Réaction violente des pêcheurs de Saint-Louis : les raisons d’une frustration

Le chaos indescriptible qui s’est saisi de la ville de Saint-Louis, jadis terre de paix et de calme, mérite une réflexion profonde pour trouver la racine du mal. Les affrontements de ce mardi 4 février 2020, ne sont que le fruit d’une colère longtemps accumulée. Les pêcheurs de la Langue de Barbarie sont dans la dèche depuis quelques années, situation imposée par le repli sur soi de la Mauritanie voisine qui donne du fil à retordre auxdites populations. Guet-Ndar et environs, qui ne comptent que sur l’économie maritime, nagent ainsi dans la tourmente. Pour éviter le chômage dans lequel ils sont confinés d’office, les pêcheurs font cap sur d’autres horizons, en attendant des licences de pêche mauritaniennes qui tardent toujours à venir.

La violence ne saurait être cautionnée, sous quelque forme et pour quelques raisons que ce soit. Cependant, l’explosion de colère à laquelle Saint-Louis a assisté, trouve sa raison dans le fait que les pêcheurs aient perdu l’espoir de retrouver leur seule source de revenue, la seule chose qu’ils sachent faire : la pêche. Saint-Louis présente aujourd’hui une économie mourante due au ralentissement de cette activité qui plombe ainsi bien d’autres activités qui en dépendent étroitement comme le fumage des poissons, le mareyage, la revente en gros ou en détail dans les poissonneries de Ndar-Toute, de Sor ou de Diamalaye.

Le Saint-Louis d’aujourd’hui contraste affreusement avec celui d’hier. Tout semble avoir changé excepté l’indéfectible attachement de la population à la pêche ; ce qui fait que la vieille ville garde toujours son statut d’économie poissonnière. Malgré les sentiers entamés pour faciliter l’exploitation du pétrole découvert il y a quelques années, Ndar-Toute et le reste de la Langue de Barbarie ne peuvent aucunement aspirer à l’industrialisation pour plusieurs raisons. La plus éloquente est relative à l’étroitesse de l’espace ceinturé par le fleuve à l’Est et l’océan à l’Ouest, lequel espace est inadapté à l’installation d’industries à même de satisfaire les jeunes quant à leur demande d’emploi.

La pléthore de pirogues immobilisées de part et d’autre des rives et de la mer est la preuve par neuf que rien ne bouge dans la ville de Mame Coumba Bang. Cet arrêt de travail, qui dure parfois des mois, est à mettre sur le dos des pouvoirs publics. Depuis le temps où ils réclament les licences de pêche, et cela fait des mois, les pêcheurs ne reçoivent que des promesses en lieu et place d’actes concrets. Voilà une situation qui témoigne de l’ineffectivité de notre diplomatie avec les voisins immédiats dont Nouakchott. Et pourtant, les populations de Saint-Louis espéraient un allègement des conditions d’octroi des licences lors du voyage du Chef de l’Etat Macky Sall en Mauritanie, le 21 décembre 2018. Cette visite faisait suite à la signature d’un protocole d’accord entre les ministres mauritanien et sénégalais de la pêche, le 19 décembre 2018. Il était conclu alors que 400 licences de pêche seraient octroyées aux pêcheurs de Saint-Louis pour une durée d’un an. Plus d’une année après, la mise en œuvre tarde à se faire malgré la forte volonté affichée des présidents des deux pays.

Désespérés par une attente interminable, certains pêcheurs se résignent à tenter leur chance dans des contrées lointaines et moins poissonneuses. Il s’agit de la Gambie, Joal, Kayar, ou encore Yarakh. C’est d’ailleurs cette raréfaction des ressources halieutiques provoquée qui pousse les pêcheurs à atteindre parfois des zones inaccessibles ; ce qui conduit souvent à leur disparition. Ces braves hommes tentent le diable avec une impétuosité rarement égalable dans le seul but de le voir pour…lui tirer la queue. La pêche ne nourrit plus son homme, et cela, les acteurs directs du secteur le savent. La mise en berne de ce secteur, agonisant devant le regard impuissant des autorités, a conduit non seulement à la raréfaction des produits halieutiques mais aussi à une forte répercussion sur leur prix.

Que les pêcheurs de Saint-Louis sortent de leurs gonds devient donc compréhensible. Voilà une population qui ne cesse de subir le diktat d’une nature devenue très inamicale. Elle ne leur donne plus de poissons, mais leur prend des êtres chers surtout avec le problème de la brèche. Les pertes énormes en vies humaines, ajoutées à la dèche qui gagne de l’ampleur, font que le cocktail est devenu difficilement gérable. Face à cette population qui se languit déjà du dragage de cette catastrophe humaine, ne pas leur régler le problème des licences promptement relève d’un manque de prévision notoire de la part de l’Etat. Ne voilà-t-il pas que c’est ce qui devait arriver qui arriva ?

Cette explosion de violence inouïe est juste une façon pour les travailleurs de ce secteur de crier leur ras-le-bol. La pêche est devenue le parent pauvre du système aujourd’hui, malgré l’impact réel sur notre économie. Face à la menace qui pèse sur leur métier, les pêcheurs agissent par instinct de survie. Parce que tout simplement « ventre affamé », dit l’adage, « n’a point d’oreilles ». C’est en effet ce qui explique le mis en sens dessus-dessous de la ville de Saint-Louis par une populace pourtant très pacifique de nature.

Faute d’avoir agi avec tact en amont, l’Etat est obligé de réagir en aval. C’est sûr que la communication faite par le directeur de la pêche sur la radio RFM hier aurait pu prévenir cette situation malencontreuse si elle avait été tenue avant. Même si la question des licences n’est pas du ressort exclusif du Sénégal, il faut reconnaître qu’une diplomatie performante aurait pu la régler avec brio. Cette situation, l’Etat le savait bien, allait tôt ou tard surgir à cause de sa manie de différer les problèmes ou de les régler à moitié. Jamais ce problème n’a été résolu de façon définitive, parce que sur ce coup, l’Etat n’a pas les arguments nécessaires pour convaincre la partie mauritanienne.

Autant il n’est pas la personne habilitée à produire ces licences, autant l’Etat du Sénégal est totalement responsable de la destruction des eaux maritimes par les bateaux de pêche étrangers qui agissent en dehors de tout cadre règlementaire. La surpêche, ajoutée à l’absence d’une mise au repos des aires marines protégées, fait que les eaux sénégalaises deviennent infructueuses au point que les pêcheurs sont obligés de naviguer en haute mer et parfois dans des zones interdites pour suivre les bancs de poisson et parfois à leur péril.

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