Cheikh Abdou Khadre Mbacké, imam de la grande mosquée de Touba, ex-Khalife de Cheikh Ahmadou Bamba est célébré ce samedi. Il aura été, durant son séjour terrestre, un roc de stabilité par son immense savoir, sa générosité et sa dévotion inconditionnelle à Allah. Ceux qui l’ont pratiqué, mieux que ceux qui l’ont « connu », auront du mal à se départir de ce vague sentiment de solitude à jamais acquis depuis le rappel à Dieu du quatrième Khalife de Touba, un certain dimanche, 13 mai 1990. Djily avait alors 75 ans?!
Aujourd’hui encore, les fidèles Mourides et la Ummah Islamique continuent à regretter Cheikh Abdou Khadr Mbacké, un exemple de piété, de générosité et d’humanité mêlées. Chacun, en ce saint homme, pourra regretter ce qu’il aura le plus approuvé. De la générosité à la piété, en passant par l’immense savoir, tout mouride aura à regretter une source à jamais intarissable, une mamelle nourricière prodigue en avantages de toutes sortes. Il n’était certes pas le plus âgé de la famille du Cheikh Ahmadou Bamba, mais il avait un charisme tel que tous ses frères reconnaissaient et acceptaient implicitement son autorité morale, par sa droiture, son désintérêt des choses de ce monde, son peu d’attachement aux biens terrestres.
Une naissance sublime
Le Magal de Cheikh Abdou Khadre Mbacké est également une occasion pour revivre les circonstances ayant accompagné la naissance de ce saint homme. À ce propos, la tradition raconte qu’après sa naissance, une nuit de vendredi de l’an 1914 (3 Muharram [Tamkharite] de l’an 1333 Hégire) à Daroul Alim à Ndame, commencèrent les bienfaits qui, toute sa vie durant bénéficiaient aux contemporains de l’Imam de Touba. En effet, dès qu’on lui a annoncé l’heureux événement, Cheikh Ahmadou Bamba a convoqué son frère et homme de confiance, Mame Thierno Ibra Faty pour lui confier la mission de se rendre à Ndame afin de faire le nécessaire requis en pareille circonstance. Au moment du départ, après lui avoir donné sa bénédiction, le Maître aurait dit à Mame Thierno : « Au nom et par la baraka de ce nouveau-né que tu vas visiter, sache qu’au cours de ton voyage, à l’aller comme au retour, tous ceux que tu auras à rencontrer ou à voir sont préservés des flammes de l’enfer?! » Ainsi, dès sa naissance, « Borom Bagdad » a commencé à incarner le bras vigoureux par lequel, Bamba a pourfendu tous les obstacles qui se dressent entre les créatures et leur salut. De tout temps, Djily a eu une influence bénéfique sur son entourage. Par la parole et par l’exemple, il a toujours eu à cœur d’inciter ses semblables à se consacrer sans réserve à Dieu et à son Prophète (PSL).
Une réincarnation de Bamba sur terre
L’imagerie populaire a voulu voir en Serigne Abdou Khadre la réincarnation de Cheikh Ahmadou Bamba sur terre. Pour cause, la plupart des traits de caractère qui ont distingué le fondateur du Mouridisme se retrouvent en Cheikh Abdou Khadre. D’abord, grâce à sa mère Sokhna Aminata Bousso, Djily est de la même lignée que Bamba. Il serait alors un neveu de Bamba, s’il n’avait pas été son fils. Ensuite, sur le plan physique, Cheikh Abdou Khadr n’avait rien laissé de son vénéré père. La ressemblance avec son père était absolument frappante. Même silhouette frêle et menue d’apparence, même vêture sobre, mais adaptée à l’ascèse, même démarche rapide, surtout si la destination est un lieu de dévotion. Leurs traits étaient empreints de la même sérénité et reflétaient le même bienveillant amour pour leur prochain, mais aussi, leur farouche détermination de repousser toute forme de compromis dans le service de Dieu et de son Élu (PSL). La même douce lumière divine illuminait leurs yeux pleins de compassion pour le genre humain. Enfin, tout exactement comme son vénéré père et maître, Serigne Abdou Khadre Mbacké, Imam, aura vécu un séjour terrestre de 75 ans.
Imam de Touba, ami de tout le monde de sa naissance, Djily a hérité une piété si profonde que nul n’est surpris que, tout naturellement, il ait exercé, toute sa vie durant les fonctions d’Imam. D’ailleurs, depuis 1968, date de la disparition de Cheikh Mouhamadou Fallilou Mbacké, il a régulièrement officié à la grande Mosquée de Touba. Il était rare qu’il soit absent de Touba. Toute sa vie durant, il n’a manqué la prière du vendredi à la Grande Mosquée que pendant son séjour en terre saoudienne, pour les besoins du pèlerinage, et durant la dernière semaine ayant précédé son rappel à Dieu. « Borom Bagdad » dirigeait ainsi les offices religieux et procédait lui-même aux prières mortuaires aussi souvent qu’il le pouvait. Un acte positivement interprété par les populations qui y voyaient des preuves, s’il en était encore besoin, d’une profonde humanité, d’une étroite implication dans toute forme d’action dont la finalité est le soulagement, le bonheur des musulmans.
Imam de Touba pendant 21 ans, tous ses faits, gestes et paroles, étaient calqués sur ceux du meilleur des hommes, le prophète Mohammad (PSL). À l’exemple de son père, Serigne Abdou Khadre montrait, à l’approche de l’heure de la prière, un regain d’enthousiasme frisant même l’euphorie. On le voyait alors s’apprêter avec la dernière minutie. C’est que Bamba a toujours considéré la prière comme une comparution devant le Maître du Trône Suprême. Il fallait donc pour cet instant solennel observer un soin corporel et vestimentaire très minutieux. On pouvait alors voir Serigne Abdou Khadre, délicieusement parfumé, se rendre au lieu de culte d’un pas alerte. Ami de tout le monde, l’Imam de Touba avait une popularité telle que tous les habitants de la cité, à commencer par ses frères, le considéraient comme leur guide. D’une nature généreuse, comme son père, Serigne Abdou Khadre était très prodigue de ses prières sur tous ceux qui le sollicitaient à cet effet, surtout les malades qu’il guérissait de façon quasi miraculeuse si, tout bonnement, il ne « mettait pas la main à la poche » pour régler leurs frais médicaux, les ordonnances y comprises.
Un trait d’union reconnu et accepté
Imam, Khalife et ami, Cheikh Abdou Khadre était également un personnage attachant, qui cherchait à mettre tout son entourage à l’aise en sa présence. Il solidifiait les liens familiaux qu’il entretenait. Ainsi, Djily n’hésitait jamais à rendre visite à des parents ou talibés, quelle que soit la distance. Il aimait rappeler les liens de parenté unissant les uns et les autres. Serigne Abdou Khadre se déplaçait souvent à Porokhane pour prier devant le Mausolée de Sokhna Diarra Bousso, à Derkhélé devant celui de Mame Mor Anta Sali, à Khourou Mbacké où repose Mame Habibou Lahi fils de Mame Diarra, etc. Il aimait à rappeler que tous les musulmans sont frères et doivent s’aimer et s’entraider. Aucune Tarikha n’avait de frontière pour lui. D’autre part, les relations de Serigne Abdou Khadre avec ses frères étaient excellentes et très intimes, mais celles avec Serigne Saliou étaient particulières. Ainsi, une célèbre anecdote raconte que quand Serigne Saliou a voulu prendre le Wird Maakouth, il avait écrit une lettre à Serigne Mbacké Bousso, tout en précisant qu’il souhaitait la médiation de Serigne Abdou Khadre dans la transmission. Ce qui laissait Serigne Mbacké Bousso étonné de la foi de Serigne Saliou en Serigne Abdou Khadre.
Le crépuscule du Khalifat Mouride
La tradition, certainement pour tenter de résister à l’amertume qui accompagne toujours le souvenir du rappel à Dieu de Cheikh Abdou Khadre Mbacké, assimile son khalifat à la brièveté de la prière du crépuscule. Ainsi, si Mouhamadou Moustapha, premier Khalife de Bamba était la prière de l’aube, Serigne Fallou celle de « Tisbar » et Serigne Abdoul Ahad la prière de « Takussan » (médiane), Cheikh Abdou Khadr était celle de « Timis ». Une relation bien acceptée par les nombreux disciples qui ne cessaient de bénéficier de la grandeur d’âme de ce saint homme au visage angélique. Serigne Abdou Khadre devait en effet, passer onze brèves lunes sur le khalifat de Touba, à un moment où les larmes étaient encore chaudes. Qui pleuraient Serigne Abdoul Ahad Mbacké, son aîné et prédécesseur au Khalifat. Il a fini de remplir sa mission terrestre le 13 mai 1990, laissant le souvenir d’un homme au visage empreint d’une douceur angélique. Par-dessus ses lunettes qu’il portait très bas sur le nez, son regard indulgent traduisait toute la profondeur de son grand cœur, caressait et éclaboussait une généreuse et débordante magnanimité l’assistance venue solliciter ses bénédictions. Alors, c’est tout naturellement que son mausolée situé à l’Est de ce monument incomparable de la Foi qu’il a servie jusqu’à son dernier souffle, refusera du monde aujourd’hui. Puisse son aura et sa baraka rejaillir sur le peuple musulman, et l’inspirer dans sa quête de la béatitude éternelle par le moyen de la constance, dans la voie tracée par Cheikh Ahmadou Bamba.
C’est cet homme ci-dessus décrit qui est célébré ce jeudi 13 décembre 2018 à Touba.
Auteurs : Mamadou Moustapha Mbaye (Dakaractu) et Mansour Ndiaye ( ancien du journal l’Office)