Inspiré par les travaux de l’infectiologue marseillais, Didier Raoult, le docteur Moussa Seydi est devenu une référence en matière de lutte contre coronavirus dans son pays. ”Il faut tout faire pour que la lutte contre l’épidémie réussisse”, dit-il. Pour Marianne, il évoque le fruit de ses premières observations qui semblent plutôt encourageantes.
Marianne : Le Sénégal enregistre très peu de cas graves et un faible taux de mortalité. Comment expliquer ces bons résultats, alors que les mesures sanitaires sont a priori plus souples que dans d’autres pays du continent ?
Moussa Seydi : L’explication peut tenir en plusieurs points. D’abord, il y a eu des mesures fortes dès le départ concernant la fermeture des frontières, ce qui a empêché la multiplication des cas de Covid-19 importés. L’interdiction des grands rassemblements comme les prières du vendredi nous ont également permis de réduire d’emblée le flux de nouveaux cas. Ensuite, nous avons pris en charge les cas que nous avons eu de manière assez précoce. Dès le 19 mars, nous avons mis en place un protocole de prise en charge des patients les moins graves avec un traitement à l’hydroxychloroquine – molécule dérivée de la chloroquine, ndlr. Traitement sur lequel pour l’instant j’observe de bons résultats concernant la réduction de la charge virale. Enfin, le troisième facteur est la jeunesse de la population. De fait, nous n’avons pas beaucoup de cas graves. Néanmoins nous avons des inquiétudes en ce qui concerne la multiplication cas communautaires (patients contaminés par une source non identifiée, ndlr). Il s’agit d’un danger imminent qu’il faut que l’on surveille rigoureusement.
Dès les premiers cas identifiés au Sénégal, vous avez fait le choix d’utiliser de la chloroquine pour traiter les patients atteints du Covid, en vous inspirant des travaux de l’infectiologue marseillais Didier Raoult, pourquoi ?
Cette étude a des failles et des imperfections mais j’ai trouvé ses résultats intéressants malgré tout. Comme le docteur Raoult, nous avons constaté une baisse de la charge virale au bout d’une semaine. Ce qui induit une guérison plus rapide. Le rapport bénéfice/risque est en faveur des bénéfices. Je considère que je ne perds rien en apportant ce traitement à mes patients. D’autant plus que je n’ai pas constaté d’effets secondaires. Pour l’heure, les résultats sont là. S’ils se confirment à long terme, tant mieux, on continuera. Sinon, on arrêtera. En attendant nous avons une attitude raisonnable. Nos patients sont suivis comme dans un essai clinique.
Par ailleurs je tiens à préciser que je ne connais pas Didier Raoult. Je ne l’ai jamais rencontré et ne savais pas qu’il avait vécu à Dakar. Cette démarche que j’ai vis à vis de la chloroquine n’a donc rien de sentimentale. C’est de l’ordre de l’urgence médicale.
Justement, en parallèle de cette utilisation, réalisez-vous des études ?
Bien sûr ! Non seulement nous allons démarrer une étude, mais nous allons même faire une analyse rétrospective. A ce moment-là nous pourrons discuter et analyser les résultats. Nous pourrons aussi définir si les améliorations constatées sur les patients après l’injection du traitement à la chloroquine sont dues à l’effet placebo ou non.
A-t-il été question de traiter l’ancien président de l’Olympique de Marseille Pape Diouf, décédé le 31 mars du Covid-19 ?
Nous sommes soumis au secret médical. Je ne donnerai donc aucune information particulière sur ce patient. Il est décédé alors qu’il avait été admis en réanimation. De manière générale, je peux vous dire que nous remarquons l’efficacité de l’hydroxychloroquine lorsqu’on l’administre à des patients qui n’ont pas atteint un certain stade de la maladie. Quand on a besoin d’une aide respiratoire, l’hydroxychloroquine n’est pas utile car l’avancée de la maladie est trop importante. La molécule a une utilité pour empêcher les cas de s’aggraver.
Comment expliquer que l’utilisation de la chloroquine fasse moins débat au Sénégal qu’en France ?
Ici au Sénégal et plus généralement sur le continent africain, tout le monde a bouffé de la chloroquine. C’est une molécule très connue qui a été utilisée dans le traitement contre le paludisme. En Europe, le paludisme n’est pas un problème de santé publique, alors les gens connaissent moins et se posent davantage de questions. C’est d’ailleurs une réaction normale.
Par ailleurs, je constate qu’il y a une sorte d’hystérie collective autour de ce traitement. Ce qui est clair, c’est que l’étude de Didier Raoult a des failles et ceux qui essaient de dénigrer son travail ont jusqu’à présent aussi ont des failles. Les seules études qui nous permettront d’être plus à l’aise, ce sont celles de l’OMS avec un test sur 800 patients, ou encore l’essai clinique européen Discovery. Il s’agira d’études plus posées et certainement mieux documentées. Celles-ci permettront de se questionner sur nos attitudes et ainsi juger si elles sont condamnables sur le plan scientifique, pas sur le plan médical.
Car pour ma part, j’ai un produit entre les mains que je considère comme non dangereux pour mes patients. Et j’ai la possibilité de l’utiliser pour soigner les malades dans l’urgence, alors je l’utilise. Il faut tout faire pour que la lutte contre l’épidémie réussisse.
L’Organisation Mondiale de la Santé est assez réservée au sujet de la chloroquine. N’avez-vous pas l’impression d’aller contre son avis ?
L’OMS dit qu’il ne faut pas l’utiliser mais c’est normal, c’est une organisation. Elle utilise l’orthodoxie. Mais nous ne sommes pas dans la même position. Les positions des uns et des autres peuvent influer sur la posture.
Je ne suis ni contre, ni avec l’OMS. Mais si j’y travaillais et que je n’avais pas de malades entre les mains, mais la charge de la santé mondiale, je ne m’engagerai pas sur un traitement dont on n’a pas prouvé à 100% l’efficacité. Néanmoins, je crois que les cas particuliers ce n’est pas à l’organisation mondiale de la santé de les gérer. Pour ma part, j’ai des malades dans les hôpitaux de mon pays et j’ai un traitement que je peux utiliser, qui n’est pas nocif, alors je l’utilise. Ces patients sont sous ma responsabilité. Je suis professeur à l’université et chercheur mais je suis médecin avant tout.
L’Institut Pasteur de Dakar, en partenariat avec la société britannique Mologic, s’est fixé l’objectif de mettre sur le marché dès le mois de juin des tests rapides pour diagnostiquer les personnes atteintes du Covid-19 en dix minutes. Il est nécessaire de tester le plus de monde possible ?
Aujourd’hui au Sénégal, nous ne testons que les personnes qui ont des symptômes et qui nécessitent une prise en charge immédiate. Et là je vous parle de Dakar, les moyens ne sont pas les mêmes dans les autres régions du Sénégal. Alors, si on a des tests qui peuvent faire le diagnostic en dix minutes et qui ne coûtent pas cher, il faut absolument faire le dépistage massif. Dépister c’est permettre de connaître les cas et de les isoler pour éviter qu’ils ne contaminent plus de monde.
Même si vous dépistez 1.000 personnes pour n’en trouver qu’une seule positive c’est utile. Plus on fait de dépistages, mieux c’est. Cette initiative est une très bonne chose. J’admire ce qu’il se fait en Corée du Sud où l’on dépiste même dans la rue.
Le Sénégal a une réelle histoire en recherche et développement en matière d’épidémies. L’Institut Pasteur de Dakar a notamment produit un vaccin contre la fièvre jaune. Cette crise du Covid-19 peut-elle être l’occasion de montrer que la capacité d’innovation en Afrique est importante ?
Oui la capacité d’innovation est réelle. Elle l’est pour tous les pays à des degrés différents. L’Institut Pasteur que nous avons la chance d’avoir au Sénégal est très puissant et sera capable de produire des vaccins contre l’épidémie. Maintenant je ne veux pas faire de publicité. Chercheurs, médecins… on doit tous faire notre travail. Nous, pays africains, devons prendre notre destin en main malgré les retards que nous avons en matière d’infrastructures. Nous ne devons pas rester là, à consommer sans produire. Si l’on veut des vaccins il faut en produire. Nous en sommes capables.
Pour l’instant la catastrophe annoncée sur l’ensemble du continent n’a pas lieu. Il faut être prudent, mais qu’en pensez-vous ?
Le pire n’est pas encore arrivé et nous souhaitons que cela n’arrive jamais, mais nous devons continuer de nous préparer. A l’heure où nous sommes, le fait que la catastrophe ne soit pas arrivée ne veut pas dire que nous en sommes exemptés. C’est l’erreur fatale, c’est l’erreur monumentale, c’est l’erreur inacceptable à ne pas commettre. Nous devons considérer que le pire peut encore arriver sur le contient africain. Parce que c’est quand on se prépare au pire que l’on peut faire face en situation de difficulté.
NB: nous avons changé le titre de l’interview de Marianne
Avec Pressafrik