Gynéco et Ramadan : Toucher le sexe d’une femme… en plein jeûne
La gynécologie ou l’art de farfouiller dans les parties génitales de la femme à la recherche d’une quelconque affection, cristallise en elle-même toutes les réticences que des Sénégalais devant la médecine moderne. A plus forte raison quand cette spécialité est pratiquée, dans la majeure partie des cas, par des hommes dont les cabinets sont loin de désemplir… Ramadan ou pas.
Le gynécologue sursaute d’un ahurissement feint. «Qu’est-ce que ça me fait de m’immiscer dans l’entrecuisse féminine? Bah rien, c’est un appareil comme un autre !», lance-t-il, riant de sa bonne blague. Dénicher ce personnage atypique dans les dédales de l’Hôpital général de Grand Yoff (Hoggy) est sûrement aussi ardu que de pénétrer l’objet de sa spécialité. Il faut commencer par vaincre la réticence des deux vigiles, tellement jaloux de l’accès aux lieux, qu’ils laissent souvent pantois les quelques prétendants languir au soleil. Une fois à l’intérieur, le jeu nerveux des va-et-vient dicté par les instructions contradictoires des infirmiers et autres bonnes volontés, plus occupées par le mal qui les ronge qu’à orienter les visiteurs. Et touchant au but, on monte encore un étage avant de s’enfoncer dans le couloir sombre et lugubre du service gynécologie dont les parois débouchent sur la porte du chef.
«Faire abstraction du corps humain»
Cheveux hirsutes, torse nu et pantalon bleu autour des reins, il apparaît dans l’embrasure de la porte. Puis invite à revenir dans quelques minutes, le temps pour lui d’être décent. Plongé dans la pénombre, le bureau offre une atmosphère pesante et feutrée comme dans l’ensemble du service gynécologique. Comme si l’on ne devait parler de ces choses que dans le secret et à l’abri de tous les regards. Une impression qui tranche radicalement avec le ton léger, à la limite espiègle du gynécologue. «Quand je me penche sur l’appareil génital, je fais complètement abstraction du corps féminin pour ne voir que ce qu’il y a à réparer», explique-t-il, en cassant son buste et en ajustant ses lunettes dans une auscultation imaginaire de la fleur féminine. L’examen gynécologique a ceci de spécial qu’il touche à la partie la plus intime de la femme, créant la plupart du temps un sentiment de honte. Il était d’ailleurs d’usage au XIXe siècle que le médecin fasse l’auscultation en glissant ses mains sous les jupes de la femme, tout en prenant soin de ne pas regarder. Depuis, la technique a bien évolué et se fait désormais sur une table où la patiente est écartelée entre le spéculum (appareil médical consistant en deux lames en métal poli et employé pour ouvrir le vagin) et les doigts du gynécologue. «L’idée d’avoir un corps étranger en moi m’est toujours aussi insupportable, surtout en cette période de ramadan», lâche une patiente au sortir d’une consultation avec le docteur Y.G de l’hôpital général de Grand Yoff. Et de poursuivre : «Ce n’est pas ma première expérience, mais j’ai toujours une appréhension au moment de me déshabiller».
M.T souffre de candidose, une infection provoquée par des champignons et qui attaque la flore vaginale, causant la plupart du temps des démangeaisons et des pertes blanches malodorantes. Une maladie qui peut entraîner une stérilité secondaire si elle est non traitée, explique le docteur Y.G. Un détail qui a son importance dans un pays comme le Sénégal où la coutume comme la religion jettent l’opprobre sur les femmes qui exposent leurs parties génitales aux hommes, gente qui, en majorité, se spécialise en gynécologie.
«C’est comme s’il voulait introduire sa main tout entière»
Le docteur Y.G ce Libanais d’origine est confronté tous les jours à des fibromes, des infections vaginales basses ou des difficultés prénatales. Le problème c’est moins la religion que le type de patient qui se présente à lui. «parfois, je suis en face de patientes au niveau intellectuel bas, qui ne comprennent pas que je puisse porter un masque et des gants pour les examiner. Elles pensent tout de suite qu’elles ont quelque chose de grave». Dans ces cas, le docteur remise sa blouse de gynéco au placard pour endosser celle du psy. Prendre le temps d’apaiser les craintes et d’expliquer la procédure, fait aussi partie du boulot. D’ailleurs, explique-t-il en tripatouillant son téléphone portable, la question qui revient le plus en ces périodes de ramadan est : «Docteur, est-ce que je peux quand même jeuner ?», confie le docteur YG, en avouant volontiers ne pas être savant en la matière, même s’il est un «bon musulman».
A.B, elle, n’a pas eu à poser la question. Greffage tenu par un gros serre-tête en forme de fleur et sandales assortis aux bracelets qui ornent ses bras nus, la jeune femme – un verre d’eau à la main – reprend tranquillement son souffle dans la salle d’attente d’un cabinet médical situé en face de la grande mosquée de Dakar. Elle affrontait – pour 20.000Fcfa – sa première consultation gynécologique. «Ca fait une semaine que je traîne une mycose. J’ai pensé attendre la fin du mois béni pour me faire ausculter, mais les rapports sexuels avec mon mari devenaient de plus en plus douloureux», raconte-t-elle en faisant état des rougeurs et des brulures qui la poussaient à déserter le lit conjugal. A. B pensait ne souffrir que d’une honte liée à la nudité, elle ne s’attendait surtout pas à ce que deux gros doigts gantés farfouillent dans les tréfonds de sa féminité. «C’est comme s’il cherchait à mettre sa main tout entière. J’ai senti un truc gigoter en moi, contre les parois vaginales, j’en ai eu des crampes au bas-ventre», confesse-t-elle en faisant état de sa gêne lorsque le docteur L.D s’est mis à sentir le liquide visqueux qui mouillait ses doigts. A.B n’a pu s’empêcher de se jeter sur un verre d’eau en sortant de sa consultation. «J’ai l’impression d’être souillée, alors je me suis dit que cela ne servait à rien de continuer mon jeûne».
« Je fais plus confiance aux gynécologues hommes qu’à leurs collègues femmes»
Autre son de cloche du côté de N.D. Foulard nonchalamment noué sur la tête et large sourire aux lèvres, la patiente, qui tantôt promenait son ventre proéminent à travers la salle, avoue n’avoir jamais pensé que la gynécologie puisse être incompatible avec la religion, à plus forte raison pendant le mois de ramadan. «Je suis enceinte, je dois me soigner», soutient-elle, en précisant avoir déjà posé la question à un imam de son quartier. Du reste, la pétillante future maman dit prêter plus de crédit aux gynécos hommes qu’aux gynécos femmes : «La question ne se pose pas, mais même si je jeûnais et que j’avais à faire une consultation, je la ferais. J’ai entièrement confiance en mon médecin». Une confiance dont est conscient le docteur L.D.
Perdu entre ses fiches, son écran d’ordinateur et son Bluetooth accroché à l’oreille, le gynéco explique qu’il n’a jamais eu aucun souci à pratiquer durant le ramadan. «Les ennuis médicaux ne font pas la différence entre un jour simple et un jour d’un mois béni», ironise-t-il, en apposant son paraphe sur un feuillet. De fait, il trouve même que les mentalités évoluent au Sénégal par rapport à la gynécologie.
«Avant, on avait plus de mal à soigner les infections dans le cadre d’un couple polygamique», analyse le gynéco, qui se remémore les drames qu’engendrait le diagnostic d’une infection sexuellement transmissible (IST) sur l’une des coépouses. «Maintenant, le mari et ses femmes viennent se soigner sans grande insistance de ma part.» «Nous ne faisons que réparer les dégâts que d’autres ont occasionné… Ramadan ou pas», lance le gynéco en disparaissant au détour d’un couloir.
OUSTAZ TAÏB SOCÉ «Il faut former davantage de gynécologues femmes»
Mais selon le prêcheur Taïb Socé, «l’islam ne permet pas à un homme d’ausculter une femme à moins que cela soit absolument nécessaire. Cette interdiction n’est pas sans raison quand on voit les conséquences terribles qui peuvent en découler. Je me rappelle encore du viol subi par cette femme qui se faisait soigner à l’hôpital de Ouakam. (Viol perpétré par un radiologue qui a finalement été condamné à deux ans ferme par le tribunal des flagrants délits de Dakar : NDLR). Dans un Etat islamique; on aurait, de gré ou de force, formé des hommes et des femmes pour chaque corps de métier. C’est plus sain qu’une femme consulte une femme. Alors que celles-ci recherchent d’abord les gynécologues femmes avant de se rabattre sur les hommes», dit-t-il/