« Si vous voulez savoir la valeur de l’argent, essayez donc d’en emprunter » (Benjamin Franklin). Mais bien difficile est de vouloir emprunter une chose que l’on voit à peine, en ces temps qui courent. L’argent se fait désirer à tel point que mêmes les organes de sens en arrivent à oublier ses caractéristiques jadis en eux imprégnés.
Les caisses de l’Etat sont vides, les poches du contribuable troués et le secteur privé financièrement étranglé. A l’exception de ceux qui ont détourné le peu de sous qui restait dans notre tirelire nationale, le reste se pose cette question sans réponse: « Argent, où est-tu » ?
Où es-tu, argent ? Pendant que les inondations frappent de plein fouet la capitale et que les Sénégalais sans bourses solides se résignent à patauger dans les eaux, le constat est que tu as presque quitté ce monde. En effet, même si l’argent n’a pas d’odeur, on parvenait quand même à sentir ta présence. Mais ni la vue, ni l’odorat, encore moins l’ouïe et le toucher, aucun de ses percepteurs de sens, n’arrive plus à flairer ta présence. Tu as décidément fait ton deuil de nous, n’est-ce pas ?, de nos soucis et de nos complaintes.
Argent, où es-tu ?
Même s’il est difficile d’être de l’avis de ceux qui crient à l’ajustement structurel, la vérité est que l’Etat se languit de ta fugue constante. Par conséquent, des consulats sont fermés, des agences dissoutes, le train de vie de l’Etat relativement diminué avec les nombreuses mesures prises par rapport à la téléphonie et au parc automobile. Toutes ces décisions sont une preuve éloquente de ta migration progressive vers d’autres cieux. Mais où exactement ? Dans les poches des multinationales usurières ? Ou bien dans les coffres forts de politiciens véreux ? Dans les tiroirs des hauts fonctionnaires crapuleux ? Ou encore dans les comptes bancaires des entreprises privées qui ne vivent que d’exonération fiscale injustifiée ? Le fait est que, toi argent, tu n’es plus omniprésent dans les comptes du Trésor national.
Argent, où es-tu ?
Parce qu’on ne voit plus ta couleur, l’Etat a décidé de ne plus envoyer ses nouveaux bacheliers dans les universités privées. Qui pis est, il leur doit une ardoise de plusieurs milliards qu’il promet d’éponger en 2020. Il faut dire qu’en refusant de prendre de nouveaux étudiants, les instituts privés sont dans leurs droits comme nous l’enseigne une maxime bien de chez nous : « une dette ne peut avoir une sœur cadette ». C’est parce qu’on est en manque d’argent qu’une bonne partie des fonctionnaires continuent de réclamer leurs rappels qui ne sortent plus, leurs avancements et toutes les questions à incidence financière. La sortie récente des enseignants autour du collectif pour la mise en position de stage n’aura aucun effet majeur si, toi, argent, tu ne reviens pas sans délai. Cet état de fait touche à tous les secteurs, y compris la justice et la santé.
Je ne suis pas de ceux qui disent que « plaie d’argent n’est pas mortelle ». La létalité de l’absence d’argent n’est plus à démontrer. Combien sont internés dans les hôpitaux dans l’attente d’une opération qu’ils ne feront peut-être jamais parce qu’ils n’ont pas d’argent ? Combien meurent de petites infections pour manque de prise en charge, faute d’argent ? A-t-on une fois recensé pour dire exactement le nombre de ceux qui ont péri dans les profondeurs de l’océan, à la recherche d’argent ? Et les renvoyés des universités ou autres écoles, non pas pour insuffisance de résultat, mais pour insuffisance de moyens pécuniaires.
Alors, argent, où es-tu ?
Serais-tu victime du fast-track, ce slogan si charmeur du président de la République ? Où es-tu pour que des bénéficiaires des financements de la Délégation à l’entreprenariat rapide (DER) peinent à respecter les échéances de remboursement jusqu’à ce qu’on les menace de prison ? Où es-tu pendant que les bénéficiaires des bourses sociales sont restés des mois sans percevoir ta couleur ni ton odeur. Qui disait d’ailleurs que l’argent n’a pas d’odeur ? C’est vraiment parce que tu te caches que la couverture maladie universelle fait parfois grincer des dents auprès des hôpitaux et centres de santé qui courent derrière leurs dus.
On sait que tu es là, argent, mais tu voudrais bien nous dire où, car il n’est point facile de te géolocaliser. Dans nos cœurs certes, dans l’esprit de ceux qui font du calcul mental avant même de percevoir leurs salaires aussi, à la banque également mais en abondance chez les hommes politiques : ministres, députés, directeurs généraux, présidents de conseil d’administration dont les salaires font tomber des nues.
C’est pourquoi le président Macky Sall n’aura de résultats probants dans sa volonté de réduire le train de vie de l’Etat que lorsqu’il prendra les décisions qu’il faut en s’attaquant aux fonds politiques de la présidence, au budget de l’Assemblée nationale et du Haut conseil des collectivités territoriales, aux salaires très élevés des députés, à la fraude fiscale et à tous ceux qui sont entretenus aux frais de la princesse sans raison valable. Peut-être, après cela, allons-nous nous remarier avec toi, argent, sacrée pièce !
Par Ababacar Gaye/SeneNews
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