Chronique d’un retour raté. Après avoir remporté son tout premier trophée de Meilleur footballeur africain de l’année, Sadio Mané était sur le point de faire un crochet à Dakar, pour communier avec le peuple sénégalais et présenter son prestigieux ballon doré au chef de l’Etat.
Officiellement, c’était le plan. Jusqu’à ce que « des soucis techniques, liés à une autorisation d’atterrissage non accordée par Tunis », changent le plan de vol. Ce fut la première explication fournie. Puis, un des envoyés spéciaux de la RTS à Hurghada, où se tenait la cérémonie de gala des CAF Awards, révélait une certaine gêne musculaire qu’aurait subi le joueur, poussant son club à précipiter son retour vers l’Angleterre. Enfin, une autre justification portait sur le fait que le club anglais n’a jamais été enclin à accepter le déplacement de son joyau à Dakar, pour des raisons évidentes, en pleine saison. Face à la série de versions, Emedia.sn a cherché à en savoir davantage, histoire de dénouer le vrai du faux dans cette affaire. Au bout des investigations, il ressort principalement qu’il y a un peu de vrai dans chacune des versions mais que, surtout, cette cérémonie de « Sargal » (hommage) annoncée à Dakar cachait une vaste opération commerciale qui est finalement tombée à l’eau et à laquelle personne ne veut assumer son implication dès lors qu’on évoque une incidence financière qui se cacherait derrière l’initiative sur-vendue au public comme un évènement à caractère purement social.
Opération marketing impliquant des autorités publiques
A l’origine de l’initiative, des proches de Sadio Mané, à travers la société SM10 Limited, qui gère son image, en collaboration avec New Balance, qui a décidé à partir de 2013, de changer sa stratégie Marketing en sponsorisant certains sportifs, mais également le club de Liverpool à partir de la saison 2014/2015. Sponsor de Sadio Mané et de son club, New Balance voit toutefois le contrat avec Liverpool prendre fin à l’issue de cette saison et sera remplacé par le géant américain Nike. Concrètement, il ne lui reste plus que l’international sénégalais comme principale vitrine. L’équipementier américain spécialisé dans les chaussures de courses à pied, est ainsi tenu de mettre le paquet sur le natif de Bambali.
Une vaste opération de communication est ainsi préparée par la marque à partir du moment où le sacre du numéro 10 des Lions était devenu comme une évidence : lancement d’une nouvelle paire spéciale de crampons Furon v6, campagne d’affichages « Rise of a Lion » (ascension d’un Lion) à Liverpool et à Dakar, cérémonie d’hommage…, rien n’est de trop pour célébrer le Lion.
La relation avec SM10 Limited facilite naturellement les choses à Dakar, où la société qui gère l’image du joueur tient en New Balance un partenaire aux reins solides.
Il ne lui reste plus qu’à activer certains leviers sur le plan local, en jouant sur la fibre patriotique et le vaste élan de solidarité en faveur du joueur pour avoir d’autres partenaires. Ainsi, le contact est établi avec une société dénommée Global Visions, spécialisée dans la communication et l’événementiel. A plus d’un mois du gala de la CAF, une équipe est montée pour gérer le projet, et on y retrouve des proches du joueur et certains proches du ministre des Sports, dont son chauffeur et un chargé de mission, et un certain Aly Mané, maire de Paoskoto (région de Kaolack) mais également propriétaire de sociétés spécialisées dans la publicité et l’événementiel, mais aussi dans la livraison de colis express.
Négociations avec télés, sociétés publiques et privées
Des sociétés publiques comme privées, nationales comme multinationales, sont démarchées et le Musée des civilisations noires est choisi pour abriter l’évènement qui devait ainsi être privatisé jusqu’à sa diffusion. Un responsable commercial d’une grande société de la place nous confirme avoir été démarché en ce sens.
« C’est une personne, qui disait représenter Global Vision, qui nous a contacté pour nous faire part du projet et du souhait que nous sponsorisions l’évènement. Nous avons étudié l’offre, mais pour plusieurs raisons, nous l’avons déclinée. D’abord parce qu’en termes de délais, c’était vraiment trop short, à moins d’un mois, mais ensuite parce que plus on s’approchait de l’évènement, moins ça devenait clair, avec une implication personnelle du ministre des sports qui donnait davantage l’air d’une tentative de récupération politique non maitrisée. Du coup, même si l’idée d’un hommage à Sadio Mané, qui est une icône nationale avec une image des plus positives, était intéressante en soi, ces différents paramètres nous ont fait prendre du recul », nous souffle notre interlocuteur. Au final, c’est sur le concurrent que les organisateurs portent leur dévolu.
Premier couac avec Air Sénégal
Les spots sont lancés. La RTS est contactée en ce sens par les organisateurs qui espèrent autour de 200 millions F CFA avant de se voir opposer une réponse négative. Il en est de même pour la compagnie Air Sénégal, qui aurait également été approchée dans le but de nouer un partenariat qui permettrait de transporter des officiels en Egypte et de les ramener, avec Sadio Mané et son trophée, à Dakar, pour les festivités. La compagnie aérienne sénégalaise n’est pas dans les dispositions et aurait ainsi proposé, à la place, une location tarifée à coût de centaines de millions. « Ils nous ont demandé 200 millions pour le vol, parce que nous souhaitions ramener également les officiels, les gens la délégation sénégalaise présente en Egypte (fédération, ministère, 12e Gaïndé, proches du joueur…). C’est abusé, cela a compliqué les choses », s’est plaint un des membres de l’équipe d’organisation, sous le couvert de l’anonymat.
Parallèlement, New Balance commence à « brander » Dakar avec plusieurs affiches de dimensions différentes, en ciblant le trajet que devrait emprunter le joueur à partir de l’autoroute à péage et autres points stratégiques. Le désaccord avec la RTS n’affectera pas les plans. Une télévision privée est également démarchée et un accord est alors trouvée avec elle pour une exclusivité. Le Jour J, souffle-t-on, les autres télés seront interdites d’accès à la salle du musée, où SM 10 Limited prévoit également une diffusion en première, devant les autorités, en têtes desquelles le président de la République, d’un film qui retrace la carrière de l’enfant de Bambali aujourd’hui sur le toit du continent.
Les dispositions minutieuses de Liverpool pour le jet privé
Mais il n’y aura finalement pas de heurts et la crainte que les caméras de la RTS, surtout dans la perspective où le président Sall devait assister à la cérémonie, mais aussi celle des autres chaînes privées, soient interdite d’accès, sera levée parce que l’évènement est annulé au dernier moment. Pour un des trois motifs cités plus hauts. Ou un peu des trois. Les sociétés qui avaient décidé d’associer leur image à l’évènement remballent les affiches qui étaient déployées sur le site du musée des civilisations noires. L’excuse du défaut d’autorisation d’atterrir à Tunis est vite brandie, pourtant elle parait légère au vu de la minutie avec laquelle Liverpool planifie les déplacements de cette nature pour des joueurs de son équipe première.
À cet effet, c’est un jet privé (appareil Legacy 650) de la compagnie spécialisée Embraer, la même qui avait fait venir Sadio Mané et Salah l’année dernière à Dakar (appareil Legacy 600), qui a été affrété par Liverpool. À titre illustratif, l’année dernière, pour le même évènement et avec la même compagnie de jet privé affrété, c’est un programme maitrisé de bout en bout et dont nous avons obtenu copie, qui a été concocté, avec un minutage précis, les différentes localisations au détail près et une liste claire des membres du vol composé des joueurs (Mané et Salah), de leurs représentants respectifs (Jan P. Bezemer et Ramy Abbas), le chef de sécurité de Liverpool (Jamie O’Connor) et deux autres membres de son équipe.
Cette fois-ci, en l’absence de l’Egyptien Salah qui n’a pas fait le déplacement, l’équipe était délestée de son représentant, mais comprenait un préparateur physique dépêché par le club. Est-ce dernier qui a décidé du retour express après la douleur que le joueur sénégalais aurait sentie en Egypte, après la conférence de presse ? Difficile à confirmer.
L’histoire de la bousculade qui aurait causé une blessure à Mané
Nous avons contacté notre confrère de la RTS, Ibrahima Mboup, qui a annoncé la nouvelle sur la chaine nationale, pour plus d’éclairage sur le contexte de cette information qui n’a pas été très commentée par la suite. « Après la cérémonie, il y a eu une conférence de presse des lauréats (Sadio Mané, Achraf Hakimi, Djamel Belmadi, etc.). Quand il a fini, Sadio Mané s’est levé et il y a eu une bousculade avec la presse, notamment égyptienne qui était fortement représentée sur les lieux. Le service de sécurité de Liverpool a peut-être empêché le pire, mais Sadio a peut-être pu être touché dans la bousculade. Il a été exfiltré, ce qui explique d’ailleurs qu’on n’a pas pu faire l’interview avec lui sur le moment. On a dû le rejoindre plus tard dans sa suite pour faire l’interview et dans les coulisses, on nous a parlé de la gêne qu’il a ressenti aux ischio-jambiers après ce qui s’est passé plus tôt. Sa volonté de venir à Dakar était réelle mais à partir de ce moment rien n’était plus évident. »