Entre autres questions importantes, le projet de révision constitutionnelle soumis à referendum donne une occasion unique de mettre le doigt sur deux enjeux majeurs de choix de société qui mériteraient, pour chacun, un referendum à part : la question de la laïcité et celle de la langue officielle.
Sur la lancinante question de la langue officielle, j’avais adressé une lettre ouverte aux membres de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) en septembre 2014 sous le titre « Décolonisez notre Constitution » suite au dépôt de son rapport sur le bureau de Monsieur le Président de la République. Je disais notamment : « …à défaut d’avoir fourni les efforts nécessaires pour codifier nos langues nationales et les porter à la modernité, pour rendre la science et les techniques accessibles au plus grand nombre, donnons un signal fort dans notre Constitution en ramenant le français à sa place de langue d’usage dans l’administration et de langue de communication internationale à l’instar de l’Anglais et de l’Allemand, du mandarin et de l’Arabe. Rien ne justifie plus la spécification du Français dans notre charte fondamentale qui engage plus de 70% de nos compatriotes qui ne parlent ni ne lisent dans cette langue. A contrario, la promotion de nos langues maternelles, je préfère ce mot à « nationales », devrait-être érigée en priorité constitutionnelle. Nos langues maternelles conservent et perpétuent notre patrimoine culturel et nos valeurs de civilisation. Elles sont essentielles à la survie de notre identité… »
Il me semble, pour le moins évident, qu’il est incompréhensible que l’on demande à une population, qui pour l’écrasante majorité (70%) ne parle ni ne lit le français, de se prononcer sur un texte écrit dans cette langue. Il s’y ajoute que le langage hermétique des juristes complexifie pour au moins les 25% restants la compréhension du texte. Le sens profond du référendum ne passionnerait donc que 5% d’initiés et je vois large ! Au demeurant, et dans ce mouchoir de poche, les points de vue sont si différents, pour ne pas dire divergents, que l’on peut se demander à quelle urgence répond la tenue d’un référendum dans ces conditions, la question de la diminution du mandat en cours étant évacuée ? Le oui ou le non exprimeraient-ils, dans ces conditions, une réalité sociale et politique ?
Pour ce qui est de la laïcité, je disais aux honorables membres de la CNRI ce qui suit :
«Je propose que la première phrase du Préambule de notre Constitution soit formulée comme suit :
Nous, Peuple du Sénégal affirmons solennellement notre attachement à ce qui suit :
Le Peuple du Sénégal est un peuple de croyants où cohabitent harmonieusement, et en majorité, musulmans et catholiques. La liberté de culte est garantie pour tous les citoyens et celle des minorités confessionnelles autres est protégée.
Je propose, en conséquence, la suppression du mot « laïcité » de notre Constitution. Le Sénégal est un pays de croyants. Cela est la réalité. Il faut en tirer toutes les conséquences et bâtir notre Nation sur ce socle fondateur. Le mot « laïcité », intraduisible dans nos langues maternelles me semble bien étranger à nos réalités et serait en contradiction avec le dernier mot de notre devise : Un Peuple-Un but- Une Foi »
Serions-nous plus frileux que les États-Unis de d’Amérique dont la devise est : In God we trust(En Dieu nous croyons) ? Ressemblons à ce que nous sommes ! »
Ces deux questions fondamentales sont essentielles. Elles méritent d’être bien posées et explicitées au Peuple Souverain. La question de la diminution ou non du mandat en cours parait d’une grande banalité face à la Révolution mentale et culturelle qu’induirait une réelle prise de nos responsabilités sur ces questions. La Constitution « sénégalaise » issue de la colonisation est une pâle copie de celle de la Cinquième République française. En dépit de liftings successifs, cette Constitution ne ressemble pas aux sénégalais dont les 90% ignorent la teneur. Ayons le courage de la remettre en question, d’en simplifier le contenu, d’en diminuer le volume afin que son sens profond pénètre chaque citoyen et devienne son miroir, le reflet de ses aspirations.
Mais voilà, il faudra beaucoup de courage aux 29% de francophones sénégalais (selon les chiffres de l’Organisation Internationale de la Francophonie OIF) pour sortir du formatage de l’école française et penser AUTREMENT le destin de notre Peuple. À ceux de ma génération qui sont vers la soixantaine, je rappelle nos rêves de jeunesse, nos aspirations à la construction d’un pays vraiment INDEPENDANT. Un pays, construit par le génie de ses propres enfants, pour le bonheur et l’épanouissement de tous ceux qui aspirent à y vivre dans le respect de nos valeurs. Refonder notre République est une impérieuse nécessité. Les sources d’inspiration ne manquent pas dans notre histoire, nos coutumes, et les défis de notre temps. Entendons-nous sur les fondements de cette œuvre exaltante seule digne de mobiliser nos talents et toutes nos énergies. Ne nous enlisons pas dans les détails techniques d’un juridisme tropical. Voyons plus grand. Visons plus haut ! L’annulation du référendum du 20 mars est, dès lors, un choix nécessaire.
Amadou Tidiane WONE