Le Procès Khaf cache un autre procès

Le procès Khalifa Sall a au moins le mérite de nous édifier sur le rapport peu orthodoxe que nos hommes politiques entretiennent avec le bien public. Les révélations sur la destination des fonds de la caisse d’avance ont fini de révéler au Sénégalais que la politique dans notre pays n’est qu’un moyen pour les fainéants et les médiocres de s’enrichir. La déchéance morale et intellectuelle dans laquelle se trouve notre société s’explique désormais alors par le défaut de leadership de ses dirigeants. Quand la corruption gangrène une société on ne doit plus s’étonner que les médiocres y jouent les premiers rôles : à quoi ça sert de cultiver l’excellence si la tricherie est plus rentable ?

Quand l’argent du contribuable permet d’entretenir une classe maraboutique peu soucieuse du danger que représente le gain facile pour une société, quand des élites politiques acceptent de recevoir de l’argent public pour régler des problèmes personnels, quand des journalistes et des membres de la société civile avouent avoir bénéficié d’une caisse d’avance dont la gestion est en contradiction avec toutes les règles de la bonne gouvernance, que devient le citoyen ordinaire ?

AFFAIRE KHALIFA SALL : UN PROCÈS PEUT EN CACHER UN AUTRE

C’est en réalité le procès de toute la classe politico-médiatique qui est en train d’être fait à travers celui de Khalifa Sall : c’est le procès de la honte. Ce procès est en fin de compte la manifestation d’une névrose collective qui gangrène toute une société. La névrose est définie comme un dysfonctionnement de la personnalité dont la victime est consciente. Elle se manifeste souvent par une obsession qui cache une angoisse. Ils ont tellement triché dans la vie que l’angoisse de culpabilité les poursuit partout ; et pour se faire bonne conscience, ils sont obligés de se projeter sur les autres (en les incriminant de leurs propres turpitudes) pour fuir leur propre angoisse. Le régime de Macky Sall est angoissé par la propriété parce qu’il est invinciblement immonde.

Le seul verdict qui peut sortir du procès Khalifa Sall est que les gens qui nous gouvernent ne sont regardants envers la bonne gouvernance que lorsqu’ils ne gouvernent pas ! On ne peut pas purifier avec de l’eau et des mains souillées : c’est donc une grande supercherie que de prétendre assainir les mœurs politiques quand on est soi-même assis sur un tas d’insalubrités politico-financières. Comment un Président de la république qui prétend que son patrimoine (emmagasiné entre 2000 et 2012) fait moins de deux milliards de franc peut-il légitiment poursuivre un maire pour une caisse d’avance dont le montant fait à peu près le même montant ? Comment un ministre de la république qui a tiré profit de cette caisse d’avance pour l’organisation de ses propres activités culturelles peut-il incarner le rôle d’un modèle à offrir à la jeunesse de son pays ?

Personne n’est dupe : en 2009 quand ils ont remporté les élections municipales, ils ont clamé haut et fort qu’ils allaient se servir de cette victoire pour conquérir le pouvoir central. Ils l’ont fait au sens propre comme au sens figuré. Ils reprochent à Khalifa Sall les crimes qu’ils ont commis ensemble entre 2009 et 2012. Ils lui reprochent de s’être servi de la caisse d’avance pour asseoir davantage sa légitimité politique. Ils lui reprochent de s’en être servi pour asseoir son ambition présidentielle sur une base populaire entièrement redevable voire asservie. Il faut être honnête : l’argent de la caisse d’avance n’a jamais été dépensé pour des raisons philanthropiques, il a toujours été dépensé à des fins politiques. Comme les fonds politiques des autres institutions de la république, cet argent sert à acheter des voies et des consciences. Aujourd’hui, Khalifa Sall aurait dépensé l’argent de la caisse d’avance sur les chemins parallèles de la réélection de Macky Sall, il serait présenté comme un saint ou un héros.

Ils montrent ostensiblement leur richesse et le luxe dans lequel ils baignent grâce à la politique et, en suscitant la convoitise des pauvres, ils ont tué la démocratie sur l’autel de la corruption. Le luxe, disait Rousseau, est « ou l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité ; il ôte à l’État tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion [1]». Chaque fois que je lis ce passage, j’ai envie de m’écrier : Rousseau notre contemporain, Rousseau notre pays, Rousseau notre compatriote ! Jamais peinture de la société sénégalaise n’aura été aussi réaliste. La possession et la convoitise ont brisé tous les élans de la citoyenneté, elles ont anesthésié les ardeurs de la jeunesse et inhibé la capacité d’indignation des intellectuels. Notre patrie est aliénée par une torpeur citoyenne qui est l’effet de la peur de ne pas être servi : journalistes, hommes politiques, intellectuels, artistes, mouvements de jeunes ont tous vendu leur âme au diable pour mériter sa compagnie.

Nous avons trahi ce pays, nous l’avons laissé aux intérêts personnels et aux lobbies étrangers parce que chacun veut sauver sa triste vie personnelle. Nous sommes tellement avides d’argent et de luxe que nous nous aliénons à ceux qui les détiennent. L’opinion, comme l’a si bien dit Rousseau, est devenue le dieu artificiel qui nous dicte nos conduites et nos valeurs et qui, par ce moyen, nous enlève toute capacité critique. Autrement dit, la grande perversion de notre démocratie, c’est que les bonnes et mauvaises conduites ne sont plus jugées en fonction de la vérité, mais en fonction du décret de l’opinion. Le plus habile à manipuler l’opinion est, sous ce rapport, le champion vénéré, le génie politique hors pair. Tout le monde sait que Macky Sall n’est pas meilleur que ceux qu’il fait condamner par sa justice, tout le monde sait que les hommes politiques ne sont pas pauvres, tout le monde sait que ceux qui se sont enrichis par la politique sont tous coupables des mêmes crimes.

Sous nos yeux, la démocratie est en train d’être abolie pour faire place à l’oligarchie et cela n’augure rien de bon. Au lieu de faire face aux enjeux du développement, notre pays va, pour une longue période, être englué dans un cycle de règlement de compte entre oligarchies successives. Toute l’énergie mobilisée pour se faire mutuellement mal aurait pu être investie dans la bienfaisance, dans la recherche de solutions révolutionnaires pour sortir notre pays du gouffre. D’où la nécessité de fermer cette lugubre et sinistre parenthèse Macky Sall pour remettre notre pays sur orbite. Pur ce faire, la sanction du mandat unique s’impose comme un impératif pour redonner au peuple sa souveraineté volée par des imposteurs.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

SG du Mouvement LABEL-Sénégal

[1] DU Contact social, Dou livre III, chap. 3. (Soulignés par nous)

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