L’affection du Général Souleymane Kandé, ancien le chef d’État-Major général des armées (Cemga), comme attaché militaire à l’Ambassade du Sénégal à New Delhi (Inde), continue de susciter une vive polémique. Se joignant à la vague de réactions, le Colonel de gendarmerie à la retraite, Dr Doudou Sall, estime que cette décision est légale, mais elle ne conforte pas la rupture annoncée par les nouvelles autorités.
Dans une contribution, ce spécialiste des questions de stratégie et de leadership dans les organisations de sécurité, préconise la remise en cause du caractère discrétionnaire de nomination du Chef de l’État, aujourd’hui largement dominé par le critère de proximité et non par les critères de transparence, d’équité et de mérite.
L’ancien gendarme est d’avis que ce «critère proximité est un concept à l’origine de graves dysfonctionnements dans la distribution de la sécurité».
Voici l’intégralité de son texte
« Dans la polémique faisant suite à l’affectation du Général Kandé, les arguments avancés par les tenants du pouvoir mais également par des officiers supérieurs à la retraite ne sont pas dénués de pertinence. Cependant ces arguments comportent des limites certaines, dans la mesure où ils remettent en cause les nécessaires ruptures, devant être opérées par les nouvelles autorités, pour une meilleure stratégie de distribution de la sécurité à nos concitoyens.
Les tenants du pouvoir mettent en effet, en avant le caractère légal et inattaquable du décret affectant le général à un poste d’Attaché de Défense et de Sécurité (ADS) à New Delhi., du fait du caractère discrétionnaire des pouvoirs de nomination du PR ; ces mêmes pouvoirs auraient d’ailleurs profité au général, qui a été nommé et choisi dans les mêmes formes, d’abord comme CEMAT puis comme coordonnateur des opérations des Forces spéciales. Certains d’entre eux considèrent que l’Inde, étant une puissance militaire, rien ne dit que cette affectation n’est pas une promotion pour le général, dans le cadre d’une nouvelle orientation de notre politique de défense et de sécurité.
A notre sens, les ruptures annoncées doivent remettre en cause ce caractère discrétionnaire de nomination du PR, aujourd’hui largement dominé par le critère de proximité et non par les critères de transparence, d’équité et de mérite. Comme je l’ai soutenu dans une précédente contribution sur la récurrence des coups d’Etat en Afrique, le critère de proximité est un concept à l’origine de graves dysfonctionnements dans la distribution de la sécurité.
Bref, ces pouvoirs de nomination peuvent et doivent être modernisés. C’est à cet impératif que doivent répondre les ruptures annoncées. A ce titre, les observations suivantes peuvent faire l’objet de réflexions : Il s’agit, entre autres :
des dysfonctionnements en interne favorisés par les pouvoirs discrétionnaires du PR dominés par le critère de proximité. Le chef choisi sur cette base a tendance à avoir les mêmes types de relations avec ses subordonnés. Dans cette logique, les subordonnés étant « des agents rationnels » cherchent à être dans « la proximité » du chef pour bénéficier des avantages de la promotion et des postes « juteux ». Cette proximité peut être physique (avantages aux secrétaires, aux chauffeurs, et autres proches du chef etc..). Elle peut aussi être virtuelle quand le subordonné est prêt à tout pour être dans les bonnes grâces du chef. Il est évident que ce type de proximité est plus pernicieux et plus dangereux.
du nécessaire renforcement du caractère républicain des Armées : certaines nominations et promotions liées au contexte politique ont tendance à remettre en cause la neutralité des Armées et à fragiliser les promus ou les sanctionnés, quels que soient par ailleurs leurs mérites ou leurs fautes. Sous ce rapport, les appels à candidatures prônés par les nouvelles autorités sont plus que opportuns dans les institutions de sécurité. Même si leurs modalités doivent être adaptées aux spécificités des organisations de sécurité, ce mécanisme renforcerait, à coup sûr, la légitimité des chefs militaires et conséquemment leur caractère républicain.
du nécessaire renforcement des mécanismes internes de protection des droits des subordonnés : beaucoup d’observateurs se satisfont de l’impossibilité pour le général Kandé d’attaquer le décret le nommant ADS. Certains lui dénient même, le droit d’être mécontent de cette mesure, le militaire devant obéir « sans murmures » aux ordres de ses chefs. Cette compréhension de la discipline est dépassée. Dans un fonctionnement moderne, le général, s’il n’est pas satisfait de cette mesure devrait pouvoir la contester devant une commission collégiale composée de ses pairs et dont l’avis conforme devrait lier le PR. C’est comme ça que fonctionnent les Armées modernes. Une telle approche aurait pu faire éviter, comme je l’ai déjà soutenu dans une autre tribune, la radiation du Capitaine Touré.
de la compatibilité du secret militaire ou du secret « défense » avec la transparence : pour certains observateurs et même des acteurs militaires, la sensibilité des questions militaires commande qu’on n’en parle pas, cautionnant ainsi, une absence de transparence dans les actes de nomination et même de gestion de la sécurité. Certains vont même jusqu’à en faire un acte de patriotisme. Ainsi, certains députés considèrent que voter le budget des Forces armées sans débat est un acte de patriotisme et de confiance aux Forces armées. A ce niveau, une équivoque est à lever. La sensibilité des questions militaires se situe au niveau opérationnel et tactique mais pas au niveau doctrinaire et politique. Les choix stratégiques de la distribution de la sécurité doivent en effet, faire l’objet de débats transparents auxquels les parlementaires et les citoyens sont associés, ces derniers étant parties prenantes dans leur mise en œuvre ».
Dr Doudou Sall
Colonel de gendarmerie à la retraite