Capitaine Dièye révèle : « Je n’ai jamais vu, dans l’armée, un psychologue se déployer pour…»

La santé mentale des hommes en uniforme, exposés au stress et autres cas de troubles mentaux, semble négligée au Sénégal. Alors qu’au même moment, beaucoup d’éléments des forces de défense, qui n’ont pas bénéficié de suivi psychologique post-traumatique, finissent par porter atteinte à leur vie comme c’est le cas du policier Gabriel Basse et tant d’autres. Dans cet entretien accordé à Seneweb, le capitaine Dièye révèle que l’armée sénégalaise n’accorde aucune importance à la santé mentale de ses troupes.

Capitaine Dièye, aujourd’hui (hier 11 décembre 2019, Ndlr) le policier Gabriel Basse s’est suicidé en plein centre-ville. Par expérience, avez-vous été témoin de cas de suicide ? Et qu’est-ce qui peut pousser un homme de tenue, pourtant mentalement préparé, à se suicider ?

Cela peut-être dû à plusieurs choses parce que déjà au niveau du service le personnel doit être suivi médicalement.

Est-ce que ce suivi médical est fait ?

Pour l’instant je ne me suis pas trop intéressé à cela mais d’après les informations que j’ai eues, il souffrait de trouble mental. Si c’est avéré, c’est un échec au niveau de ses supérieurs hiérarchiques. Parce que quand-même un policier qui porte atteinte à sa vie, cela veut dire forcément qu’il souffre d’un mal être profond. Ça par expérience, en tant que quelqu’un qui a commandé des hommes, on doit s’assurer que ces hommes sont dans des situations sociales et médicales qui leur permettent d’exercer correctement le boulot.

Il a porté atteinte à sa vie, il aurait pu porter atteinte à a vie de quelqu’un d’autre. Donc au niveau du service il y a un souci de suivi par rapport au personnel, par rapport à leur situation sociale et médicale. Au sein des armées, comme dans la gendarmerie et dans la police, il y a beaucoup de cas comme ça.

Ah oui !

Exactement ! Vous allez à l’hôpital militaire de Ouakam (Hmo), les blessés de guerre sont là-bas sans aucun suivi médical. Ils sont livrés à leur propre sort. Pourtant ce sont des gens qui ont sacrifié leur vie pour la nation. Ils sortent à plusieurs reprises pour manifester pour que leur situation sociale soit revue et que leur situation médicale soit prise en compte.

Donc un policier qui se suicide et que les médias disent qu’apparemment il souffrait de problème mental, c’est-à-dire que ce policier ne devait même pas être de faction, il ne devait pas être employé dans le service. Il devait être suivi par ses supérieurs. A mon sens, si c’est avéré qu’il souffrait de problème mental, cela veut dire qu’ils ont tous échoué et des sanctions doivent être prises.

Y a-t-il une périodicité pour le suivi médical des troupes ?

Le suivi médical, à partir du moment où vous êtes déclaré apte à subir une formation, quel que soit le corps (gendarmerie, police, armées), c’est au chef de faire le suivi médical de ses hommes. Par exemple j’ai commandé des hommes au Soudan, mais chaque matin je m’enquiers de la situation médicale de mes hommes. Et la compagnie est structurée de telle sorte que quelqu’un qui ne peut pas être dans les rangs est signalé pour qu’il ne puisse pas être dans les rangs et qu’il aille à l’infirmerie pour que le médecin puisse le prendre en charge. Ça c’est capital !

Donc, le premier qui doit assurer le suivi médical des troupes c’est le chef…

C’est le chef ! Exactement ! Parce que le médecin n’est pas avec vous. Vous êtes dans une caserne, il y a souvent un médecin, il y a une infirmerie mais les troupes sont avec leur chef. Donc les compagnies, les bataillons sont structurés de telle sorte qu’il y a des gradés de contact qui sont tout le temps avec les hommes. Ces gradés de contact font le suivi quotidien des hommes. La preuve, il y a des appels, des vérifications qui permettent de savoir que telle ou telle autre personne se porte bien ou mal.

Y a-t-il des psychologues dans les compagnies pour la prise en charge mentale des hommes ?

Personnellement je n’en ai pas vu ! Je n’en ai pas vu dans les armées. Il y a des médecins militaires qui sont des psychologues mais moi je n’ai jamais vu dans l’armée sénégalaise, en tout cas partout où j’ai été, des psychologues se déployer pour suivre les hommes, s’enquérir de leur situation mentale. En Casamance c’est très compliqué, et les armées devaient faire beaucoup d’efforts liés à cela. Ce sont des domaines (la santé mentale des troupes) qui sont négligés. Comme on est dans la grande muette, on est dans le mutisme. Il y a beaucoup de failles, beaucoup de choses qui peuvent avoir des conséquences désastreuses, comme c’est le cas de ce policier mais personne n’ose en parler.

Qu’est-ce qui peut être la cause de stress ou de troubles mentaux au niveau des armées ?

On peut vivre des situations liées à des incidents. Comme par exemple, vous partez en intervention et que psychologiquement vous vivez une situation qui peut vous déstabiliser. Vous avez besoin d’être suivi. Vous pouvez être aussi dans une situation de précarité sociale, c’est-à-dire que vous voyez des personnes qui sont dans l’armée mais qui sont dans des situations où il y a beaucoup de personnes qui dépendent d’eux. Vous avez entendu des militaires braquer des banques ou voler des moutons.

C’est souvent ces genres de situations qui compromettent même la probité des hommes de tenue. Mais au sein des forces, que cela soit dans l’armée, dans la gendarmerie ou la police, nous participons souvent à des missions, à des exercices qui peuvent parfois, dans la nature des actions et des conséquences, créer des troubles pour beaucoup de personnes et les amener à une situation d’instabilité mentale.
source : senweb

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici