Juriste dans une autre vie, j’ai gardé de ma formation universitaire des notions qui me permettent de me livrer à l’exercice du commentaire d’arrêt. La décision pénale qui m’intéresse, objet d’une grande attention de l’opinion publique du fait du pedigree du prévenu, me semble traîner de sérieuses incohérences.
Khalifa Sall a été condamné notamment pour escroquerie portant sur des deniers publics, une infraction d’une grande gravité qui d’ailleurs justifie la lourdeur de la peine qui lui a été infligée. Cette infraction suppose que son auteur ait usé de manoeuvres frauduleuses pour se faire remettre les deniers en cause à des fins d’enrichissement personnel. En l’espèce, Khalifa Sall, maire de Dakar, ordonnateur du budget de sa commune, ne peut pas être poursuivi pour escroquerie. Il dispose de jure et de facto des fonds et n’a nul besoin pour ce faire d’user d’une quelconque manoeuvre. Il ne peut être poursuivi que s’il commet des malversations dans leur gestion ou s’il les détourne de leur affectation dans un but d’enrichissement personnel. Seul un tiers est susceptible d’user de manoeuvres pour se voir remettre indûment ces deniers.
Ensuite, le juge Malick Lamotte a reçu la constitution de partie civile de l’Etat pour ensuite décider que celui-ci n’avait subi aucun préjudice et n’avait donc pas droit à une réparation. Or, dans un procès pénal, ne peut se constituer partie civile que celui qui a souffert d’un dommage directement causé par l’infraction. Le comportement du juge vis-à-vis de l’Etat dans ce procès reflète donc une contradiction absolue. Si je n’étais pas si naïf en politique, je croirais que le juge a fait exprès, en connaissance de cause, d’accueillir dans le procès une partie qui n’en est pas une, dans le but d’affaiblir la défense du prévenu par des contradicteurs illégitimes.
De même, le juge Lamotte a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la mairie de Dakar. Au bout du procès, il a reconnu implicitement, en décidant que l’Etat n’a pas subi de préjudice, que c’est la mairie qui l’a enduré. En clair, la mairie, dont les 1,8 milliard de francs cfa sont censés avoir été escroqués, a été empêchée d’entrer dans le procès pour les réclamer. Ce qui a conduit à cette situation rocambolesque où Khalifa Sall, à qui on reproche 1,8 milliard de nos francs, se retrouve ne devoir payer que 5 millions ! La partie qui devait exercer l’action civile a été écartée du procès !
Si je n’étais pas si inexpert sur les questions de pouvoir, je croirais que l’obsession de punir le maire de Dakar était si dévorante qu’on a administré le procès contre certaines normes élémentaires de bon sens.
Enfin, le juge Lamotte a estimé de façon péremptoire que le faux et usage de faux est établi dès lors que les factures d’achat de riz et de mil établies ne recoupent pas la réalité de l’utilisation faite des fonds de la caisse d’avance. Cette interprétation est sujette à caution en droit budgétaire et comptable. Dans ce droit, les fausses certifications ne sont pas un délit. Le juge des comptes cherche à s’assurer d’une seule chose: la conformité de l’affectation des fonds.
Si j’étais l’avocat de Khalifa Sall, j’aurais eu des griefs sérieux à opposer devant la Cour d’appel à la décision de Malick Lamotte. D’aucuns me diront qu’ils ne serviraient à rien, vu la nature de ce dossier qui pousse certains magistrats dociles à le trancher dans le seul souci d’appliquer au prévenu une punition à la hauteur de l’adversité qu’il suscite en Macky Sall.
Nos juges gagneraient à méditer cette pensée d’Hypolite de Livry: Le plus horrible spectacle de la nature, et un des plus communs, est de voir violer la justice par l’homme préposé pour la rendre.
Cheikh Yérim Seck
Via YERIMPOST.COM