Après l’histoire des appels entrants, l’amende de 14 milliards et la 4G, Orange défie à nouveau l’Artp sur la hausse des tarifs. Une attitude qui, au-delà des nouveaux instruments juridiques du régulateur, interroge la souveraineté de l’Etat sur un secteur aussi stratégique.
Voilà plus d’un mois que l’opérateur de téléphonie Orange a procédé à une hausse des prix, par le biais de nouvelles offres. Une décision qui n’est pas passée auprès des consommateurs et des décideurs.
En effet, en dehors d’une campagne pour un boycott et un départ massif vers d’autres opérateurs, il y a surtout l’intervention des autorités sénégalaises pour faire revenir la filiale de France Télécom (47 % du capital, selon l’Artp) sur sa décision.
Il y a eu d’abord l’invite de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp), ensuite la convocation du directeur général de la société par le président Macky Sall. Puis la mise en demeure de la boîte par le régulateur. Mais depuis lors, rien n’a changé. L’opérateur est resté sourd à l’indignation populaire et surtout aux appels des tenants du pouvoir.
Ce qui pose un problème de rapport de force entre la société de téléphonie et l’Etat du Sénégal, l’Artp en particulier. Pourtant, le régulateur dispose, aujourd’hui, de tous les moyens lui permettant de contraindre Orange à revenir sur cette hausse.
Dans sa décision n°2019-007, l’Artp a désigné Orange comme un opérateur puissant sur le marché de détail, à la fois pour l’accès à l’Internet mobile, la voix, ainsi que l’accès à l’Internet fixe haut débit résidentiel ou non. La Sonatel est d’ailleurs la seule société qualifiée de puissante par l’Artp sur ces 4 marchés de détail.
Un opérateur est réputé puissant, selon l’article 79 du Code des communications électroniques, dès lors qu’il a 25 % d’un marché en volume ou en valeur.
Or, Orange représente à lui seul 82,4 % du chiffre d’affaires des communications électroniques au Sénégal en 2019, contre 11,5 % pour Free et 5,9 % pour Expresso. Si l’on sait que ce secteur pèse 762,89 milliards, on comprend alors combien Orange est liquide. Mieux encore, Orange qui a juste 53 % de parts de marché en parc, totalise 71 % des parts de marché en valeur.
Le nouvel arsenal de l’Artp
Orange reste donc un opérateur puissant sur toute la ligne. Or, l’Artp a prévu, dans ce cas, des dispositions particulières. «Les opérateurs puissants sur un marché sont alors soumis à des obligations particulières, en matière d’interconnexion et d’accès, en application des articles 80 et 81 du texte sus-rappelé (loi 2018-28 du 12 décembre 2018 portant Code des communications électroniques : Ndlr) comprenant notamment l’obligation de publier une offre de référence», précise l’Artp dans sa décision n°2019-007.
Pour comprendre ce que disent les articles 80 et 81 dudit code, il faut voir le décret précisant les règles applicables aux opérateurs puissants daté du 14 février 2019. L’article 13 prévoit que «l’Autorité de régulation peut aussi imposer aux acteurs puissants des obligations de nature tarifaire sur leurs offres de détail (…) A cet effet, l’autorité de régulation peut imposer aux opérateurs puissants un contrôle ex ante de leurs offres et tarifs (y compris promotionnels) sur le marché de détail».
L’article 14 va dans le même sens et renforce les pouvoirs de l’Artp face à l’ogre Orange. «L’Autorité de régulation peut aussi fixer des prix plafonds pour prévenir l’abus d’une position dominante sur les marchés de gros ou de détail». Cet encadrement peut se faire sur plusieurs années avec une évolution progressive des prix en tenant compte du marché et des investissements.
Et en cas de refus d’obtempérer, l’Artp peut infliger au récalcitrant une amende équivalant à 3 % de son chiffre d’affaires de l’exercice précédent. Ce qui représente des milliards pour un opérateur comme Orange.
Autant de moyens qui font dire à l’Association des usagers des Tic (Asutic) que «l’Artp dispose, ainsi, de pouvoirs réglementaires pour prendre la décision d’annuler les nouvelles offres d’Orange Sénégal».
Global Voice, amende 14 milliards et 4G
Cependant, une chose est de disposer de moyens. Les utiliser en faisant preuve d’autorité en est une autre bien différente. En effet, en interrogeant les relations entre l’opérateur dominant et le régulateur, on se rend compte que l’Artp a toujours eu du mal à imposer son autorité à Orange.
Avec l’épisode Global Voice, le gendarme des télécoms a eu toutes les difficultés pour installer le matériel de contrôle chez Orange, alors que chez Expresso et Tigo, ça s’est fait sans bruit. En juillet 2016, l’Artp a infligé une amende historique de 13,9 milliards à Orange. Deux mois plus tard, c’est-à-dire en septembre, la somme a fondu comme du beurre au soleil jusqu’à 1,5 milliard.
Auparavant, en janvier 2016, alors directeur général de l’Artp, Abdou Karim Sall a organisé une conférence de presse pour déclarer que les 3 opérateurs nationaux seront exclus de la 4G pour «non-participation collective et coordonnée». Sall de qualifier d’«entente illicite» la démarche des 3 compagnies qui ont envoyé une lettre commune au régulateur. Mais en juin 2016, Orange obtient la 4G en plus du renouvellement de sa concession. Pour Ndiaga Guèye, Président de l’Asutic, c’était du bluff, de la pure communication.
Quoi qu’il en soit, tous ces faits montrent la faiblesse de l’Artp face à Orange. Il reste maintenant à voir si le nouveau Code des communications électroniques va donner plus de poigne au gendarme des télécoms.
Pour l’instant, l’Artp a imposé son autorité à Free, en l’obligeant, en novembre 2019, à retirer le WhatsApp gratuit de ses offres. La conférence de presse de ce matin du directeur de l’Artp, Abdoul Ly, sera sans doute le moment décisif dans les rapports de force Orange-Artp.
Mais pour le président de l’Asutic, la meilleure façon de contraindre Orange est de renforcer la concurrence et non faire semblant avec des fournisseurs d’accès internet ou des opérateurs virtuels qui ne peuvent pas influer sur le secteur. «Le marché des télécoms est un oligopole. Si on veut un marché concurrentiel, il faut faire venir un 4e opérateur», préconise-t-il.
Perte de souveraineté
Une idée soulevée, il y a quelques années, par le président Macky Sall, mais restée sans suite depuis lors. Ndiaga Guèye pense que la campagne médiatique menée à l’époque par Orange y est sans doute pour quelque chose.
Coordonnateur du mouvement Y’en a marre, Aliou Sané pense qu’il faut aller au-delà du «combat ponctuel» sur les offres illimix ou même la question de concurrence. « Cette situation montre tout simplement que l’Etat a perdu sa souveraineté sur ce secteur stratégique au profit d’une multinationale, à savoir France Télécom qui a éclipsé Sonatel qui était une fierté nationale», regrette Aliou Sané.
D’après l’activiste, cette augmentation suivie du refus de Orange de revenir sur sa décision montre que c’est France Télécom qui contrôle toute la stratégie et les décisions importantes. «Si on avait une société nationale, on ne serait pas dans la situation où notre autorité peine à faire revenir cette société de téléphonie sur sa décision».
D’où l’intérêt, selon lui, de mener le combat sur les illimix, mais surtout mettre la pression sur les autorités pour que la question de la souveraineté soit mise sur la table.
En attendant, Sané se félicite d’une campagne intense contre le diktat de Orange. Une posture qui, à ses yeux, explique que la société soit sortie de sa tour d’ivoire, à travers son team management, pour essayer de s’expliquer. Cette même pression qui a fait d’ailleurs réagir l’Artp qui, rappelons-le, avait validé toutes ces nouvelles offres d’Orange avant de se raviser. «Cette campagne a porté atteinte à l’image de Orange au niveau national et international», se réjouit-il.
Soit ! Mais pour Ndiaga Guèye et d’autres associations de consommateurs, il y a encore plus efficace : le déménagement !