Adama Ba : «Je ne suis plus retourné à la maison où ma mère a été tuée»

Il s’était emmuré dans le silence, choqué et profondément attristé par la mort de sa mère, retrouvée dans sa chambre, la gorge tranchée par son chauffeur. Dans cet entretien, Adama Bâ évoque son désarroi, la douleur de sa famille et surtout son combat pour que justice soit rendue à sa mère, la défunte Fatoumata Matar Ndiaye, tuée le 19 novembre 2016. C’était il y a trois ans à Pikine-Khourounar.

Cela fait trois ans que vous avez perdu votre mère, assassinée par son chauffeur. Comment vous sentez-vous?

Pas mieux qu’avant. Je ne pourrai jamais oublier. Je ne pourrai pas non plus recoller les morceaux. Cet assassinat m’a détruit. Cela fait désormais partie de moi, je fais avec. Des fois, je me réveille en colère et je n’arrive pas à exprimer ce que je ressens réellement. Je ne le souhaite à personne, mais il faut vivre cette situation pour comprendre ma colère. Je m’enferme très souvent.

Dans sa fuite, Samba Sékou Sow, le chauffeur accusé d’avoir tué votre mère, vous a blessé à la main droite. La blessure s’est-elle cicatrisée ?

Non pas vraiment. Trois ans après, je continue à la soigner.

Le samedi 19 novembre 2016, vous  avez découvert le corps sans vie de votre mère, tuée par son chauffeur. Comment avez-vous été alerté?

Tôt le matin de ce samedi, alors que je me trouvais dans ma chambre, j’ai entendu un bruit. Une chute, puis une sorte de voix qui étouffée. Je me suis brusquement levé et j’ai foncé directement vers la chambre de ma mère, d’où semblait provenir le bruit. Quand j’ai voulu ouvrir la porte, quelqu’un l’a immédiatement bloquée de l’intérieur. Ce n’était pas dans les habitudes de ma mère et cela m’a inquiété. J’ai insisté  pour ouvrir, j’ai tenté de défoncer la porte et j’ai entendu une voix d’homme. J’ai crié le nom de ma mère. En vain. J’ai alors compris que c’était grave et j’ai demandé à ma sœur d’aller alerter la police, pendant que moi, je faisais le tour pour aller jeter un coup d’œil dans la chambre à travers la fenêtre. A mon retour dans le couloir qui mène à la chambre de ma mère, je suis tombé nez à nez sur Samba Sow, le chauffeur de ma mère. Je lui ai dit : «Ha c’était vous ?» Je l’ai insulté car j’avais compris qu’il s’en était pris à ma mère. Il a foncé sur moi, parce qu’il voulait s’échapper. Je me suis opposé à sa fuite. Au cours de la bagarre, il a sorti le couteau qu’il avait dissimulé. J’ai vite compris qu’il voulait m’éliminer et j’ai tenté de me saisir du couteau avec ma main droite. Mais c’était par la lame, qui m’a lacéré la paume. Néanmoins, j’ai réussi à le bloquer et il ne pouvait plus retirer le couteau. Je n’ai pu le retenir longtemps dans cette position car je commençais à perdre du sang. Puis, dans un mouvement brusque, il a retiré violemment le couteau et j’ai lâché prise.  Il en a profité pour prendre la fuite. Les gens alertés par les cris ont envahi la maison et j’ai été conduit à l’hôpital.

Au cours de votre évacuation, vous ignoriez que votre mère était déjà morte?

Oui. A l’hôpital où j’ai été admis aux urgences, j’ignorais cela. On m’a caché le décès de ma mère. Et pourtant, au cours de mon évacuation, je n’ai fait que penser à elle, je craignais le pire. J’étais tellement lié à elle que je ne pouvais pas imaginer sa mort. D’ailleurs, jusqu’ici, cela fait maintenant trois ans que cette affaire a eu lieu, je ne suis pas retourné à la maison. Depuis ma sortie de l’hôpital, je loge ailleurs, je ne peux pas retourner à la maison. J’en suis incapable, vraiment. C’est vous dire que les images sont encore intactes dans ma mémoire. Non, cette maison où ma mère est morte dans des conditions aussi atroces, je ne peux pas y retourner. Ma sœur et le reste de la famille sont là-bas, ce sont eux qui viennent me voir là où je vis maintenant, mais moi je ne peux plus y aller.

Que Diriez-vous à Samba Sekou Sow, accusé du meurtre de votre mère, si un jour vous vous trouvez en face de lui?

Je ne le souhaite même pas. Me retrouver un jour en face de celui, qui a froidement assassiné ma mère, je l’ignore vraiment, je ne sais pas si je pourrai me contrôler. Il a été lâche en s’acharnant sur une dame de cet âge, qui vous a couvé et vous a toujours considéré comme son fils. Il a trahi ma mère. Il a été présenté à ma mère par sa tante paternelle et ma mère l’a recruté comme chauffeur. En réalité, on nous a  toujours caché la véritable nature de Samba Sékou Sow. Et c’est faux de dire qu’il a tué parce qu’il avait besoin d’argent. D’abord, ma mère n’en détenait pas, tout l’argent provenant du remboursement des financements avait été versé à la banque. Et cela, Samba le savait car c’est lui qui m’a accompagné à la banque pour faire un dernier versement de 700.000 francs. Il savait qu’il n’y avait plus d’argent à la maison ou à verser à la banque. En réalité, quand cette affaire a eu lieu, ma famille était sans voix. D’abord, on était surpris et ensuite, ma famille était plus préoccupée par ma santé et les funérailles de ma mère. On était sous le choc, certains en ont alors profité pour brouiller les pistes et manipuler l’opinion, en orientant vers la piste du vol pour expliquer le geste de Samba. Je suis persuadé qu’on nous cache quelque chose. Peut-être que ma mère gênait certains.

Vous avez toujours gardé le silence sur cette affaire, même face aux enquêteurs. Vous avez fait une déposition par écrit depuis votre lit d’hôpital, pourquoi attendre maintenant pour parler?

Parce que tout est brouillé dans ma tête. Je suis toujours en colère. J’ai besoin que le coupable, qui a été arrêté, soit jugé pour qu’il nous explique enfin pourquoi il a fait cela à ma mère, qui avait fini par l’adopter. Je ne peux accepter de vivre avec ma douleur, alors que les commanditaires  de ce crime  vaquent tranquillement à leurs occupations et que l’assassin de ma mère reste tranquillement en prison, où semble-t-il, il vit bien sa détention. Personne ne mérite ce qui est arrivé à ma mère.

Des commanditaires, êtes-vous sûr de ce que vous avancez?

Forcément. Le mis en cause, arrêté et placé sous mandat de dépôt à la prison de Rebeuss, a fait des audios pour déclarer qu’il n’a pas agi seul. Il y a aussi que des responsables de la formation politique (Alliance pour la République : Ndlr) à laquelle appartenait ma mère, savent ce qui s’est réellement passé. Certains ont peur de parler, d’autres font preuve d’opportunisme, en préférant se taire pour garder leur poste. Ils étaient tous très liés à ma mère. Pourquoi subitement ils ont disparu de la circulation? Pourquoi n’ont-ils pas répondu à nos différentes interpellations afin que justice soit rendue à ma mère ? Pourtant, ils devaient être les premiers à réclamer justice. En 2017, soit un an après l’assassinat de ma mère, au cours de la première  cérémonie de souvenir, aucune autorité n’est venue, ne serait-ce que pour nous réconforter. J’interpelle les autorités et je les invite à se mettre à  notre place, ma et sœur moi. Perdre sa mère dans ces conditions atroces et continuer à s’interroger, ce n’est pas facile à supporter. Nous voulons la vérité pour faire enfin le deuil de ma mère. Pour nous, l’instruction a trop duré, il y va même de la sécurité  de celui qui a été arrêté. Il s’agite souvent et dit craindre pour sa sécurité. Alors, n’attendons pas qu’il lui arrive quelque chose et que ce dossier soit ainsi définitivement clos. Si cela arrive, les Sénégalais vont se poser plusieurs questions…

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