Exclusif :  » Il n’y aura pas d’élections législatives en 2022 « 

Directeur de l’Ecole d’Art Oratoire et de Leadership (EAO), Dr Cheikh Diallo a accepté de commenter pour l’Observateur l’actualité politique. Prochaines élections législatives et présidentielle, le statut du chef de l’opposition et surtout la bataille de la succession de Macky Sall, entre autres. Cheikh Diallo évoque tout !

u lendemain de l’investiture de Macky Sall, en avril dernier, vous parliez d’un quinquennat de trois ans. Qu’est-ce à dire ?

En effet ! vous savez la séquence politico-institutionnelle (2019-2024) est inédite à tous points de vue. Macky Sall entre dans son deuxième et dernier bail. A mi-mandat, il sera atteint du « syndrome du canard boiteux », comme on dit en Droit constitutionnel et en Science politique. «The Lame duck period » dans son expression anglaise signifie qu’à deux ou trois ans du terme définitif du quinquennat, le président Sall n’aura plus la réalité du pouvoir, il lui restera l’illusion du pouvoir. Il sera incurablement affaibli, désinvesti et désincarné. Comme dans les deux dernières années de la présidence américaine de Bill Clinton, Georges W. Bush et Barack Obama ou encore celle de François Mitterrand et de Jacques Chirac. A mi-mandat dans le camp du pouvoir et de l’opposition, les ambitions seront grandes, fortes et débridées. Déjà, la bande-annonce se joue en sourdine sur les platines médiatiques. Macky Sall n’aura plus toutes les cartes en main. Il comptera mais ne pèsera plus.

Concrètement, en quoi ce schéma est-il inédit au Sénégal ?

Inédit pour trois raisons majeures. Premièrement Macky Sall sera le premier président au Sénégal à organiser une élection présidentielle sans y être candidat. Il restera électeur mais ne sera plus éligible. De maître du jeu politique, il  en deviendra simple arbitre. Deuxièmement, – et c’est une première -, on connaît à l’avance la date de son départ du pouvoir : techniquement le 1er avril 2024. Il sera donc le premier chef d’Etat à partir sans défaite électorale. Léopold Sédar Senghor a transmis le pouvoir à Abdou Diouf par une broderie constitutionnelle. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont été surpris et battus dans les urnes. Enfin troisièmement, il sera le premier président à soutenir ouvertement ou secrètement un prétendant à son propre fauteuil. Avouez qu’un tel schéma ne s’est jamais présenté aux Sénégalais. C’est pourquoi il est inédit !

Indubitablement, Macky Sall fera l’économie des erreurs stratégiques de Diouf et de Wade. Il désignera à sa manière son protégé et en sera le parrain électoral. Autour de nous, en Côte d’Ivoire, dans quelques semaines, Alassane Ouattara soutiendra officiellement son homme de confiance Amadou Gon Coulibaly à la présidentielle d’octobre 2020. Au Niger, Mahamadou Issoufou a déjà mis sur orbite son ami de 40 ans,  Mohamed Bazoum pour décembre 2020. En Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz avait secrètement préparé, Mohamed Ould Ghazouani, un autre ami de 40 ans.

A votre avis qui sera le dauphin de Macky pour 2024 ?

Macky Sall est indéchiffrable. Sans prétendre être dans sa tête, une short-list se profile à l’horizon. Je peux citer Amadou Ba, Aly Ngouille Ndiaye, Abdoulaye Daouda Diallo, Aminata Touré, Makhtar Cissé et Me Alioune Badara Cissé. Pour le médiateur de la République, en août 2021, son sextennat arrivera à terme. Il retrouvera toute sa liberté qu’il a très peu perdue d’ailleurs. Sur la feuille de parrainage, le patron de l’APR tracera deux colonnes : une black-list et une white-list, parce qu’hélas, choisir, c’est renoncer. En parlant de dauphin, me vient à l’esprit, une heureuse formule que je tiens de Macky Sall, alors Premier ministre : « le destin d’un dauphin c’est d’échouer à la plage ». Ici, j’évoque bien sûr le dauphinat au niveau de l’Alliance Pour la République (APR). Reste la succession au niveau de l’Etat. Alors si les vents sont favorables, rien ni personne ne pourra arrêter Idrissa Seck. A 65 ans, il sera au sommet de sa maturité politique et aura  quatre campagnes présidentielles au compteur. Quant à Ousmane Sonko, la nouvelle terreur des surfaces de réparation électorale, il a encore le temps de prendre « une défaite d’avenir ». Il faut également prévoir l’imprévu avec une personnalité indépendante surgit de nulle part, sans parti, sans grand moyen, mais avec un discours fort. Un cas d’école qui ira à l’encontre de tout ce que l’on nous enseigne en Science politique. En vérité, le dernier mot revient aux Sénégalais. « Lorsque le peuple décidera, il faudra se soumettre ou se démettre », Gambetta.

Et si Macky Sall était lui-même candidat à sa propre succession ?

Revenir sur sa parole publique serait un suicide politique en plein bonheur. Suivez mon regard ! Revenons à l’impérialisme des faits : Macky Sall lui-même a insisté, persisté et signé une dizaine de fois, en affirmant qu’il ne sera pas candidat. Du reste, sur le plan juridique, votre interrogation trouve sa réponse dans le nouvel article 27 de la Constitution, issu du référendum de 2016 : « la durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Ce nouvel article 27 a stabilisé, sécurisé et sanctuarisé le mandat présidentiel. C’est même une référence au Droit constitutionnel allemand qui évoque « la clause d’éternité » ou « la clause d’intangibilité absolue ». Et puis, au-delà des fantasmes juridiques, il faut remonter à l’esprit de la loi. Il peut arriver que les motivations d’une loi soient plus importantes que la loi elle-même. Du côté du peuple, allez lui dire qu’après 12 ans de pouvoir, Macky Sall prétend à 5 autres années.
Me Abdoulaye Wade en a fait les frais. En dépit de la recevabilité de sa candidature par le Conseil constitutionnel, le peuple sénégalais a dit non à un troisième mandat consécutif. Donc, cette question n’est plus à l’ordre du jour.

Vous parliez tantôt de Idrissa Seck et de Ousmane Sonko mais dans votre grille de lecture, vous semblez avoir oublié Karim Wade et Khalifa Sall.

Le sort politique de Karim Wade – il n’a pas encore de carte d’électeur et n’est donc pas éligible – dépendra d’une amnistie votée par l’Assemblée nationale. Celui de Khalifa Sall également. Je serai fort étonné de voir Macky Sall scier la branche sur laquelle il est assis.

Parlons des législatives de 2022. L’on évoque de plus en plus une possible cohabitation. Dans nos colonnes, vous aviez avancé cette hypothèse.

Vous savez en politique tout est question d’altitude et d’attitude. Il me semble que cette forte probabilité ait été froidement décryptée par les tenants du pouvoir. Pour éviter, la cohabitation politique il suffira de ne pas tenir le scrutin législatif, à bonne date, en juillet 2022.

Vous voulez dire qu’il pourrait y avoir prorogation du mandat des députés ?

Absolument ! Voter le même jour la présidentielle et les législatives n’est pas une incongruité électorale. Premier cas de figure. Deuxième cas, le législateur peut aussi fixer les législatives quelques semaines après la présidentielle, comme Lionel Jospin l’avait fait en 2002 en France. Si cela est juridiquement faisable dans « les constitutions 5G » pourquoi pas ailleurs ? C’est ainsi que le Mali vient de proroger le mandat des députés de 2018 à 2020. Rappelez-vous après de multiples reports, les législatives gabonaises et togolaises avaient été prorogées de deux ans. Un simple projet de loi et hop ! grâce à la majorité mécanique, le tour est joué. Ce n’est pas un bien grand mal de coupler les deux scrutins, à condition d’obtenir un large consensus de l’ensemble des acteurs politiques.

Disons que techniquement l’on peut craindre dans la campagne électorale que l’enjeu de la présidentielle fausse un peu le jeu des législatives. Et, pour ce qui est de la participation, il faut noter un avantage indéniable à coupler les deux scrutins. Sans compter le gain de temps, d’économie et la cohérence du calendrier électoral, je parlerais même d’alignement des étoiles électorales. Et voilà comment Macky Sall pourrait échapper à une éventuelle cohabitation politique.

Pour tout vous dire, j’ai la faiblesse de penser qu’en 2022, il n’y aura pas de scrutin législatif. La présidentielle et les législatives seront couplées en 2024, sauf si le rapport de force venait à changer. Là encore, c’est le terrain qui commande.

Le débat sur le statut du chef de l’opposition est de plus en plus agité. Qu’en pensez-vous ?

C’est l’exemple parfait de querelles byzantines dont raffole la bulle politico-médiatique. Rappelez-vous pendant que les Turcs assiégeaient Byzance, les Byzantins au lieu d’organiser leur riposte, préféraient plutôt discuter du « sexe des anges ». C’est un faux débat. Pour être effectif, le statut de l’opposition a seulement besoin d’une loi organique conformément à l’article 58 de la Constitution. Toutefois, la sagesse commande d’attendre les résultats du prochain scrutin législatif. Et la bonne pratique recommande que le leader du parti d’opposition qui obtiendra le plus de sièges à l’Assemblée soit d’office déclaré chef de file de l’opposition. Avec bien sûr, des droits et devoirs attachés à ce statut, c’est-à-dire un budget de fonctionnement, un cabinet, un personnel qualifié, etc. Sur ce plan, ayons l’humilité de regarder du côté du Burkina Faso, de la République de Guinée, du Mali, du Niger. Dans ces pays, le chef de file de l’opposition est connu de tous et reconnu par une loi organique. C’est un faux débat.
Les préoccupations des Sénégalais sont ailleurs. La santé, l’urgence climatique, le logement social, la sécurité alimentaire et l’éducation. Au cours des dix prochaines années, chaque humain, chaque gouvernement, chaque sénégalais devrait réfléchir à une réforme profonde de notre système éducatif. Là dessus, et sur bien d’autres sujets d’intérêt national – comme le service militaire obligatoire déjà effectif au Maroc -, j’ai transmis au premier des Sénégalais le fruit de mes modestes réflexions.

PAPE SAMBARE NDOUR
L’OBSERVATEUR

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