Entre la loi et le lexique, il y a le péril…Par Babacar Justin Ndiaye
L’Assemblée nationale a voté, dans le tumulte, le Projet de loi soumis et défendu par le gouvernement de la République. Le volet institutionnel est ainsi fermé mais la partie politique reste encore béante et effervescente. D’où la nécessité de promener un faisceau de lumière plus technique que politique, sur l’objet, le moteur et les implications de la modification. Une mouture nettement renforcée voire corsée qui modifie substantiellement et revigore grandement le Code pénal et le Code de procédure pénale.
En rattachant solidement et globalement cette vigoureuse initiative à la lutte contre le terrorisme, l’Exécutif montre un cocktail de forces et de faiblesses. Visiblement, l’État a le double culte de la loi et de l’ordre (posture irréprochable et encourageante) mais ne possède pas le sens du lexique exact et approprié ; encore moins celui du parfait cadrage de la menace indexée. Une menace qui n’est pas imaginaire. Loin s’en faut.
En termes justes, le Sénégal n’est pas sous l’emprise démentielle du terrorisme, malgré sa proximité avec un État agressé ou terrassé par le phénomène. Preuve que le gouvernement ne dort pas. Par contre, le Sénégal est gravement guetté par le péril dérivé ou découlant du terrorisme. Terrorisme ! C’est justement cette sémantique boueuse, vaseuse et non claire, abusivement employée aussi bien dans l’exposé des motifs que dans les discours, qui a conduit le Député Serigne Mansour Sy Djamil à pousser le débat jusqu’aux entrailles de l’Histoire (évocation des noms de Cabral, de Neto etc.) et jusqu’aux limites de la philologie.
Pourtant l’actualité surchauffée de la sous-région et le panorama en feu du Sahel apportent de l’eau et beaucoup d’eau au moulin du gouvernement logiquement alarmé par le brasier malien et par les étincelles en Mauritanie où le bras de fer risqué entre deux Généraux ayant des clientèles politiques et tribales dans l’armée mauritanienne peut déboucher sur une grosse secousse. Un pays voisin et partenaire pétro-gazier du Sénégal. Faut-il y ajouter que l’exploitation optimale du pétrole sénégalais est tributaire de la stabilité en Mauritanie ? Bref, le terrorisme n’est pas patent dans l’espace national mais imminent, puisque le Sénégal est désormais en « full contact » avec le djihadisme, au vu du tampon malien qui a sauté. Et du glacis mauritanien qui est éprouvé.
Question : l’Exécutif devait-il attendre que le pays fût allumé pour inventer la parade ? Certainement pas ! Autre question de taille : pourquoi de gros pans de l’opinion publique n’ont pas donné leurs assentiments à une loi très prospective en matière de défense et de sécurité nationales ? Autrement dit, pourquoi l’Exécutif et sa majorité parlementaire ont perdu la bataille de l’opinion ? Pourtant, force est de reconnaître que dans ces deux domaines cruciaux, le gouvernement n’a pas mis la charrue avant les bœufs. Bien au contraire. Mais, il n’a pas efficacement ou suffisamment communiqué autour…de la charrue et des bœufs.
En effet, la politique de protection du sanctuaire national est excellente. La Défense étant constitutionnellement la chasse gardée ou le domaine réservé du Président de la république, on peut dire que Macky Sall a remarquablement anticipé, en mettant en place un dispositif bien gradué ou échelonné d’ouest en est, de Dakar à Tambacounda. Le GARSI de la gendarmerie (cantonné à Kidira) écume, c’est-à-dire veille sur toutes les terres que baigne la Falémé, frontière naturelle et juridique avec le Mali. Le chapelet de bases est allongé par les nouveaux camps militaires de Koungheul et de Goudiry. L’aérodrome réactivé et agrandi de Kaolack maximise les capacités logistiques. Dans le même ordre d’idées, les Forces spéciales – réels atouts dans la guerre asymétrique contre le terrorisme – sont équipées et entrainées. Enfin, le Renseignement national dans ses diverses branches (les canaux d’informations de la Police, les bulletins réguliers de la Gendarmerie et les renseignements à caractère strictement militaire) tourne à plein régime. En un mot, le pays est paré.
Regrettablement, la mauvaise et globale communication du gouvernement – jamais à flux continus et soutenus –, la prestation moyenne d’un Ministre de la Justice sans talent oratoire et un fâcheux concours de circonstances (le départ médiatiquement très bruyant du Général Jean-Baptiste Tine du Haut-Commandement de la Gendarmerie) ont ancré chez nombre de citoyens, le sentiment fort que le Projet de loi, transformé en loi, neutralise l’opposant qui a constitutionnellement pignon sur rue, avant de boxer sévèrement le terroriste.
Enfin, sur le terrain prosaïque de la vie de tous les jours, les modifications relatives au Code pénal et au Code de procédure pénale vont engendrer des situations cocasses et injustes : les pilleurs associés d’un magasin Auchan à Dakar seront traités comme des terroristes du Sahel ; tandis que les bandes de voleurs de bétail dans le Ferlo garderont leurs statuts de voleurs ordinaires. Pourquoi les vaches de Ranérou sont-elles moins sécurisées que les cageots de bière des supermarchés de Rufisque ? Entre Dakar et Linguère, le Code pénal fera des contorsions dignes d’un trapéziste. Manifestement, l’équité judiciaire accuse un retard par rapport à l’équité territoriale.
Babacar Justin Ndiaye