En l’absence de pression car n’ayant pas de perspective d’un troisième mandat, le président Macky Sall est attendu pour poser des actes forts tendant à apaiser le climat de tension politique, après la présidentielle du 24 février 2019. Invités de Lr du Temps, ce dimanche 3 février, émission présentée par Alassane Samba Diop, Mouhamadou Ngouda Mboup, professeur de droit public à l’UCAD et Valdiodio Ndiaye, juriste, coordonnateur de la plateforme « Sunu élection » et membre de la société civile, listent les priorités pour les chantiers à construire.
Apaisement politique
Membre de la société civile, Valdiodio Ndiaye attend des actes comme « signaux forts » pour « calmer le jeu. » D’abord, indique-t-il, « en termes d’actes à poser, par exemple, en direction de Khalifa Sall, de Karim Wade. Egalement, clarifier le statut du chef de l’opposition. Redéfinir les règles du jeu et ses relations même avec l’opposition sénégalaise, les recevoir. Nous avons des régulateurs sociaux qui peuvent travailler à faciliter ce dialogue. Tous les actes qu’il peut poser aujourd’hui, très rapidement après son investiture au mois d’avril, en termes même de management. C’est-à-dire un gouvernement pratiquement réduit. Ce sera un signal fort par rapport aux populations qui ont dénoncé ça et là cette gabegie. Pourquoi pas un gouvernement de 25 ministres, comme il s’était engagé en 2012. Il peut le faire parce qu’aujourd’hui, il n’a plus de pression autour de lui, y a pas de chantage qu’on peut exercer sur lui. » Poursuivant, il ajoute qu’il y a « nécessité d’instaurer dans ce pays-là un chef de l’opposition pour avoir un interlocuteur direct. Cela fait partie, en termes de projections, des réformes qu’il faudrait appliquer », décline-t-il d’emblée.
Réforme en profondeur de l’administration sénégalaise
Enseignant à la Faculté de droit, Mouhamadou Ngouda Mboup liste ses priorités. « Nous formons des jeunes jusqu’à leur 5e année. Ils peinent à trouver ne serait-ce qu’un stage. Pourtant dans le bilan du président Macky Sall, il a pris une loi sur le stage au Sénégal mais l’administration ne suit pas, on ne contrôle pas les entreprises. Les jeunes sont désoeuvrés. Ils sont dans des entreprises où on ne leur signe même pas de contrat. La première réforme, c’est celle de l’administration. Dans l’organigramme institutionnel, lorsque le président Macky Sall a été élu en 2012, il avait créé le ministère de la Réforme de l’Etat dirigé par Abdou Aziz Tall. J’avais dit qu’on allait vers la réforme de l’administration. Après, il a créé le ministère du Renouveau du service public. Le service public était en déclin du fait des hommes politiques. C’était bien mais il n’y a pas eu de suivi ni de contrôle. Cela signifie que les premiers chantiers qui sont là, c’est d’abord des réformes en profondeur. Déjà, l’administration sénégalaise fonctionne avec de vieux principes du droit administratif français qui datent de cent (100) ans, qui ont même été abandonnés en France. Il faut un toilettage. On n’a pas de loi sur la motivation des actes administratifs.
Responsabiliser l’opposition
Pour d’autres chantiers institutionnels, selon lui, le président devrait réformer l’Assemblée nationale en agissant sur le règlement intérieur de l’Institution. « Parce qu’explique-t-il, la séparation des pouvoirs qui existe aujourd’hui, c’est la séparation entre l’opposition et la majorité et, pour avoir une opposition responsable, il faut la responsabiliser en lui donnant un certain nombre de prérogatives au Parlement. C’est la raison pour laquelle, il faudrait dire que certaines commissions vont de droit à l’opposition, c’est ce qui se fait en France. Par exemple, la commission des Finances. L’opposition responsable et responsabilisée aura les coudées franches. » Au-delà de ça, renchérit-il, « il faut toucher l’hypertrophie des prérogatives du président. » Pour Mouhamadou Ngouda Mboup, « le président de la République qui est chef de parti, cela pose problème. » Selon le professeur de droit public, il doit s’en défaire, « ne serait-ce que pour préparer sa succession parce que c’est son dernier mandat. »
Toilettage de la Constitution
Pour la Justice, entre autres chantiers, « il y a des réformes en profondeur qu’il faudrait faire », ajoute-t-il, soulignant la nécessité de « toucher au Conseil constitutionnel. » Car, détaille-il : « Si nous ne touchons pas au Conseil constitutionnel, quel que soit le président qui sera élu, (la juridiction) comme elle-même le dit, elle tire ses prérogatives de la Constitution, il ne lui revient pas de les élargir. Il faudrait tout juste réviser la Constitution pour les élargir. »
Décentraliser la Justice
Par ailleurs, « il faut décentraliser la justice parce que chez nous au Sénégal ce besoin de justice se sent dans les terroirs, dans les communes rurales. Là-bas, il y a tellement de problèmes qu’il faudrait gérer sur le terrain, si on ne le fait pas, il y aura toujours des actes de défiance. Les populations vont barrer les routes, parfois attaquer les Institutions. Ce qu’il faudrait leur dire, c’est qu’elles pourront trouver un apaisement devant ces juridictions parce que la démocratie n’est pas synonyme de paix mais d’apaisement. »
A la place d’un Conseil supérieur de la magistrature, Mouhamadou Ngouda Mboup propose « un Conseil supérieur de la Justice présidé non plus par le président de la République ni par le Premier ministre par le Premier président de la Cour suprême, par exemple, avec maintenant l’intégration d’autres membres de la société civile, des professeurs de droits, d’anciens bâtonniers, etc. pour qu’on puisse avoir une justice performante. » Puis, « il faudrait revoir la formation des magistrats parce que nous allons tendre vers de nouvelles ressources (pétroles et gaz). »