Depuis quelque temps, certains Sénégalais ont introduit dans leur vocabulaire des termes tels que : «xana nex, xana xeumgua, mane rek ci xaley, na gooré, dinama nex, aye doore la, yaye bagne….». Comme une trainée de poudre, ces termes se répandent à une vitesse exponentielle et touchent à toutes les couches sociales.
Mais fait rare pour mériter d’être souligné : ces expressions orales ne vivent que le temps d’une rose, avant d’être abandonnées au profit d’autres. Issues de la rue, elles sont vulgarisés par les animateurs de radios ou de télévisions, les chanteurs et autres artistes-comédiens.
Les enfants s’en donnent, aussi, à cœur joie. Dans les quartiers, comme dans les établissements scolaires de la place, ces idiomes font la pluie et le beau temps, avec toute la créativité et l’inventivité dues à un esprit fertile qui frise, pour certains, le dégoût.
Comme une drogue à laquelle on devient accro, ces termes s’invitent au vocabulaire déjà trop…riche des Sénégalais. Pour comprendre l’essence de ces expressions et leur propagation fulgurante, Actusen.com a donné la parole à plusieurs personnes, notamment des animateurs de télévisions et radios ou le citoyen lambda de tous les âges. Plongée dans l’univers de la dépravation du langage ordinaire !
Les mots n’ont de sens que dans le contexte où ils sont employés. Cet adage universel d’un autre âge ne semble pas être partagé par une bonne partie de la population. Pourtant, depuis belle lurette, les ados communiquent avec des mots qui leur sont propres. Et deviennent, du coup, les seuls détenteurs et à-mêmes d’en décoder l’essence. Cependant, depuis quelques mois à Dakar et au Sénégal, les expressions orales pullulent dans le langage ouolof (langue la plus parlée au Sénégal). Les uns les plus salaces que les autres.
Dans les places publiques, dans les marchés, à l’école ou dans les véhicules, il ne se passe pas un instant sans que des termes ne soient prononcés : xana xeumgua, na gooré, xana nex, mane rek ci xaley, dinama nex, aye door la, yaye bagne…”. Nous sommes à Liberté I. Jadis réputé pour sa tranquillité, ce quartier, situé en plein cœur de la capitale, se caractérise par l’oisiveté de sa jeunesse.
Malick Diop étouffe de rage : “les médias et les parents participent à la propagation de ces termes vulgaires et irrespectueux ; l’expression «door» a une connotation d’escroquerie et de deal”
Assis à l’ombre d’un arbre, en face du stade Demba Diop, Malick Diop, âgé de 22 ans, est venu assister à un match de football. Habillé d’un short en kaki et d’un tee-shirt à l’effigie de son équipe de quartier, il s’impatiente et scrute le début du match. Tasse de café à la main, il donne son opinion sur le phénomène : “xana nekh, aye door la...” Mais Malick Diop est sans complaisance à l’endroit des parents et pointe un doigt accusateur sur les médias qui, d’après lui, participent à la propagation de ces termes «vulgaires et irrespectueux».
«Ce sont les chanteurs, qui créent ce nouveau langage juste pour faire du buzz. Le plus souvent, nous ne savons même pas l’étymologie. Néanmoins, nous les (animateurs) imitons comme sans arrière pensée», explique-t-il. En effet, c’est comme le cas de l’expression «door» qui a une connotation d’escroquerie et de deal. Parfois, «c’est une façon détournée d’être vulgaire ou lèche-bottes des personnes riches ou célèbres», poursuit Malick Diop.
Fama Touré : «nous utilisons ces termes pour être à la page ou in, mais «yaye bagne, koumay teul» ont des connotations perverses et déplacées»
A l’avenue Bourguiba, le bruit des moteurs mêlé aux klaxons des voitures assourdissent le tympan des passants. Au cours de notre périple, dans un coin de ruelle, Fama Touré traine sa silhouette longiligne. Elève au Lycée des jeunes filles de Kennedy, elle porte fièrement son uniforme aux couleurs rose. Se dandinant avec une allure nonchalante. Interrogée, elle indique que cette tendance à l’utilisation de ces expressions est un phénomène passager, à l’instar de beaucoup d’autres qui ont précédé celles-ci. Mais invite les jeunes de son âge à les employer, en tenant compte du lieu et de la personne d’en face.
«Ce n’est pas la première fois qu’on invente des termes, entre jeunes. Nous le disons pour être à la page, comme tout le monde ; sino,n on est taxé de has been ou démodée», a-t-elle déclaré. Toutefois, Fama Touré reconnait que certains termes usités à l’exemple de «yaye bagne, koumay teul» ont des connotations perverses et déplacées. De son avis, une femme, qui se respecte, ne doit pas associer des termes vulgaires à son vocabulaire.
«A l’école, tout le monde utilise ces termes, y compris moi-même, mais il y a des mots que j’ai bannis de mon langage .C’est pourquoi, j’invite mes camardes à faire la distinction entre les paroles prononcées entre amies et celles employées devant des personnes d’un autre âge qui mérite respect», a-t-elle lancé.
Papis Diakhité : «si une personne s’aventure à me parler de la sorte, je lui remonte les bretelles»
Dans le souci d’éclairer la lanterne des populations sur cette propension chez les jeunes à recourir à ces expressions, nous nous rendons dans le populeux quartier de Bene Tally où règne, une certaine promiscuité. Ici, la population est majoritairement jeune. Papis Diakhité en fait partie. Agé d’une vingtaine d’années, il est un «baye fall»(disciple mouride, précisément de Cheikh Ibra Fall).
Moulé dans un pantalon bouffant en wax, assorti d’une étoffe coupée sur les côtés, Moustapha Diakhité est vendeur de «café touba» de son état. Sans détour, le petit commerçant dénonce ce qu’il appelle la dépravation des mœurs par la parole. «Ce sont des termes que nul n’oserait tenir devant ses parents ou ses supérieurs, à plus forte raison face à son guide spirituel. Ce qui prouve que leur caractère irrespectueux est manifeste”, tranche-t-il.
Poursuivant, il ajoute : “nous sommes des mourides, nous nous distinguons par l’éloquence de nos propos et le respect envers nos prochains. Fort de cela, il nous est interdit de nous aventurer à se s’adonner à ces futilités», précise Papis Diakhité.
L’air sérieux en évoquant le sujet, le vendeur de «café touba» se la joue menaçant en ces termes : «si une personne s’adresse à moi, en employant ces termes déplacés, je lui remonte les bretelles», avertit-il. Alors qu’il est en train d’ergoter encore sur le sujet, une de ses clientes lui fait comprendre que ces langages de la rue se sont vulgarisés par le biais des lutteurs, spots publicitaires et feuilletons de télévisions.
Très prolixe, Astou dite bambara, une dame de forte corpulence, la quarantaine à peine sonnée, est emmitouflée dans un grand boubou en coton. La tête nouée avec un foulard, elle estime que «les parents doivent veiller au comportement de leurs progénitures». Cependant, elle reconnait que cette tâche est difficile du fait de la prolifération de Séries télévisées à l’exemple de Dinama nekh qui n’a rien d’instructif, dit-elle.
Pis, poursuit-elle, «nous avons la malchance de vivre dans un quartier pauvre et à forte concentration étrangère. Pour cela, nous devons redoubler d’effort par rapport aux parents des autres quartiers. Ces mots de la rue sont vulgarisés par les chanteurs et animateurs. Ce qui légitime ces expressions, dans la mesure où les enfants s’identifient à eux», a regretté Astou dite bambara.
Khadim Faye : «Nos parents, à leur époque, disaient Boule faalé, teuss…. C’est juste une question de feeling aussi pour être fashion»
A la suite de Astou, dite bambara, et toujours dans l’agglomération de Bene Tally, Actusen.com fait cap sur le quartier Ouagou Niayes. Son décor est peu reluisant. L’occupation anarchique des rues qui jouxtent le marché Nguelaw, en dit long. Le quartier abrite le Collège Bakara Mbaye Kaba, où nous reçoit Khadim Faye, élève en classe de 4e. A l’heure de la pause, il était entouré de ses amis.
Mais l’adolescent ne manque pas de mordant. Interrogé sur l’attitude de certains adultes qui passent le plus clair du temps à dramatiser le style des jeunes, Khadim Faye rétorque : «dans toutes les langues du monde, il y a des tournures créées par les jeunes. Que ce soit en anglais ou en wolof. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Nos parents, à leur époque, disaient Boule faalé, teuss…. C’est juste une question de feeling aussi pour être fashion», se justifie-t-il.
Face à ce phénomène qui connait un essor fulgurant, les célébrités et les animateurs de radios et télévisions sont pointés du doigt. Mais l’animateur Aba de la Sen Tv fait dans le clair-obscur.
Aba no stress de Sen Tv : «j’utilise le mot door pour quémander de l’argent et je l’assume»
Joint par téléphone par Actusen.com, Aba de l’émission éponyme «Aba No Stress», sur la Sen Tv, compte, à son actif, plusieurs admirateurs. Et son slogan «damay door» est repris par une bonne partie des jeunes. Des adultes aussi ! Interpellé sur le caractère péjoratif de ces termes et l’impact sur la jeunesse, l’animateur vedette de «yendou leen» affirme : «nous sommes des jeunes. A chaque période, nous utilisons des termes différents”, se justifie-t-il.
Cela ne date pas d’aujourd’hui. En ce moment, xana nekh, xana xeumgua, yaye bagne…, sont en vogue. C’est vrai que nous, les animateurs, en sont les principaux vulgarisateurs, mais c’est dans le but d’agrémenter nos émissions. Le plus souvent, nous ne les créons pas. Nous ne faisons que reprendre le langage de la population», explique l’animateur qui fait le buzz sur le petit écran de la «première télévision urbaine du Sénégal».
Selon lui, la signification qu’on en fait, dépend des intentions des personnes. «Si un homme invite une fille chez lui et que cette dernière lui réponde par «yaye bagn», on peut en déduire de la vulgarité. Xana Nekh, est un compliment. Xana Xeum gua, c’est pour montrer à l’autre son étonnement», explique Aba au bout du fil.
Intepellé sur son habitude à utiliser le terme «door», Aba assume sa position. Sur un ton taquin, l’animateur de la Sen Tv de marteler : «J’utilise le terme door qui est le diminutif de door waar (entreprendre) dans le but de quémander de l’argent aux nantis. J’assume mes actes. Cependant, j’exhorterai les enfants à ne pas suivre mes pas», affirme-t-il.
Khady SYLLA (Actusen.com)