A la suite de la sortie d’Ousmane Sonko accusant le pouvoir « de vouloir le liquider », Seneweb a interrogé Mamadou Mouth Bane, Directeur de publication du quotidien «DakarTimes», qui a été par ailleurs auditionné par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire dite des 94 milliards. Dans cet entretien, le journaliste analyse la posture de Sonko et ce qui pourrait découler de cette histoire, au lendemain de la plénière prévue ce vendredi, à l’Assemblée nationale.
Comment vous analysez la sortie de Sonko qui accuse le pouvoir de vouloir le liquider?
Ousmane Sonko est dans son rôle en tant qu’opposant. Depuis son entrée en politique, il a choisi la voie de la dénonciation des actes que pose le pouvoir. On l’a vu dans le dossier du pétrole, du fer. Il avait aussi parlé du non-paiement d’impôts par les députés, les 10 millions supposés donnés aux députés etc… C’est son choix de procéder ainsi. Mais il faut soulever la différence entre accuser un pouvoir et accuser une personne. En parlant hier, il faisait allusion au dossier des 94 milliards qui auraient été détournés selon lui par Manmour Diallo ancien Directeur Général des Domaines et Président du Mouvement «Dolly Macky», donc allié du président Macky Sall. Cette affaire est privée car c’est entre deux individus dont l’un accuse l’autre. Donc l’Etat n’y est pour rien. Lorsqu’il accuse maintenant le pouvoir de vouloir le liquider, à mon avis, Ousmane Sonko fait de la diversion.
Les députés qui ont mis en place la Commission d’enquête parlementaire sur les 94 milliards ont été bien inspirés car les Sénégalais veulent savoir où sont passés ces milliards. Moi-même j’ai été invité par la Commission d’enquête et j’ai été interrogé. Ce jour, j’avais demandé aux députés de créer aussi une Commission d’enquête sur les affaires : PétroTim, Bictogo, les 50 milliards des cartes d’identité etc… Parce qu’il y a eu d’autres scandales qui méritent une commission d’enquête parlementaire. Mais cela ne peut pas entacher le travail remarquable fait par la commission d’enquête parlementaire qui a interrogé plus de 25 personnes dont le Directeur du Budget, l’ancien Ministre du Bugdet Birima Mangara, l’ancien Directeur des Impôts et Domaines Cheikh Ba, l’ancien Directeur des HLM, les membres de la famille. La Commission avait aussi saisi l’Ordre des notaires et les banques ainsi que des experts pour avoir le maximum d’informations sur cette affaire. Car, il faut reconnaître que 94 milliards c’est beaucoup. Or, on se rappelle c’est qu’en octobre 2018, Ousmane Sonko avait accusé Manmour Diallo d’avoir détourné cet argent. Aujourd’hui, le pouvoir ne peut rien contre Sonko car l’affaire c’est entre lui et son ancien collègue Manmour Diallo. Ousmane Sonko est en train d’anticiper en accusant le pouvoir de vouloir le liquider. Ses partisans insulteurs dans les réseaux sociaux font un parallélisme avec les affaires de Karim Wade et de Khalifa Sall. Mais ils font des confusions graves car Karim Wade et Khalifa Sall ont été accusés par le pouvoir d’avoir pris des fonds publics, or là, c’est Ousmane Sonko qui a accusé un Directeur général d’avoir détourné. C’est différent. Dans les deux cas précédents, le pouvoir est l’accusateur, et dans l’affaire des 94 milliards c’est Sonko l’accusateur. La charge de la preuve lui incombe.
Constatez-vous une volonté du pouvoir de vouloir le liquider?
Le pouvoir ne peut pas liquider Ousmane Sonko. Dans ce dossier, aucun juge ne peut envoyer le leader de Pastef en prison, ce n’est pas possible. En plus, le député Sonko joue son avenir politique. C’est lui qui a accusé, il doit alors remettre au juge toutes les preuves du détournement des 94 milliards ou des 46 milliards. On se rappelle le 18 janvier 2019 à la Place de l’Obélisque, il avait déclaré, je cite : «Si le procureur m’appelle, je vais lui donner les relevés bancaires où les 46 milliards ont été virés, avec des noms et le nom de la banque ». Il est obligé de fournir ces preuves s’il veut rester crédible aux yeux de l’opinion. Il est évident que Manmour Diallova déposer une plainte pour laver son honneur. S’il ne le faisait pas, il allait donner l’impression d’être coupable. Sonko ira au tribunal. Il a dit que le dossier sera ouvert à l’Assemblée Nationale, puis il ira au Tribunal avant de revenir à l’Assemblée. Cela veut dire qu’après la présentation du rapport, l’accusé va déposer une plainte et son immunité parlementaire sera levée. Mais, le pouvoir ne peut pas liquider Sonko s’il remettait au juge les preuves du détournement des 94 milliards. Si Sonko sort les preuves du détournement des 94 milliards ou des 46 milliards, il sera considéré comme une personne honnête et sérieuse. Car le peuple sénégalais dira qu’il est un homme juste, véridique qui ne parle pas pour parler. Autrement, il va se tirer une balle dans la tête. Devant le juge, en matière de diffamation ou de diffusion de fausses nouvelles, seule la production de preuve peut sauver une personne.
Pensez-vous que Sonko est en train de creuser sa propre « tombe » à travers cette affaire dite des 94 milliards?
Ousmane Sonko fait face à son avenir politique aujourd’hui. Or, une seule chose peut le sauver c’est la production de preuve. Devant le juge, il n’y a pas de débat car la cour ne demande que des preuves. Les avocats vont parler mais le juge lui demandera juste de lui fournir les éléments qui prouvent le détournement. En plus, Ousmane Sonko disait que jamais ce dossier n’ira au tribunal. Ses partisans disaient aussi que jamais Manmour Diallo ne déposera une plainte. Je vous dis que la plainte de Manmour est déjà écrite. J’ai eu cette information ce matin parce que je fais des enquêtes dans ce dossier. C’est dans mes recoupements qu’on m’a appris que l’ancien Directeur des domaines a déjà fait sa plainte et il a constitué un pool d’avocats. Le leader de Pastef a aussi mis en place son staff de défense. Ce procès sera un grand moment. Car il permet de poser deux débats importants : la lutte contre la corruption dans notre administration et la moralisation de notre vie politique.
J’invite également le pouvoir à mettre en place l’Agence chargée des expropriations comme l’avait voulu Me Abdoulaye Wade car elle a été créée le 10 Janvier 2006. Cela va aider les familles. Les dossiers d’expropriations posent trop de problèmes aux familles. Et des agents des Impôts et Domaines et des hommes d’affaires cupides créent des Sociétés Civiles Immobilières (SCI) pour capter ces fonds au détriment des ayants droit.