La disparition d’un grand homme est toujours l’occasion pour le peuple de retrouver sa sérénité et sa cohésion au moins pendant le temps que durera le deuil. Le décès de Sidy Lamine Niasse devrait confirmer cette hypothèse. Mais l’absence, non pas de l’Etat, mais du gouvernement met encore à nu cette mauvaise habitude du régime actuel de ne pas célébrer ses héros à la hauteur de leurs mérites.
Sélectionné pour vous :Rappel à Dieu : Le gouvernement débarque enfin chez Sidy Lamine Niass (vidéo)
Qui ne se rappelle pas de Thiaroye 44 peut ne peut fêter un héros !
Après le flagrant « oubli » de célébrer le massacre de Thiaroye le 1er Décembre passé, le gouvernement du Sénégal a fait encore parler de lui parce qu’ayant « boycotté » l’inhumation et les funérailles du défunt patron de Wafladjri. Je mesure bien la gravité de cette allégation consistant à qualifier l’absence du régime de « boycott » mais il n’y a pas lieu d’y aller par quatre chemins. Pour le service qu’il a rendu à son peuple en ayant contribué à son éveil, sa capacité d’indignation, son refus de tout gober des gouvernants, sa résistance quand l’essentiel est en danger, Sidy Lamine méritait bien, sinon des hommages nationaux, une dernière attention toute particulière de la part du président et de ses souteneurs.
Certes le chef de l’Etat Macky Sall a voulu rendre à Sidy Lamine ce qui lui appartient en magnifiant son rôle dans la marche de la démocratie, le qualifiant de « témoin actif des mutations et des luttes démocratiques de notre société ». Or il est connu de tous que loin d’être un témoin actif, l’ancien patron du groupe Walfadjri a été un acteur clé dans la démocratisation progressive de notre patrie. La précision vaut son pesant d’or, un « témoin actif » n’est pas forcément un acteur clé. En effet, si le Sénégal a connu deux alternances politiques en 2000 et 2012, il le doit bien au rôle joué par la presse nationale au premier chef le très intrépide Sidy Lamine Niasse. On se rappelle en 2012 que le président de la République Macky Sall, alors candidat de Macky 2012, était sur le plateau de la télévision Walfadjri pour s’opposer à tout report de l’élection à la veille de sa tenue. L’idée était pourtant soulevée par l’ancien président Holéségun Obassanjo qui en faisait la proposition au nom de la stabilité.
Sidy Lamine Niasse, plus qu’un simple tweet de la part du chef de l’Etat, méritait une présence de ce dernier d’autant plus que son gouvernement a la manie de défiler dans des obsèques de proches de politiciens tels que Modou Diagne Fada, Bamba Fall et autres. Quand on peut le faire pour ces personnalités de l’Etat, on doit le faire pour le défunt qui n’a rien à leur envier. Au contraire, il a été plus actif que tous les politiciens ou presque dans la lutte pour les droits du peuple et le respect de leur intégrité.
La constance de Sidy Lamine : combattre le système plus que les personnes
Depuis Senghor, son combat n’a jamais changé en tant que journaliste, ce qui lui a valu l’ire des chefs de l’Etat qui se sont succédé. Plus que les autres, le régime de Wade a plus souffert de l’intransigeance de Sidy Lamine qui faisait du combat pour la justice son cheval de bataille. Sa mobilisation extraordinaire à la place de l’indépendance le 19 Mars 2011, pour protester contre le régime Wade défile encore dans l’esprit du bas peuple dont il était un porte-voix. Il avait proposé d’ailleurs pour redresser le pays une batterie de 19 solutions qu’il appelait de manière très inspirée sous le vocable de 19/19 (dix-neuf, dix-neuf).
Je me rappelle avoir parlé de la constance de l’homme dans un article publié par Senenews lors de la question polémique de « Bakka » soulevée alors par Idrissa Seck. Je disais que «l’un des rares constants dans cette affaire se trouve être Sidy Lamine Niasse. Quelle que soit la lecture que les uns et les autres font de sa sortie, je reste persuadé qu’il est fidèle à sa ligne de conduite. En effet, après le « pèlerinage » controversé du Ministre des Affaires Etrangères à Jérusalem, Sidy Lamine faisait partie des rares qui ont élevé la voix pour dénoncer cet acte qu’ils considéraient comme une abomination. La plupart des imams étaient aphones sur cette station de Sidiki Kaba au mur des lamentations, et la page était vite tournée. L’autre preuve de constance de Sidy est ce fameux débat créé par le défunt Professeur Oumar Sankharé avec son livre « Le Coran et la Culture grecque » en 2014. Il s’était vertement attaqué au professeur sur un plateau de l’émission « Diiné Ak Jamono » de Walf TV ».
Absence du gouvernement, forte présence du peuple
Le dommage de l’absence du gouvernement est juste noyé par les milliers d’hommages rendus à la personne et qui dépassent nos frontières. La mise en berne du drapeau de l’ambassade de la Palestine dont il fut un défenseur farouche, les reportages de « RFI » et de « France 24 » en plus des sorties d’éminentes personnalités religieuses et politiques sont une éloquente expression de reconnaissance. Parmi ces grands noms le ministre d’Etat Mbaye Ndiaye, l’ancien président Abdoulaye Wade, Abdou Latif Coulibaly, entre autres, lui ont réservé un hommage mérité, lesquels hommages méritent aussi d’être mentionnés. A tout seigneur, dit-on, tout honneur.
Sans faire abstraction du témoignage des autres, je me suffirai de citer quelques passages de l’hommage du Ministre Abdou Latif Coulibaly pour réaffirmer que le gouvernement dans son entièreté a péché de son absence. Le ministre-journaliste décrit la personnalité du défunt en ces termes : « un homme de conviction et d’engagement. Il aura mis toute cette énergie et cette détermination qu’on lui connaît au service de la démocratie et des causes justes ». Ce témoignage méritait d’être lu aux obsèques de Sidy Lamine Niasse d’autant plus que sa constance n’est pas à démontrer. Alors il n’est jamais trop tard pour rattraper le coup car Sidy, comme nous aimions bien l’appeler, a le rang de héros national.
Ababacar GAYE