Le crash de l’hélicoptère Mi-17 pose sur la table le problème crucial de l’équipement de nos forces armées. Et nous place devant une dramatique réalité: en dépit des sommes colossales tirées des caisses du Trésor public, nos militaires en sont à risquer leur vie à bord d’appareils, que dis-je ?, de reliques datant de 1970 ! Où sont passés ces plusieurs dizaines de milliards censés avoir été dépensés pour équiper notre défense ? Qu’a-t-on fait, par exemple, de ces 30 milliards pris à une banque panafricaine et théoriquement destinés à doter l’armée d’outils pour faire face aux groupes terroristes armés ?
A ces questions, tous ceux qui profitent des magouilles s’empresseront de répondre: « Pas de réponse. C’est le secret-défense. » Il n’y a rien de plus bidon que cette réplique. C’est de l’escroquerie intellectuelle. De l’escroquerie tout court. C’est grossièrement faux. L’achat d’aucun équipement militaire ne relève du secret-défense. Lorsque la France vend des F16 à l’Egypte, lorsque Trump vend des avions de guerre au Qatar, lorsque le Brésil acquiert des appareils de chasse, tout, y compris le détail des opérations, est communiqué aux médias.
Chez nous, si on nous dit qu’il n’y a rien à voir sur l’achat d’une cartouche, c’est simplement pour couvrir le système mafieux de brigandage des ressources publiques à travers les marchés de l’armée. Pendant qu’on nous mystifie pour nous cacher des transactions qui se retrouvent dans toutes les revues d’équipements militaires, les hauts gradés et leurs complices politiques voient leur ventre pousser, leurs châteaux émerger de terre, leurs champs s’étendre, leurs résidences secondaires avec vue sur mer s’élever… Des hommes d’affaires triés sur le volet, choisis selon le seul critère de leur capacité à partager le butin, s’enrichissent à milliards, appliquent des prix délirants pour le moindre équipement. Signe de la gabegie, la grenade lacrymogène est vendue à l’Etat du Sénégal à un prix unitaire équivalent au moins à dix fois celui pratiqué sur le marché international. Et c’est ainsi, voire pire, pour tous les équipements, surtout les plus lourds.
Dans l’intimité du secret-défense, on pille, vole, surfacture, acquiert du matériel de seconde main à des prix surréalistes. Ironie du sort, ceux qui fournissent ces équipements affichent la vente sur leurs sites internet ou dans les revues spécialisées. Comme le pain, les armes se vendent aujourd’hui à la lumière du soleil. Voila pourquoi il y a, dans le monde, des classements des différentes armées fondés sur leurs équipements recensés à partir de leurs achats publiés.
C’est une pure stratégie de vol que d’invoquer le secret-défense qui ne couvre, dans les pays où il se justifie, que les programmes confidentiels de recherche et de développement. Nous, qui achetons jusqu’aux treillis et aux godillots, ne créons rien pour cacher quoi que ce soit. Tout ce que le Sénégal acquiert est rendu public par les fabricants et distributeurs. Rien n’est secret à cet égard.
Alors que certains chipotent à propos de fautes de procédure relevées par l’ARMP dans les administrations civiles et impliquant parfois des montants ridicules, les plus gros scandales et les plus graves malversations financières ont cours dans l’armée. Il est temps de mettre fin à cette mystification dont la seule finalité consiste à couvrir le brigandage de l’argent public. Tous ceux qui militent dans ce pays pour la bonne gouvernance doivent exiger l’instauration de procédures de transparence dans les marchés du ministère des Forces armées. Ce crash meurtrier, certainement dû à une mauvaise acquisition ou à un entretien défectueux de l’hélicoptère, est l’occasion pour ouvrir ce débat. Yerimpost y reviendra avec plus de détails.
Cheikh Yérim Seck
YERIMPOST.COM