeunes préalablement sélectionnés sur la base de critères prenant en compte la nature de leur projet, le lieu d’implantation, leur profil, etc. Les pépinières départementales, coordonnées par des jeunes avec des profils appropriés, permettront d’identifier des projets pouvant faire l’objet d’une SAS, de faire un suivi rapproché de ces dernières, d’accompagner les autres projets de jeune mais aussi de coordonner les bureaux d’orientation et d’animation économiques au niveau des communes. Aussi de la même manière que les SAS et autres projets financés, les pépinières d’entreprise ainsi que les bureaux d’orientation et d’animation économiques offrent des opportunités d’emplois pour les jeunes diplômés.

Par définition, la SAS est une forme juridique de société de capitaux dans laquelle les associés bénéficient, au travers des statuts, d’une grande liberté pour déterminer les règles d’organisation et de fonctionnement de l’entreprise. Elle se caractérise par une grande souplesse de fonctionnement et présente plusieurs avantages. Quant à l’actionnariat salarié, c’est un dispositif qui vise à faire entrer durablement les salariés d’une entreprise dans le capital de cette dernière. Dans ce cas de figure, il ne s’agira pas de faire entrer des salariés mais répartir de manière équitable entre les jeunes associés les actions de la société dans laquelle ils sont employés et perçoivent des salaires en fonction des bénéfices.

Par ailleurs, nous proposons le crédit-bail comme mode de financement des investissements des SAS et de tous les autres projets à financer dans le cadre du mécanisme des 350 milliards destinés aux jeunes notamment les acquisitions de biens matériels et les infrastructures. Ce mode de financement aiderait nos artisans, pêcheurs, agriculteurs, industriels, etc. à acquérir des équipements modernes et adaptés en vue d’augmenter la qualité de leurs produits mais aussi et surtout régler les problèmes de finition notés au niveau de certains produits artisanaux.

De manière pratique pour les SAS, il s’agira de payer directement aux fournisseurs pour l’acquisition de matériels et aux prestataires pour la réalisation des infrastructures pour le compte de la Société anonyme délégataire de service public avec une promesse unilatérale de vente à la SAS, qui deviendra propriétaire qu’après remboursement de la dette. C’est seulement le reliquat du coût du projet correspondant aux charges de fonctionnement qui sera versé dans le compte de la société. Idem pour les projets portés par des jeunes artisans ou agriculteurs et relatifs à l’acquisition d’équipement, de machine ou la construction d’infrastructures.

Les SAS que nous proposons seront dans différents domaines d’activités notamment les créneaux porteurs : l’artisanat, l’industrie, la cinématographie, l’hôtellerie, la restauration, l’agriculture, l’aviculture, le maraichage, les hydrocarbures, la transformation de produits, les TIC, la santé, etc.

Voilà résumée la réflexion que nous inspire la fenêtre d’opportunité politique occasionnée par l’affaire Ousmane SONKO – Adji SARR que nous ne considérons pas comme un sujet politique mais plutôt un sujet de politiques.

Ismaila DIONE

Diplômé en administration publique

Secrétaire général du Conseil régional de la Jeunesse de Thiès

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