La nomination du professeur Mamadou Sy Tounkara a fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. En cette veille d’élections, on devrait pourtant se réjouir qu’un esprit aussi éclairé soit près du chef de l’Etat. Au moins, sur la situation électorale, les gens pourraient espérer que le sieur Tounkara joue un rôle prépondérant auprès du président de la République. Mais la question principale est : est-ce qu’il sera entendu ?
« Le président Macky Sall a un problème de casting, de coaching et de monitoring », disait le porte-parole de REWMI Abdourahmane Diouf lors de la présentation de la vision programmatique de leur parti. Mais le recrutement de Mamadou Sy Tounkara par le président qui n’a jamais manqué de conseillers ferait exception à cette assertion de l’opposant. Nul besoin d’avoir des yeux de lynx pour se rendre compte de la kyrielle de ministres conseillers à son actif en sus des conseillers spéciaux. Visiblement, Mamadou Sy Tounkara n’est donc qu’un autre conseiller de plus. Donc il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Mais si le choix de l’animateur vedette de la 2STV fait tellement jaser, c’est dû aux qualités décelées en l’homme et sa liberté de ton qu’il a démontrées durant tout le temps qu’il a passé dans cette boîte ; réputation qu’il pourrait perdre dans le confort du palais. Il aura « conseillé » pour ne pas dire « critiqué » le régime sur le niveau à la limité médiocre de la communication du gouvernement notamment quand celui-ci publiait un communiqué de conseil des ministres truffé de fautes.
Tout porte à croire que le président n’écoute pas ses conseillers
En vérité, Tounkara a toujours été un conseiller « spécial » puisqu’il donnait son point de vue et prodiguait ses conseils sur son plateau de « Senegaal ca kanam » notamment. Avec cette nomination, sa fonction officieuse est juste devenue officielle à côté du président de la République qui peut-être était parmi ses suiveurs. Sinon comment pourrait-il avoir confiance en lui de la sorte pour en faire un conseiller spécial ? Il faut juste rappeler que le président Macky Sall s’était engagé à aller chercher les compétences, où qu’elles soient, pour remplir la mission qui lui est confiée. Vu sous cet angle, que Tounkara soit au palais ne devrait pas surprendre. Lui dont le nom de l’émission « Senegaal ca kanam » se confond littéralement avec le « Sénégal Emergent » de Macky Sall.
Le président n’a pas comme conseillers que ceux dont les noms apparaissent dans la longue liste de ministres conseillers. Il a aussi et surtout le privilège de recevoir les conseils des régulateurs sociaux, des chefs religieux. Macky Sall ne rate jamais l’occasion de renouveler sa disponibilité envers eux comme l’ont toujours fait ses prédécesseurs. Ce capital de confiance dont jouissent les marabouts et évêques dans notre pays fait qu’ils peuvent saisir le président sur tous les sujets, qu’importe la nature. Le seul bémol est que le président semble les entendre mais ne les écoute pas pour agir en conséquence. Les réponses qu’il a eues à donner aux défunts khalifes Serigne Abdou Aziz Al Amine et Cheikh Seydi Moukhtar relatives aux cas Khalifa Sall et Karim Wade en sont des preuves les plus palpables.
Le comportement de Macky Sall envers ses conseillers n’est pas un cas isolé. On peut même dire que c’est en vogue, cette attitude peu regardante envers les collaborateurs. En France par exemple, Emanuel Macron fait l’objet de critiques allant dans ce sens. Ses collaborateurs révèlent au grand jour cette attitude du président français consistant à faire fi des conseils qu’on lui prodigue. Dans un article publié le 3 janvier 2019 par www.leparisien.fr, un vieil ami du président confesse qu’ « il entend mais il n’écoute personne » pour expliquer la démission annoncée pour fin janvier de son conseiller Sylvain Fort. De même, cet espèce de suffisance présidentielle se dénote chez Donald Trump dont Newt Gingrich, son ancien porte-parole dit « c’est un joueur de golf, il ne pratique pas de sport d’équipe. Tout se passe entre lui et la balle ».
Tounkara et le « muut mbaa mott », l’impossibilité d’une mission
Normalement, la présence de Tounkara au palais comme conseiller spécial du président de la République devrait être source d’espoir. Si beaucoup de Sénégalais se sont sentis estomaqués après avoir appris la « bonne » nouvelle, c’est juste parce que le palais sait bien tanner les personnes. Grace aux largesses à portée de la main généreuse du président, bien des personnes de la société civile se sont retrouvées complétements changées. Des anciens leaders de la société civile tels que Penda Mbow et Abdou Aziz Diop et d’autres grands noms, journalistes ou juristes devenus ministres à l’image d’Abdou Latif Coulibaly et Ismaila Madior Fall, ont complètement tourné leur veste aujourd’hui. A la lumière de ces exemples, on ne peut que donner raison à ceux qui râlent contre une telle nomination puisque le pouvoir corrompt et peut venir à bout des convictions.
Bien avant Tounkara pourtant, il y a tous ces ministres conseillers dont les conseils n’ont visiblement pas changé le décor politique, social, et économique du pays. En effet, quelle que soient sa sagesse et sa clarté d’esprit, on ne peut pas conseiller à quelqu’un si l’on craint toujours de l’offusquer. Voilà pourquoi, nombreux sont ceux qui, craignant d’être mis au placard, vont jusqu’à avaler des couleuvres. La règle du « muut mbaa mott » de Mor Ngom qui a fait quitter Idrissa Seck et compagnie serait en effet érigée en mode de gestion des ressources humaines aussi bien dans le gouvernement, au palais qu’au niveau de la coalition de la majorité. Tel une épée de Damoclès, cette méthode qui consiste à « se taire ou se casser » aura eu raison de beaucoup de personnes dont la liberté de ton n’a jamais été remise en question.
Beaucoup de ministres conseillers tels que les universitaires, les professeurs Malick Ndiaye, Amsatou Sow Sidibé et l’économiste Moubarck Lo ont fait les frais de cette règle. Comme secoués par la nostalgie des amphithéâtres où leur mission est d’expliquer les causes de ceci, les conséquences de cela, la juriste et le sociologue finiront simplement par être sabrés à cause de leur sortie médiatique contre le régime. A défaut d’un canal officiel, ils ont tout simplement choisi le canal le plus facile et le plus audible c’est-à-dire les médias.
En février, Amsatou Sow Sidibé déplorait : « un conseiller c’est pour s’asseoir avec le président de la République et lui parler les yeux dans les yeux. Quand ce n’est pas possible, on utilise les voies qui sont possibles ». Autant qu’Amsatou Sow Sidibé, si le professeur Malick Ndiaye avait la chance de donner ses conseils, il n’aurait pas écrit « Où va la République ? Les vérités sur la seconde Alternance ». Tous deux avaient choisi le déballage au détriment de la fonction hautement discrète de conseiller le chef de l’Etat. Avec Tounkara, bien qu’elle soit à priori une mission impossible, on peut quand même espérer que l’hoimme ne fasse pas des courbettes devant le chef de l’Etat à qui il doit venir en aide surtout en ce temps électoral. Rien n’a changé des questions qu’il traitait, si ce n’est la proximité géographique avec Macky Sall. On attendra donc de sa nomination, qui est une aubaine, qu’elle apporte des changements que les 300 conseillers réunis dans le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) n’ont jamais pu donner.
Ababacar GAYE
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