Lutteur, Double Less s’est fait une carrière pleine. Aujourd’hui croulant sous le poids de l’âge, l’ancienne gloire de la lutte sénégalaise venu de la Casamance pour se faire une légende dans la capitale jouit de la réussite de sa progéniture sur la voie qu’il a tracée. Dans cet entretien qu’il a accordé à «L’Observateur» chez lui à Keur Massar, le père de Balla Gaye 2 et Sa Thiès se rappelle un peu de son époque pour faire la comparaison avec ses héritiers.
Votre histoire de grand champion des arènes des années 1980 ne se raconte pas trop. Est-ce que vous pouvez revenir sur votre carrière ?
C’est dommage qu’à notre époque la presse n’était pas assez développée. J’avoue que j’ai marqué mes empreintes dans la lutte que j’ai héritée de mon oncle Baba Fofana. Ce dernier était un grand champion de lutte. Mon père n’a jamais été lutteur et d’ailleurs il s’est toujours opposé à ce que je pratique ce sport. C’était un éleveur et il passait tout son temps à lire le Coran. J’ai débuté ma carrière de lutteur à Malifara avant de m’installer en Gambie. J’ai fait presque 10 ans en Gambie avant de venir à l’assaut de Dakar. C’est Falaye Baldé qui m’a trouvé en Gambie et m’a dit que ma place était au Sénégal et que je devais revenir au Sénégal pour montrer mes qualités. Si aujourd’hui je prends en charge sa famille, je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce. Falaye Baldé est le premier à me soutenir et pousser vers le succès.
J’ai affronté tout au long de ma carrière beaucoup de grands champions. (Il ne se souvient plus du nombre de combats de lutte qu’il a disputé). Avec l’Equipe nationale du Sénégal, j’ai effectué beaucoup de campagnes internationales dont les plus illustres sont les Jeux olympiques de Montréal en 1976, Moscou (1980), Los Angeles (1984).
J’ai fait presque le tour du Sénégal. En Afrique aussi, j’ai voyagé un peu partout pour représenter le Sénégal. J’ai été au Maroc à deux reprises en lutte gréco-romaine dans le cadre d’un tournoi, ensuite j’ai fait Tunis, Égypte, Abidjan et Niger. Vous savez que la lutte gréco-romaine est plus difficile que la lutte simple que nous pratiquons au Sénégal. J’ai représenté le Sénégal aux Jeux africains de 1987 de Nairobi où j’ai été médaillé d’or dans la catégorie de plus de 100 kg en lutte libre. Bref c’est une carrière vraiment pleine.
Il se dit qu’après cette carrière pleine vous avez été dans la galère et vous étiez rentré en Casamance ?
(Rires). Je n’étais jamais rentré en Casamance. Et même si je l’avais fait, c’est tout à fait normal. Parce que je suis originaire de la Casamance. Je pouvais y retourner pour me reposer. Mais ma maison est à Dakar, celle du village appartient à mon père. A chaque fois que j’avais besoin de me reposer j’y allais, mais je n’ai jamais été dans la galère comme il se raconte.
Est-ce que vos deux fils (Balla Gaye 2 et Sa Thiès) peuvent être considérés comme vos dignes héritiers sur ce plan ?
C’est vrai que mes enfants ont grandi dans le milieu de la lutte. Balla Gaye 2 a même l’habitude de dire qu’il a été baptisé avec l’argent de la lutte. Ce qui n’est pas faux. Balla a passé tout son temps à pratiquer la lutte, il avait 10 ans quand il a commencé à s’y essayer. Il jouait avec ses grands frères devant la porte de ma maison. Aujourd’hui il est devenu un grand champion. Balla Gaye a toujours aimé la lutte. Sa Thiès n’a pas hésité de suivre les pas de son frère. Ça fait plaisir de voir mes enfants réussir dans le même domaine que moi, tout en sachant que ce n’est pas évident. C’est vraiment une fierté de voir mes enfants réussir après avoir suivi la voie que j’ai tracée.
Si vous deviez juger vos deux fils, qui est le plus doué ?
Je dirais Balla Gaye. Parce que je vois en lui beaucoup de mes qualités. Comme la façon d’aborder les combats, l’assurance dans les prises, l’enchaînement des mouvements. Mes combats ne durent pas trop, parce que j’attaque et je fais l’essentiel. Vous conviendrez avec moi que Balla Gaye est ainsi. Aujourd’hui tous les observateurs de la lutte avec frappe magnifient le style de Balla Gaye. Il n’entend jamais son adversaire. Il marche sur lui sûrement et impose sa stratégie. Ça il l’a hérité de moi. C’est vraiment le meilleur de sa génération.
Mais dans le passé vous aviez soutenu que Sa Thiès est meilleur que Balla Gaye. Qu’est-ce qui a changé entre temps ?
Je le maintiens. Il faut savoir qu’il y a une différence dans leur façon de lutter. Le seul problème de Sa Thiès, c’est qu’il est trop pressé. Il veut toujours abréger ses combats. C’est peut-être ça son défaut, mais il a beaucoup de qualités. Il a commis trop d’erreurs dans ses combats, il ne respecte pas très souvent les consignes. S’il prenait son temps pour étudier ses adversaires, il aurait dépassé ce niveau. C’est peut-être ça la différence entre Balla et Sa Thiès, sinon ils ont presque la même façon de lutter. La seule différence, c’est la précipitation. Là où Balla Gaye prend tout son temps pour trouver la faille chez son adversaire, Sa Thiès attaque aveuglément, sans round d’observation. C’est la raison pour laquelle, il perd facilement ses combats, comme ce fut contre Malick Niang et Boy Niang.
Comment remettre Sa Thiès sur les rails ?
Il doit changer sa façon de lutter. Je pense qu’il a fait son autocritique et qu’il a compris qu’il est impératif de changer de stratégie. Il rumine sa colère et à son retour les amateurs verront un grand changement. Il sera plus technique, plus calme.
Qui sont ses potentiels adversaires ?
Il y a un promoteur qui démarche son combat contre Yékini Junior. C’est une bonne chose. Un combat alléchant. Moussa Ndoye de Yarakh est un de ses potentiels adversaires. Malick Niang aussi est un adversaire qui doit une revanche à Sa Thiès. Il y a aussi le lutteur de Thiès Modou Anta.
Pourquoi pas Reug Reug, qui est aussi de sa génération ?
Reug Reug doit encore prouver pour espérer affronter Sa Thiès. Ils ne sont pas de la même catégorie. Parce que Sa Thiès est presque dans la cour des grands. Reug Reug doit encore faire le vide autour de lui, même s’il n’a pas encore enregistré de défaite, avant d’accéder dans l’antichambre des ténors. Ils vont s’affronter dans les prochaines années. Ce n’est pas parce que nous ne voulons pas de Reug Reug, mais il doit attendre.
Quid des adversaires de Balla Gaye ? Faut-il forcément l’opposer à Boy Niang ?
Balla Gaye n’a plus rien à prouver dans l’arène. La question qu’on doit se poser aujourd’hui est de savoir qui est prêt pour affronter Balla Gaye ? C’est le lutteur qui a le plus d’adversaires dans l’arène. Son combat contre Boy Niang dépendra de lui. S’il trouve que Boy Niang peut faire l’affaire, il n’y a aucun problème. Je ne peux pas lui tordre la main pour qu’il accepte d’affronter Boy Niang. Les jeunes sont appelés à atteindre le niveau de leurs aînés et à se mesurer à eux. Balla Gaye 2 peut effectivement croiser Boy Niang 2. Cependant, je tiens à préciser que c’est lui qui va mettre son «nguimb» et descendre dans l’arène. Par conséquent, la décision lui revient. Mon rôle est de l’accompagner dans ses décisions.
Qui d’autre pour affronter Balla ?
Ils sont nombreux. Il y a Tapha Tine, Bombardier, Modou Lô… Je pense qu’il ne devait pas y avoir de problème d’adversaires dans l’arène. A mon époque, on pouvait affronter un adversaire au moins à cinq reprises.
Aujourd’hui avec l’âge comment gérez-vous la carrière de vos fils ?
Je suis impliqué dans tout le processus. Les promoteurs peuvent les contacter directement pour parler des adversaires. C’est après qu’ils viennent me voir pour discuter des cachets et autres. J’ai toujours une emprise sur leurs carrières. Pour ce qui est du mystique, je me lève dès qu’ils ont un combat pour aller solliciter des prières. Je le ferai jusqu’à mon dernier souffle.
Tout récemment vous avez fait une sortie pour dire que Ama Baldé va battre Modou Lô. Qu’est-ce qui vous le fait penser ?
Techniquement Ama Baldé est capable de battre Modou Lô. Ceux qui n’ont pas eu la chance de voir Falaye Baldé dans l’arène peuvent suivre Ama Baldé. Il a tout pris de son père. Je vais m’investir pleinement pour l’aider à gagner son combat contre Modou Lô. Et ce sera une implication à tous les niveaux. Rien ne sera négligé dans ce combat important pour Ama Baldé et son camp. Ceux qui avancent que Ama Baldé n’a aucune chance dans ce combat se trompent lourdement. Je ne peux pas rester les bras croisés dans ce combat, parce que tout simplement Ama est mon fils.
Mais vous n’avez pas peur que ce combat tombe à l’eau vu que le promoteur Luc Nicolaï est dans les liens de la détention ?
Rien n’est encore concret pour ce combat. C’est vrai que ça risque de prendre encore beaucoup de temps. Nous devons prier pour que le promoteur du combat recouvre la liberté. C’est dur pour lui, mais on ne peut rien contre la volonté de Dieu.
Quel est votre avis sur la situation de l’arène qui tarde encore à retrouver sa vitesse de croisière ?
Il faut reconnaître que l’arène est en crise. Des promoteurs comme Gaston Mbengue et d’autres se sont retirés. C’est le Cng qui doit faciliter beaucoup de choses aux promoteurs pour les encourager à investir. Le Cng doit par exemple revoir les prix des licences pour les promoteurs. Les licences sont trop chères. Les combats aussi coûtent beaucoup d’argent à leurs organisateurs. Quand il y a crise les dirigeants de la discipline doivent revoir beaucoup de choses pour les remettre sur les rails.