Dans un manifeste où il s’auto-interviewe, et que nous avons intégralement lu, l’auteur de l’attaque meurtrière contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande ce vendredi livre ses justifications, usant d’un ton particulièrement glaçant.
Obsessions racistes, idéologie violente et provocations cyniques… La lecture des 74 pages écrites par le tireur de l’attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, donne une sensation de vertige. Une heure après avoir posté ce texte sur les réseaux sociaux, ce vendredi, cet Australien de 28 ans a pénétré lourdement armé dans deux mosquées, faisant plusieurs dizaines de morts. Il a été interpellé.
Dans une mise en scène sous forme de questions/réponses, agrémentée de poèmes et de passages en apparence plus construits, le terroriste justifie longuement cet attentat en préparation. Le titre de son texte, « Le grand remplacement », fait référence à une théorie du complot d’extrême-droite popularisée en France par l’écrivain Renaud Camus. La France, un pays qui occupe d’ailleurs une place centrale dans son cheminement vers la violence, explique-t-il.
En France, une paranoïa des « envahisseurs »
Plus largement obsédé par le Vieux continent, où il a vraisemblablement passé plusieurs semaines en 2017, il raconte ainsi que deux événements remontant au printemps de cette année là ont servi d’éléments déclencheurs de son passage à l’acte. L’un est l’attentat de Stockholm au camion-bélier du 7 avril, qui a fait cinq morts, dont une jeune fille de 11 ans. «Des attaques sur mon peuple, ma culture, ma foi et mon âme », écrit-il.
L’autre événement, qui se déroulait au même moment, était la présidentielle en France, et notamment le deuxième tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. « La possible victoire d’une quasi-nationaliste était pour moi le signe qu’une solution politique était toujours envisageable », écrit-il, après avoir toutefois étrillé la patronne du Front national, décrite comme « molle » et « incapable ». D’après lui, sa défaite l’a toutefois « plongé dans le désespoir » et sa « croyance en une solution démocratique s’est envolée ».
Le récit de son voyage en France est pétri d’une profonde paranoïa. Selon lui, ceux qu’il appelle les « envahisseurs », les « non-Blancs », étaient partout, peu importe où il se rendait. Il raconte ainsi ne pas avoir supporté de voir « un flot de ces envahisseurs passer les portes d’un centre commercial » dans l’est de la France. « J’en avais vu assez et, en rage, j’ai quitté la ville, refusant de rester une minute de plus dans cet endroit maudit », poursuit-il.
L’assaillant assure aussi avoir fondu en larmes à la vue d’un cimetière militaire où sont enterrés les soldats ayant combattu pendant les deux guerres mondiales, se lamentant de leur « mort vaine », qui n’aurait pas permis d’empêcher la conquête de la France et du continent par les « envahisseurs ».
Et de conclure, sur ce passage en France. «C’est là que j’ai décidé de faire quelque chose, c’est là que j’ai décidé d’agir, et d’user de la force. Et de la violence. De combattre les envahisseurs moi-même».
Cynisme, « meme » et provocations
Tout au long de ce document, celui que la presse australienne présente comme Brenton Tarrant laisse libre cours à son ego (il va jusqu’à réclamer le Prix Nobel de la paix) et laisse transparaître un trait de personnalité particulièrement glaçant à la lecture des événements. Une forme d’humour railleur, cynique et détaché, à mille lieux du drame dont il s’apprête à être l’instigateur.
C’est notamment au cours de questions/réponses que le terroriste fait usage de ce qu’il considère visiblement comme des traits d’esprit. « Pourquoi penses-tu être un Européen et non un Australien », se demande-t-il. Et de répondre : « Qu’est-ce qu’un Australien, si ce n’est un Européen bourré ? »
Il relance. « En vivant en Australie, ne te considères-tu pas toi-même comme un immigré ? » « Oui, et il semble que nous, immigrés, apportions tout une flopée de problèmes », ironise-t-il.
Le ton se fait parfois plus ouvertement provocateur. Alors qu’il s’auto-interroge sur d’éventuelles influences culturelles qui l’auraient poussé à l’acte, le futur assaillant s’amuse : « Spyro Le Dragon 3 (NDLR : un jeu vidéo à l’univers enfantin sorti en 2000) m’a appris l’ethnonationalisme. Fortnite (NDLR : un autre jeu vidéo, lui sorti récemment, très populaire chez les ados) m’a entraîné à devenir un tueur et à danser le floss (NDLR : une célébration emblématique du jeu) sur le cadavre de mes ennemis ».
Le point culminant est peut-être atteint lorsque l’Australien feint de s’indigner. « Tu es un bigot, raciste, xénophobe, islamophobe, nazi et fasciste ! », s’adresse-t-il à lui-même. Avant de répondre que « les compliments ne mèneront nulle part » et d’enchaîner avec un « meme » du forum 4chan, entre menaces grandiloquentes et affirmations ridicules (« Je peux te tuer de plus de 700 façons à mains nues »…).
Anders Behring Breivik, une figure tutélaire
De nombreux modèles ont inspiré le terroriste, pas moins de dix noms sont cités dans son document. Certains sont historiques, comme Oswald Mosley, dont il dit « adhérer à la plupart des thèses ». Cet homme politique est souvent présenté comme la figure du fascisme en Angleterre. En 1932, cette étoile montante du parti travailliste crée le British Union Fascist, et porte les thèses antisémites d’Hitler.
Mais la plupart de ses figures tutélaires restent très actuelles. Ce sont majoritairement des auteurs d’attaques aux motivations similaires à celles de Christchurch, suprémacistes et islamophobes. Sont ainsi cités pèle-mêle Darren Osborne, auteur d’une attaque à la voiture-bélier à Londres en 2017 contre une mosquée, ou encore Anton Lundin Pettersson, un suédois de 21 ans qui avait tué avec une épée un enseignant et un étudiant en 2015, dans un lycée accueillant majoritairement des élèves issus de l’immigration.
Le nom de l’américain Dylann Roof revient deux fois. Auteur de la fusillade de Charleston en Caroline du Sud en 2015, le jeune homme de 22 ans avait tué neuf paroissiens noirs. Lucas Traini apparaît également dans la liste. Cet Italien fanatique des thèses nazies a été l’origine d’une virée mortelle en février 2018 dans les rues de Macerata en Italie. L’homme de 28 ans, au visage tatoué d’une insigne fasciste avait blessé six migrants.
Mais celui qui semble avoir le plus d’importance aux yeux du terroriste s’avère être le tueur norvégien Anders Behring Breivik – qui s’appelle désormais Fjotolf Hansen. En prison depuis son attaque terroriste commise le 22 juillet 2011, il avait tué 69 participants à un camp de la Jeunesse travailliste, sur l’île d’Utoya, coupables selon lui de faire le lit du multiculturalisme, et déposé une bombe au siège du gouvernement faisait huit morts. Brenton Tarrant serait même entré en contact avec le Norvégien. « J’ai reçu une bénédiction pour ma mission après avoir contacté ses frères », assure-t-il.
Politiquement, dans ses réponses le terroriste entretient le flou. S’il se dit supporteur de Donald Trump, c’est uniquement « en tant que symbole de l’identité blanche, assure-t-il. En tant qu’homme politique et leader, mon Dieu non. »
Le Parisien