A une semaine de l’investiture d’Adama Barrow, élu président en décembre, et alors que Yahya Jammeh refuse de céder le pouvoir, la peur gagne la population.
Matelas coincé sous l’aisselle droite, deux grosses valises réparties entre chaque main, Abdoulaye, 42 ans, débarque, jeudi 12 janvier, au poste frontalier de Hamdalay en provenance de la Gambie. Derrière lui, son épouse Rougui porte sur la tête un paquet d’habits enveloppés dans un gros pagne noir, elle tient une bonbonne de gaz à la main droite, sa fillette de 6 ans au dos. Les formalités policières passées, la petite famille entre en territoire sénégalais et affiche un sourire. « Grâce à Dieu, je suis bien arrivé au Sénégal avec la famille, je dois me rendre chez un proche à la commune de Toubacouta située à 18 km d’ici et, là-bas, on attendra de voir l’évolution de la situation en Gambie », confie Abdoulaye avant d’embarquer sa petite famille sur une charrette pour se rendre à la gare routière de la ville frontalière de Karang.
Par ici, charretiers et conducteurs de motos Jakarta ne chôment pas, pris qu’ils sont dans le tourbillon des va-et-vient d’une clientèle qui ne cesse d’augmenter de jour en jour. « Nos parents gambiens viennent massivement ces derniers jours et cela nous fait faire de bonnes affaires. Depuis un peu plus d’une semaine, je rentre chez moi le soir avec au moins 5 000 francs CFA [7,6 euros]. En temps normal, je parviens difficilement à en réunir 2 000 », se réjouit Ibra, charretier.
Nuages d’incertitude
Ils sont nombreux les Gambiens qui quittent leur pays ces derniers jours à la suite de la crise post-électorale qui laisse planer des nuages d’incertitude sur l’avenir de la Gambie. Le président Yahya Jammeh, au pouvoir depuis vingt-deux ans, dénonce des irrégularités dans le scrutin du 1er décembre 2016 qui le déclare vaincu et multiplie les subterfuges pour rester au pouvoir. Jeudi soir, une nouvelle saisie de la Cour suprême par le camp du président Jammeh requiert d’interdire à « toute personne de faire prêter serment et/ou investir Adama Barrow » et à « tout fonctionnaire, parlementaire ou organisation professionnelle d’organiser la cérémonie d’investiture » du nouveau président élu. Face à l’autocrate, les chefs d’Etat de la Cédéao continuent de faire bloc et de promettre de se rendre à Banjul le 19 janvier, date à laquelle la Constitution autorise l’investiture d’Adama Barrow. Une nouvelle tentative de conciliation doit avoir lieu vendredi dans la capitale gambienne, conduite par le président nigérian Muhammadu Buhari.
A mesure que le 19 janvier approche, la peur gagne du terrain. Installé devant son commerce qui fait face à la police frontalière, A. Diallo s’étonne de cette vague humaine : « La ville de Karang est envahie par des Gambiens. Regardez, tous ceux qui débarquent ici viennent avec des matelas, des ustensiles de maison, ils prétextent venir rendre visite à des parents ou des proches, mais ils fuient la situation en Gambie, ce sont des réfugiés déguisés. »
Une source sécuritaire confie au Monde Afrique, qu’il est difficile de quantifier cette arrivée massive de Gambiens en territoire sénégalais pour la simple raison que plusieurs populations profitent de la porosité des frontières pour contourner les postes de police. Cependant, au poste frontalier, le rythme est soutenu avec quelque 1 200 personnes qui quittent la Gambie par jour depuis la semaine dernière.
Pour contenir la situation, le Sénégal a décidé de réduire sa mobilité frontalière jeudi soir avec une fermeture entre 19 heures et 6 heures du matin.
Etablissements scolaires sénégalais pris d’assaut
La peur s’installe aussi chez les parents d’élèves qui sortent leurs enfants du Lycée sénégalais en Gambie pour les inscrire dans les établissements scolaires en terre sénégalaise. « A Karang nous avons reçu un peu plus d’une trentaine d’élèves en provenance de Gambie. Ils sont répartis dans les différents établissements scolaires de la ville », explique un enseignant de la localité.
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Assise sur une pierre à l’entrée de sa nouvelle école, Aïssatou, 11 ans, observe ses camarades jouer. Elle n’arrive pas à participer, trop bouleversée par le dépaysement. « Je viens à peine d’arriver, je ne connais personne ici », souffle-t-elle à travers une bouche timide. Pourquoi elle est là ? Aïssatou répond : « On dit qu’il y aura la guerre en Gambie donc il fallait quitter le pays. »
La crise en Gambie a décidé les autorités scolaires à repousser le jour de la rentrée scolaire après les fêtes du 2 janvier au 25 janvier. Mais, en attendant de voir ce que l’autocrate Jammeh réserve à l’opinion, c’est le sauve-qui-peut.