EMBOUTEILLAGES… : Il y a urgence à décongestionner DAKAR !

Imaginez-vous dans votre maison, disposant de multiples pièces, mais où toute la famille n’adopterait qu’une seule et même pièce pour y évoluer, délaissant toutes les autres. Cette image illustre bien le trafic routier dakarois quand on se rend compte que chaque matin la quasi-totalité des flux convergent vers Dakar, notamment Dakar Plateau, et chaque soir partent de Dakar, en créant des embouteillages infernaux. Ceci laisse plus ou moins désert non seulement l’intérieur du pays, mais aussi les autres localités de la Région de Dakar que sont Bambilor, Niacourab, Sangalkam, Gorom, Deni Birame Ndaw, Kagnac etc… qui, quand on s’y promène, présentent un paysage d’inactivité prononcée.

Il est devenu fréquent de perdre 2 à 3 heures de temps, voire une demi-journée, pour par exemple aller assister à une réunion au centre-ville. L’attrait de la région de Dakar résulte évidemment du fait qu’elle est de loin la zone économique la plus active du pays ; et celui de Dakar Plateau, du fait de l’hyper concentration économique et administrative héritée de la colonisation, qui s’y constate.

Au vu de cette situation dont chacun semble s’accommoder, il parait légitime de se poser la question de savoir :

Quelles solutions possibles ?

La fiscalité !

Une première solution pourrait se trouver dans une fiscalité plus orientée vers l’équilibre de l’aménagement du territoire.

La fiscalité qui, rappelons-le, ne doit pas seulement être un instrument de prélèvement de recettes pour l’Etat, mais est aussi attendue pour être un outil de politique économique et pourquoi pas, un outil de réaménagement en ce qui concerne la répartition des activités économiques sur le territoire national.

Dès lors, le Sénégal devrait penser à adopter des dispositions fiscales qui auraient pour effet de réduire le déséquilibre qui existe non seulement entre Dakar et les autres régions mais également à l’intérieur même de la région de Dakar.

Le Code Général des Impôts et les dispositions relatives aux Zones Economiques Spéciales (ZES)

Les dispositions actuelles du Code Général des Impôts(CGI), ou des lois relatives aux Zones Economiques Spéciales (ZES) de Diamniadio, Diass ou Sandiara, qui peuvent inciter des opérateurs économiques à se délocaliser en dehors de Dakar intra-muros ou de la région de DAKAR ne nous semblent pas suffisantes pour arriver à l’objectif de déconcentration économique.

Le Code Général des Impôts prévoit, en ce qui concerne le crédit d’impôt pour investissement, la possibilité pour les sociétés qui engagent des programmes d’investissement agréés en dehors de la région de Dakar, de pouvoir déduire jusqu’à 70% du montant des investissements réalisés, de leur bénéfice imposable dans la limite de 50% de celui-ci, alors que celles qui sont installées dans la région de Dakar ne peuvent déduire qu’à concurrence de 40% des investissements au maximum. Ceci est une incitation à l’installation hors de la région de Dakar.

Aussi, est-il prévu que l’exonération pendant 5 ans de la contribution forfaitaire à la charge des employeurs autrement appelée taxe sur les salaires, dont bénéficient les programmes d’investissement agréés, peut s’étendre sur une durée de 8 ans pour des sociétés installées en dehors de la région de Dakar.

Notons toutefois que, si une entreprise est intéressée par une délocalisation hors de Dakar, mais n’a pas de programme d’investissement supplémentaire ou n’est pas dans un secteur d’activité éligible au régime de la réduction d’impôt pour investissements, aucune disposition fiscale actuelle ne l’y motive.

Les entreprises de négoce, ou de services autres que de santé, d’éducation, de télé services, de transport, d’hôtellerie ou de montage et de maintenance industriels, ne sont pas éligibles à la réduction d’impôt pour investissements.

Nos commerçants de Dakar Plateau qui constituent l’essentiel du tissu économique de cette zone, semblent donc n’avoir pour l’instant aucune motivation fiscale pour se délocaliser.

Alors qu’on sait que la plupart d’entre eux quittent la banlieue, comme la majorité de leurs clients, avec qui ils se retrouvent au centre-ville, après de nombreuses souffrances liées aux embouteillages entrainant bien entendu des charges de transport qui plombent la rentabilité de leur activité.

Hormis les dispositions de faveur citées plus haut, il n’y a pratiquement aucune autre pouvant inciter les sociétés classiques (non minières ou à statut spécifique) à s’installer en dehors de la capitale.

Les dispositions du Code Général des Impôts relatives à la surtaxe sur les terrains non bâtis ou insuffisamment bâtis tendent, au contraire, à favoriser les sociétés lorsque celles-ci ont dans leurs actifs, ces biens immobiliers dans la région de Dakar.

Rappelons qu’un régime fiscal de faveur dit des entreprises décentralisées a eu à exister dans le passé, et a pu favoriser l’installation de plusieurs sociétés industrielles hors de la Région de Dakar, au Nord du Sénégal, dans le Baol, et dans la région de Thiès.

Depuis plus de 40 ans, ces entreprises ont recruté en majorité des ressortissants de ces localités et leurs travailleurs échangeront difficilement leurs emplois contre les mêmes proposés à Dakar.

Cela étant, il faut constater qu’en matière d’incitations fiscales, la réduction du taux d’impôt sur les sociétés demeure l’élément le plus attractif pour les hommes d’affaires, qui se posent toujours la question suivante: si je gagne 100 combien l’Etat me prendra –t-il?

Des dispositions devraient être insérées dans le Code Général des Impôts pour faire en sorte que les sociétés qui se délocalisent de Dakar intramuros et alentours, vers les autres localités, puissent bénéficier d’une réduction du taux d’impôt sur les sociétés pouvant aller de 15, 20 à 30%.

On pourrait rétorquer que de telles mesures seraient susceptibles de créer une entorse au principe de l’égalité des contribuables devant l’impôt, génératrice de distorsion concurrentielle. Mais nous estimons qu’une telle réplique ne serait pas fondée, car les entreprises de Dakar disposent en contrepartie d’avantages majeurs tels que la concentration de la demande solvable, la proximité des infrastructures portuaires, et par conséquent bénéficient de coûts logistiques moindres, toutes choses égales par ailleurs.

S’agissant des dispositions fiscales qui régissent les zones économiques spéciales (ZES) de Diamniadio, Diass et Sandiara et qui prévoient des avantages fiscaux pour les entreprises qui s’y installent en matière de réduction d’impôt, elles visent essentiellement les investisseurs industriels ou les services, à vocation principalement exportatrice.

C’est pour cette raison d’ailleurs qu’on y compte surtout des investisseurs étrangers, et que les ZES n’attirent pas pour de simples raisons de délocalisation interne d’entreprises sénégalaises déjà existantes.

Les Pôles Urbains de Diamniadio, Lac Rose, Yène et Daga Kholpa, le pôle d’extension urbaine et économique de Diass

Ces pôles, futurs centres d’activités économiques diversifiées devront incontestablement désengorger Dakar, et leur création est à saluer. Toutefois, le processus de leur mise en place ne devrait-il pas être accéléré par une meilleure information des opérateurs économiques, et par la mise en place d’un dispositif fiscal vraiment incitatif ?

Aussi, excepté Diass, tous les futurs pôles cités plus haut sont relativement proches de Dakar. La banlieue intermédiaire qui sépare Rufisque de Dakar s’approchant de plus en plus de Dakar, la frontière de la conurbation Rufisque –Bargny avec Diamniadio s’estompant progressivement ; et même Yène s’approchant de Bargny par le littoral longeant Sendou, on peut se demander si dans une vingtaine d’années, tous ces pôles étant en place, on n’aboutirait pas à une mégalopole type Lagos, à laquelle pourrait se poser les mêmes problèmes de mobilité que nous vivons actuellement, avec une ampleur décuplée.

La redynamisation du programme de pôles économiques intégrés par terroir !

 Les pôles économiques intégrés, également appelés grappes ou « clusters » sont un ensemble d’entreprises d’un terroir, exerçant des activités complémentaires et coopérant pour une compétitivité nationale voire internationale.

Les « clusters » s’appuient souvent sur des ressources locales, naturelles et/ou humaines. La création de pôles économiques intégrés au niveau de différents terroirs du pays, constitue un des objectifs du Plan Sénégal Emergent.

Les pôles agricoles existant présentement au Sénégal gagneraient à se compléter par davantage d’industries transformatrices.

Il en est de même des autres grappes telles que celle organisée autour de Ngaye Mekhé dans le domaine de la fabrication d’articles en cuir (qui reste assez informelle et exclusivement artisanale, donc limitée en volume de production), mais aussi des Domaines Agricoles Communautaires (DAC)

L’industrialisation de ces pôles économiques aura pour effet d’accroître la production, d’élever leur niveau de valeur ajoutée, d’augmenter et pérenniser les emplois créés localement, contribuant ainsi à la stabilisation des travailleurs dans leur terroir et donc à la réduction du risque d’accentuation du surpeuplement de la capitale.

 « Conference calls » et visioconférences !

Une véritable promotion des outils numériques tels que les visioconférences et les « conference calls » devrait être effectuée.

Nous persistons à faire des réunions où plusieurs parties venant de Thiès, de Yoff, Keur Massar etc. se retrouvent à Dakar. Réunions pour lesquelles il n’y a pas toujours un besoin absolu de présence physique, alors que les technologies de « conference call » ou de « visioconférence » sont de plus en plus accessibles avec même des applications offrant ces services gratuitement.

Lorsqu’une réunion est prévue sans que l’on ait besoin de se voir physiquement, si chacune des parties prenantes est équipée en matériel de visioconférence ou dispose d’outils de « conference call », tout le monde pourrait rester là où il se trouve et la réunion être tenue à distance.

Le Centre International de Conférence de Diamniadio pourrait être mis à profit pour abriter des réunions en visioconférences qui feraient éviter à des participants venant des régions, ou des quartiers périphériques de Dakar, d’affronter les embouteillages de Dakar.

D’ailleurs, de même que le Code Général des Impôts prévoit une réduction d’impôts pour l’investissement en matériel utilisant l’énergie solaire et éolienne, de même devrait être prévue une réduction d’impôt pour le type d’investissement précité, car une visioconférence à la place d’une réunion à parties multiples tenue à Dakar Plateau, après et avant des trajets en plein embouteillages, a le même effet anti-carbone que l’énergie solaire ou éolienne.

Au demeurant,

La déconcentration économique devrait prendre rapidement le même train que la décentralisation ; car elle soutient cette dernière et la renforce en contenu.

Les transferts de compétences centrales de l’Etat risquent d’être limités en impacts si les collectivités locales continuent à ne pas avoir suffisamment de bases économiques pour asseoir le prélèvement de leurs ressources.

Sans compter que Dakar même risque d’« étouffer » à terme, et notre pays d’accuser d’énormes pertes de productivité. Aussi, les embouteillages engendrent beaucoup de pollution et ne sont certainement pas sans relation avec l’inquiétant nombre de cas de pneumonie infantile recensés au Sénégal, ou d’autres pathologies broncho-pulmonaires telles que les cancers ou l’asthme.

A notre avis, le secteur privé devrait accompagner l’Etat du Sénégal dans sa dynamique de délocalisation hors de Dakar, déjà entamée par le transfert vers les Sphères Ministérielles, et l’Etat du Sénégal devrait mieux informer sur les projets et le cadre juridique de déconcentration créés par lui, et surtout mettre en place des mesures beaucoup plus incitatives pour arriver à l’objectif de déconcentration, surtout économique, hors de la ville et de la région de DAKAR.

Cheikh Tidiane MBENGUE

Expert-comptable

Membre de l’ONECCA

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