Le 4 avril 1960, date de signature des accords de dévolution du pouvoir à la Fédération du Mali, a été retenue comme date de commémoration de l’indépendance du Sénégal. Elle est en fait une étape parmi d’autres d’un processus qui s’accélère de 1959 à 1960.
Lors du référendum sur la constitution de la Ve République française, le 28 septembre 1958, les pays d’Afrique francophone ont voté pour le maintien de leur pays dans la « Communauté » proposée par Paris. Seule la Guinée a voté contre. Mais au sein de cette Communauté, les positions du Sénégalais Léopold Sédar Senghor et de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny s’opposent. L’un veut travailler à l’unité africaine en passant d’abord par des fédérations sur le type de l’AOF (Afrique occidentale française) et de l’AEF (Afrique équatoriale française). L’autre défend des liens directs entre la France et les pays africains.
En novembre 1958, le président du Grand Conseil de l’AOF, Gabriel d’Arboussier, présente une étude détaillée sur la question d’une « fédération primaire ». Il en détaille les grandes lignes lors d’une conférence de presse. La mise en place d’organes fédéraux, explique-t-il, est la seule solution qui permettra à l’Afrique de surmonter ses divisions internes tout en respectant la personnalité de chaque territoire. Elle permettra aussi, il en est convaincu, d’accélérer la marche du progrès économique et social.
Décembre 1958, la réunion fondatrice de Bamako
Les fédéralistes se retrouvent les 29 et 30 décembre à Bamako, en plénière puis en commissions. Félix Houphouët-Boigny, en désaccord complet avec leurs options, a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne serait pas présent. Dans la proclamation effectuée par les délégués à l’issue des travaux, le Soudan (actuel Mali), le Dahomey (actuel Bénin), le Sénégal et la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) expriment « la volonté de former entre les États d’Afrique occidentale membres de la Communauté, une fédération primaire ». La réunion d’une Assemblée fédérale constituante est prévue. Celle-ci se réunit à Dakar du 14 au 17 janvier 1959 et établit la loi fondamentale de la « Fédération du Mali », du nom d’un ancien empire ouest-africain.
La Haute-Volta et le Dahomey se désolidarisent cependant du projet. À Ouagadougou, le président du conseil de gouvernement, Maurice Yaméogo, se laisse convaincre d’abandonner l’approche fédéraliste et fin février 1959, il soumet aux députés un projet de constitution dans lequel « la Haute-Volta adhère individuellement à la Communauté ». Il explique : la Fédération du Mali risque de constituer un écran entre la Haute-Volta et la Communauté… L’économie voltaïque est trop imbriquée à l’économie ivoirienne pour regarder vers Dakar plutôt que vers Abidjan. Même changement d’avis chez Sourou Migan Apithy, qui dirige le gouvernement provisoire de la République au Dahomey. Présent à la réunion fondatrice de Bamako, il refuse de participer à la Constituante de Dakar – il est passé entretemps par Paris. Il ne cache bientôt plus « sa profonde conviction que la Constitution fédérale était de nature à nuire au libre épanouissement de l’économie du Dahomey ». Il se rapproche des anti-fédéralistes dahoméens, qui remportent les élections législatives du 2 avril.
Le Sénégal et le Soudan restent donc seuls à bord du projet fédéral. En septembre 1959, Mamadou Dia et Modibo Keïta indiquent aux autres pays de la Communauté leur décision de faire valoir le droit à l’indépendance de la Fédération du Mali. En décembre, à Saint-Louis, De Gaulle manifeste publiquement son accord avec la démarche engagée. Il adresse ses salutations à « Ceux du Mali » et déclare que cette évolution « s’est produite et continue à se produire, non seulement avec l’accord, mais avec l’aide de la France ».
La Fédération du Mali à l’épreuve
Les négociations débutent le 18 janvier 1960. Elles se terminent le 4 avril (date retenue, donc pour marquer l’indépendance sénégalaise). Des accords franco-maliens de transfert de compétences sont paraphés pour certains, signés pour d’autres sous les ors de l’hôtel Matignon à Paris. Modibo Keïta prend la parole pour la Fédération du Mali : « À une indépendance arrachée dans le sang, dit-il, nous avons préféré l’indépendance acquise dans l’amitié avec la France. »
Les accords sont ratifiés en juin par les deux États, qui votent également le transfert au Mali des compétences communes. Le 20 juin, l’indépendance de la Fédération du Mali est solennellement proclamée à Dakar.
Les tensions ne tardent pas à naître, autour de la désignation des dirigeants de la Fédération. Qui des Sénégalais ou des Soudanais doit fournir le président du Mali ? Qui doit fournir son chef d’état-major ? Une conférence est prévue le 20 août pour régler la question de la répartition des fonctions. Dans les jours qui précèdent cette réunion, Soudanais et Sénégalais engagent un bras de fer sur le contrôle de la gendarmerie, au cours duquel ordres et contrordres sont émis.
Chacun est persuadé que l’autre veut aller à l’épreuve de force et se prépare en conséquence. Le vendredi 19 août, dans la soirée, Modibo Keïta fait convoquer un conseil des ministres qui décharge Mamadou Dia de la Défense et proclame l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire malien. Mais les Sénégalais parviennent à retourner la situation. Dans la nuit, ce 20 août 1960, l’assemblée est réunie. Les députés abrogent la loi de transfert de compétences à la Fédération du Mali. Le Sénégal proclame son indépendance.
RFI.FR