Lettre de protestation Abdoul Mbaye écrit au Président du Conseil constitutionnel

Monsieur le Président,

Par courrier du 5 décembre 2018 nous vous avons adressé de vives protestations contre la présence, dans le dispositif de contrôle des parrainages que vous avez mis en place par Décision numéro 1/2018 du 23 novembre 2018, de personnes dépendantes de l’un des candidats.
Nous attirions alors votre attention sur le fait que l’Agence de l’informatique de l’État (ADIE)est un service directement rattaché à la Présidence de la République et donc au candidat Macky Sall, ladite agence étant dirigée par ailleurs par un militant de son parti.
Nous soulignions également que les représentants de la direction de l’automatisation des fichiers (DAF)dépendent du Ministre Aly Ngouille Ndiaye qui a publiquement déclaré qu’il était en poste pour assurer la réélection du candidat Macky Sall.

Les faits vécus depuis le début de mise en œuvre dudit dispositif justifient malheureusement toutes les craintes que nous avons exprimées. Les mandataires du candidat ne disposent en effet d’aucun renseignement sur la base de données servant à comparer les fichiers présentés par les différents candidats.

En application des dispositions de la loi électorale, notamment en son article L57, nous avons procédé au dépôt de signatures de parrains dans les formats papiers et électroniques définis par l’arrêté du Ministère de l’Intérieur n°20025 du 23/08/2018 fixant le modèle (format papier et électronique) de la fiche de parrainage.

Le total de parrainages déposés au titre du dossier de candidature de M. Abdoul Mbaye, dont je suis le mandataire, s’élève à 57 947 parrains.
La séance de contrôle tenue en vos locaux le 29 décembre 2018, en présence de notre représentant pour les questions informatiques, a conduit aux décisions suivantes de la part du Conseil Constitutionnel sous votre présidence:
1. La liste des parrains (312) de la région étranger a été rejetée sous le prétexte que le fichier informatique ne laisse pas apparaître un numéro d’ordre par parrain. Vous avez soutenu que l’absence de ce numéro d’ordre sur le fichier électronique n’en permettait pas le contrôle. Cette position est scandaleuse, car notre Constitution définit le parrain par sa signature et non par un numéro d’ordre figurant dans son classement sur une feuille Excel. Le bon sens, mais surtout l’objectivité et la volonté de ne pas nuire à une candidature indésirable aurait voulu que l’arbitrage puisse se faire au niveau de l’examen des fiches papier qui seules portent la signature du parrain, à défaut de renseigner séance tenante une colonne de numérotation par 2 clics.
L’argument que vous avez donné, prétextant que l’absence de ce numéro ne rendait pas la feuille Excel conforme au modèle communiqué par le Ministère de l’Intérieur ne saurait prospérer. Vous avez en effet accepté que cette feuille ne soit pas strictement conforme aux dispositions de l’arrêté ministériel en son art. 3, 3°) dès lors que les renseignements relatifs au collecteur n’y figurent pas, ce que nous vous avions souligné dans notre correspondance du 13 décembre 2018.
Nous vous laissons apprécier du numéro d’ordre ou de l’identification d’un collecteur, laquelle des informations serait la plus importante dans un système de parrainage citoyen.
2. Des doublons par rapport à d’autres listes auraient été identifiés s’élevant au nombre de 6 922(soit le pourcentage particulièrement élevé de 12% du total remis et 14,25% du nombre net validé par vos soins, ce qui défie toute logique statistique au regard du nombre de parrains déjà validés pour d’autres candidats et de la masse des électeurs sénégalais) sans que vous n’ayez jugé nécessaire de donner aucune autre précision. Or il est essentiel, pour une application de la loi, notamment l’article L.88 du Code électoralqui prévoit la sanction de l’auteur de doublons, que ces derniers soient identifiés de manière précise, que la liste sur laquelle le parrain serait déjà présent soit à chaque fois précisée, et que les informations y afférentes nous soient communiquées pour appréciation.
3. Enfin notre représentant a été informé de rejets pour « autres motifs » de 9 042 signatures soit le pourcentage exorbitant de 15,7 % permettant d’invalider définitivement la candidature de M. Abdoul Mbaye puisque seuls les doublons pourraient faire l’objet de remplacement. Nous restons bien entendu dans l’attente de la précision du motif de chacun de ces rejets.Publicité


Nous ne pourrions achever ce courrier sans attirer votre attention sur l’aberration statistique que constitue tout à la fois l’importance des rejets pour « autres motifs » et ceux pour « doublons » au regard de la faiblesse du nombre de parrains présentés par notre candidat relativement aux populations globales d’électeurs de chaque région et de parrains déjà retenus valides pour d’autres candidats. Sa mise en évidence constituera un élément important que retiendra l’histoire politique du Sénégal.
A titre d’exemple, mûs par un mauvais pressentiment, nous avions fait le choix délibéré de limiter la collecte de signatures dans la région de Dakar et celle de Diourbel. Sur le total de nos 12 097 parrains ne représentant que moins de 0,7% de l’effectif global des électeurs de la première région, il vous a pourtant été possible d’en rejeter 31,9%. Pour la région de Diourbel vous avez porté ce pourcentage de rejet à 47,12% sur un total de 5 768 parrains ne représentant pourtant que moins de 1% de l’effectif global des électeurs de ladite région. Ces chiffres défient toute rationnalité de probabilité.

Nous sommes donc dans l’attente de la réception de toutes les précisions demandées ci-avant qui permettront d’éclairer l’ensemble des citoyens sénégalais et des observateurs étrangers sur le caractère objectif et transparent des techniques que vous avez utilisées pour le contrôle des signatures de parrainage, en soulignant que de telles précisions ne peuvent qu’être disponibles à votre niveauet ne sauraient être considérées comme relevant du secret. A défaut nous considérerions toute décision du Conseil constitutionnel prise en conséquence d’un tel dispositif de contrôle visant à écarter la candidature de M. Abdoul Mbayeet sans doute d’autres ressemblant à la sienne, comme inconstitutionnelle, illégale et injustifiée.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération respectueuse.

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