Les cas de décès en détention, les bavures policières, l’affaire Khalifa Sall, l’iniquité devant la Justice, l’arrestation d’Ami Collé Dieng ou encore celui d’Oulèye Mané : Amnesty International a tout consigné dans son rapport 2017-2018, publié ce jeudi. Nous vous proposons des extraits du rapport, lu face à la presse, par Seydi Gassama, patron d’Amnesty international Sénégal.
Si vous êtes du côté du Président…
« La procédure de l’affaire Khalifa Sall comme les autres procédures qu’on a connu depuis l’avènement de Macky Sall, malheureusement, ne visent que les gens d’un seul camp. Si vous êtes du bon bord, celui du Président, personne ne fouillera dans votre gestion. Et même si on fouille dans votre gestion, comme il le dit lui-même, il mettra le dossier au tiroir et sortira d’autres pour les remettre au Procureur. Cela pose le problème de la rupture d’égalité des citoyens devant la loi.
« Les autorités ont interdit des manifestations pacifiques et arrêté des manifestants à l’approche des législatives de 2017. En juin, les forces de sécurité ont blessé 2 personnes par balle et roué de coups plusieurs autres manifestants lors d’une marche organisée à Touba pour dénoncer les mauvais traitements par une milice religieuse « Safinatoul Aman », qui sévit à Touba et qui fait parfois des opérations de police.
Les bavures de la Police
« Et dans ce cas que nous évoquons dans le rapport, c’est un jeune garçon qui a été torturé dans les locaux de la police à Touba. Et à la suite de cela, les commerçants du marché Ocass ont organisé une manifestation au cours de laquelle 2 personnes ont été blessées par balles réelles. Selon des témoins oculaires et les victimes, la police est l’auteur de ces tirs. Evidement la police a nié en disant qu’elle va ouvrir une enquête. Mais au jour d’aujourd’hui, plus de 6 mois après, personne ne connait les suites de l’enquête promise par la police.
« Vingt membres du mouvement « 1000 jeunes pour libérer Khalifa » ont été arrêtés en juin et en novembre pour « troubles à l’ordre public » après avoir manifesté pacifiquement à Dakar. A l’exception d’une personne, tous ont été relâchés le jour même. En juillet, les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques pour réprimer une manifestation pacifique organisée par Abdoulaye Wade. Les autorités ont mis fin à la manifestation en application d’un décret de 2011 interdisant tout rassemblement dans le centre-ville de Dakar.
Les morts de la douane et de l’armée
« Yamadou Sagna, un jeune orpailleur habitant le village de Kobokhoto, dans la région de Kédougou, a été tué par un auxiliaire des douanes au mois de février 2017. Une autre personne, un pèlerin bissau-guinéen du nom d’Abdoulaye Baldé, a été tué par un agent des douanes à Nianao, en février 2018. L’élève sous-officier d’active Mbaye Mboup est mort dans un centre de formation de l’armée nationale le 21 novembre 2017. Le certificat de genre de mort fait état de sévices subis par le défunt.
« Des journalistes, des artistes, des utilisateurs des médias sociaux et d’autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes ont été arrêtés de manière arbitraire. Le 30 juin, la journaliste Oulèye Mané et trois autres personnes ont été interpellées pour « publication d’images contraires aux bonnes mœurs » et « association de malfaiteurs » après avoir partagé des photographies du Président.
Dire que le président est un « Ounk«
Ces personnes n’ont pas produit cette image, elles l’ont partagée pour plaisanter. Cela leur a valu d’être emprisonnés. Cela montre qu’aujourd’hui, chacun de nous est exposé à la prison. Car, l’image que vous recevez, si vous la partagez sur WhatsApp même avec votre conjoint on peut venir vous emprisonner parce que simplement vous avez partagé une image jugée offensante envers le chef de l’État qui est un homme public, pas un religieux. Il est dans la politique. Il ne peut être à l’abri des attaques.
« Il y a également le cas Ami Collé Dieng, arrêtée à Dakar le 8 août et accusée « d’outrage au chef de l’État » et de « diffusion de fausses nouvelles » après avoir posté sur WhatsApp un enregistrement sonore critique à l’égard du président où elle taxe le président d’être un « Ounk » (salamandre). C’est extraordinaire qu’on puisse envoyer quelqu’un en prison parce qu’elle a dit que le Président est un « Ounk« .
La terreur dans les réseaux sociaux
« On assiste à une certaine restriction des libertés et à un contrôle de l’espace social et d’internet par le pouvoir en place. Le but qui est visé, ce ne sont pas les injures. On veut contrôler la société pour éviter que les réseaux sociaux deviennent un espace de contestation. On sait tous que la révolution arabe est passée par les réseaux sociaux. Donc, il faut terroriser, installer la peur dans cet espace pour que plus jamais on ne l’utilise à des fins de contestation. C’est cela le but final.
« En août également, le procureur de la République a lancé une mise en garde officielle, indiquant que quiconque diffuserait sur internet des commentaires ou des images à caractère « injurieux », était passible de poursuites (…) C’est toujours dans cette logique d’intimider les gens et de faire en sorte que les gens ne se donnent plus des libertés sur internet. C’est pour protéger le pouvoir. Le protéger contre toute contestation qui pourrait naître dans les réseaux sociaux.
Les talibés et la population carcérale
Le problème de la surpopulation carcérale persiste et les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires étaient toujours très éprouvantes. Au moins quatre personnes sont mortes en détention ; deux d’entre elles « se seraient pendues (…).
En juillet, Human Rights Watch a signalé que sur les 1500 enfants arrachés à la rue, entre juillet 2016 et mars 2017, plus d’un millier étaient retournés dans leur internat coranique traditionnel. Ils en avaient été retirés dans le cadre d’une initiative gouvernementale en 2016. La plupart de ces établissements n’ont fait l’objet d’aucun contrôle officiel et de nombreux enfants ont été renvoyés de force dans la rue pour y mendier. »