Comme dans la chanson d’Aznavour (La Mamma), « ils sont venus, Ils étaient tous là, dès qu’ils ont entendu ce cri, la présidente du tribunal départemental est morte, Ndeye Khady Diagne, Ils sont venus Ils sont tous là même les justiciables dont elle était le juge… » Ils étaient venus dire au revoir une dernière fois à la grande dame. La Magistrature et le monde judiciaire ensemble, debout, pour une dernière fois aux côtés de la présidente Ndèye Khady Diagne, l’une des leurs. Pas de toge écarlate, point de manteau pourpre, mais toute la solennité du Droit, la dignité face à la tristesse, la mélancolie et déjà, la nostalgie de ne plus voir trôner sa longue et majestueuse silhouette lors des cérémonies des Cours et Tribunaux. Sa voix douce et entrainante ne rendra plus la justice ici-bas avec l’intelligence et la mesure qu’on lui connait dans son cabinet de juge et au sein de ce tribunal de proximité qu’est le Tribunal d’Instance Hors Classe de Dakar. Qu’elle a présidé durant plus d’une décennie jusqu’au dernier Conseil Supérieur de la Magistrature qui l’avait mutée comme Conseiller à la Cour d’Appel.
Un nouveau poste que cette haute fonctionnaire de l’Etat Divin n’occupera jamais en raison du Décret qui a signé la fin de sa mission terrestre. Pas plus qu’elle n’honorera de sa bienveillante et élégante personne la cérémonie de passation de services avec sa collègue qui a été affectée par le même Conseil. Le sort s’est joué des aléas de la vie de fonctionnaire faite de hauts et de bas, de nominations et de remplacements, de mutations et d’affectations. C’est ainsi, décidément elle ne rejoindra jamais la Cour d’Appel et elle ne passera pas le flambeau à la nouvelle présidente. Mais nous lui souhaitons tous de rejoindre la Maison du Seigneur, le Paradis céleste.
A défaut de cette cérémonie de passation de services, devant l’impossible, les personnels judicaires et extrajudiciaires du Tribunal d’Instance et du Palais de Justice de Dakar, effondrés par la brutalité de la nouvelle et la soudaineté de son rappel à Dieu, ont répondu massivement présents aux premières heures de l’annonce de la mauvaise nouvelle, pour représenter dignement son cabinet et la famille judiciaire et pour soutenir la famille de la défunte. Sous la présidence du Ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba, juges, collègues, personnels extrajudiciaires du Palais de Justice Lat Dior ont rendu un hommage unanime à leur charismatique présidente. Du côté de la famille de l’illustre disparue, foi, sérénité et sobriété ont présidé. Pas de discours ni de salamalecs, pas de folklore ni de paganisme, ni cris ni larmes. Juste la douce voix de la mère de la défunte qui apaise l’affliction des collègues et amis par ces mots : « Dieu nous l’Avait Donnée, Il A Mis un terme à sa mission et l’A Rappelée à Lui ».Quelle Antigone que cette mère ! Et pourtant, c’est à cette mère courage que la défunte manquera le plus car elle l’appelait plusieurs fois par jour.
La mort est inconcevable, car comment surmonter la séparation physique définitive avec les personnes avec lesquelles nous avons vécu des moments humains et intimes ? La mort est cruelle et injuste car elle nous arrache sans avertir les personnes que nous aimons et chérissons. Et pourtant, le mort est paradoxalement très juste aussi, car elle n’épargne personne, ni petit ni grand, ni riche ni pauvre, ni homme ni femme. En cela, elle est la seule chose terrestre qui nous soit équitablement distribuée. Mais si nous sommes impuissants devant son radicalisme, la mort nous permet de retourner à la foi, à la religion et à l’idée de la réincarnation, afin de pouvoir survivre à l’absence des disparus et à la perspective de notre propre anéantissement total. Poussière, nous redevenons en retournant à la terre-mère, après avoir vécu, aimé, été aimé, détesté, existé aux yeux de notre famille, de nos amis, de nos collègues et même de nos ennemis. C’est dur, mais c’est la finalité humaine.
« La famille judiciaire a perdu une experte en droit matrimonial, en affaires familiales, libéralités et successions. De ces affaires-là, la présidente Ndèye Khady Diagne avait une connaissance pointue et une expérience avérée, une interprétation juste et bienveillante. Elle comprenait les femmes, les enfants et les couples », selon l’avocat Me Ousseynou Gaye qui déplore une « grosse perte ». Me Ndeye Fatou Touré, spécialisée en droit familial, témoigne, elle, de « la délicatesse, de la pondération, de la discrétion et de l’intelligence sans passion » qui caractérisaient son management du Tribunal d’Instance Hors classe et qui lui valent l’estime de l’avocate à la Cour. Selon un juge de ce même tribunal, « elle est partie avec son statut de chef de juridiction qui était intimement lié à sa personne. De loin, elle impressionnait par son allure princière le Linguère d’antan, mais de près, elle était admirable d’élégance comportementale et d’humanisme. Elle a incarné jusqu’au bout un sens élevé de la responsabilité, une générosité de cœur et d’esprit, de la mesure, de l’humanisme et le sens des valeurs. Elle a réussi à faire du Tribunal Départemental une étoile qui scintille dans la galaxie des juridictions ».
Certes, la disparue est une figure emblématique qui s’était hissée au Panthéon de la famille judiciaire. De ce fait, elle ne mourra pas dans les cœurs des justiciables et de la famille judiciaire car elle continuera même après la fin de sa mission terrestre, à vivre dans l’intimité de leur cœur et dans les mémoires. Moi, j’ai eu le bonheur de la connaître et de connaitre son management méthodique depuis trois ans que j’arpente les couloirs du Palais de Justice en tant que justiciable. Reposez en paix Madame la Présidente! Sincères condoléances à sa fille Aicha.
DMF