En exil au Qatar, Karim Wade demeure le candidat officiel du Parti démocratique sénégalais. Mais à Dakar, à un an de la présidentielle, l’impatience et les tensions montent au sein du mouvement fondé par son père, Abdoulaye Wade.
Depuis le Qatar, où il réside, le fils d’Abdoulaye Wade a tout de même tenu à saluer la mémoire du défunt khalife. Dans un « message de condoléances » diffusé le 11 janvier, il dit regretter « d’avoir été empêché d’aller à Touba » après sa libération, en juin 2016, et « d’avoir été expulsé de [son] propre pays pour prendre le chemin d’un exil forcé ».
Amende de Karim Wade
Ce texte incisif contre le pouvoir de Macky Sall est sa première prise de parole publique en un an et demi. Depuis son arrivée dans le petit émirat du Golfe, l’ancien détenu de Rebeuss ne pipe mot : pas d’interview ni de déclaration. Pas même une lettre ouverte. Au sein du PDS, rares sont ceux qui peuvent dire comment il occupe ses journées ou qui il reçoit. Les rumeurs sont nombreuses, mais rarement vérifiées. Karim Wade s’applique à brouiller les pistes, comme avec cette carte de vœux adressée le 31 décembre aux médias signée « À bientôt au Sénégal ».
À Dakar, son silence pose question et désarçonne ses soutiens. Pour beaucoup, l’idée que le candidat officiel du PDS pour la présidentielle de 2019, puisse, dès l’année prochaine, défier le président sortant dans les urnes, paraît de moins en moins réaliste. Outre son absence du pays à un an du scrutin, dont le premier tour doit se tenir en février 2019, le principal obstacle reste judiciaire : s’il a bien été gracié, libéré et autorisé à partir au Qatar, il n’a pas été amnistié et doit toujours payer l’amende de 210 millions d’euros pour « enrichissement illicite » à laquelle il a été condamné en 2015.
«Si Karim Wade a vraiment une ambition présidentielle, qu’il le dise clairement » s’agace un ponte de la formation wadiste
Pour augmenter un peu plus la pression sur le fils Wade, le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, a récemment rappelé qu’il ne bénéficierait d’aucun traitement de faveur en cas de retour. En clair : il devra régler sa dette, sous peine de retourner en prison.
Frictions au sein du PDS
Au sein du PDS, cette situation provoque des crispations. Après avoir attendu leur candidat en vain pour les législatives de juillet 2017, des cadres du parti ne cachent plus leurs inquiétudes pour 2019 et qualifient son absence de « handicap ». « S’il a vraiment une ambition présidentielle, qu’il le dise clairement, s’agace un ponte de la formation wadiste. Plus le temps passe, plus les choses vont se compliquer. Nous ne pouvons pas rester ainsi sans candidat à nos côtés à quelques mois de la présidentielle. »
La différence de générations joue aussi. Les vieux briscards du PDS, qui ont accompagné et soutenu Abdoulaye Wade pendant plusieurs décennies, ont du mal à se plier aux ordres de leur invisible cadet, avec lequel ils n’échangent qu’au téléphone ou par WhatsApp. « Avec Karim, les relations sont parfois conflictuelles, poursuit notre source. Nous n’acceptons pas qu’il se prenne pour son père, et encore moins qu’il essaie de commander à distance depuis Doha. »
Karim Wade a gagné en prison une incontestable légitimité
D’autres responsables du PDS s’agacent de l’émergence, en dehors des structures du parti, de mouvements de jeunes « karimistes » – qu’ils connaissent mal et sur lesquels, ils n’ont aucun contrôle.
Aussi critiques soient-ils, les membres historiques du PDS le reconnaissent : impopulaire en 2012, Karim Wade a gagné en prison une incontestable légitimité. Bien moins nombreux sont ceux qui lui reprochent encore, comme du temps où il était « ministre du Ciel et de la Terre », son « arrogance », son statut de fils bien né, voire la couleur de sa peau.
Les mêmes le concèdent aussi : personne ne ferait un meilleur candidat que lui. « Grâce à sa notoriété et à son nom, lui seul est capable de mobiliser une frange importante de la population et de rivaliser avec Macky Sall », estime Babacar Gaye, le porte-parole du PDS.
Détention heureuse
Comment le premier parti d’opposition en est-il venu à désigner ce candidat, dont il savait pertinemment que les déboires judiciaires allaient lui compliquer la tâche ? Parce qu’il n’y avait pas de meilleure manière de le présenter comme un « détenu politique », face à un pouvoir qui emprisonnerait ses opposants.
En mars 2015, le PDS a soigné son timing : Karim Wade a été fait candidat deux jours avant sa condamnation par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). « Il s’est retrouvé leader et candidat du parti par la force des choses, résume El Hadj Amadou Sall, dirigeant du PDS. Mais sa détention arbitraire lui a attiré la sympathie des Sénégalais. »
Au nom du père
Il y a surtout ce qu’a fait Abdoulaye Wade, au fil des années, pour que son fils se taille un costume de présidentiable. Né six ans avant la fondation du PDS, Karim a assisté aux premières réunions dans la maison familiale de Dakar et aux campagnes paternelles face aux présidents Senghor puis Diouf. « Tout n’a pas toujours été rose pour Viviane et les enfants, tient à préciser un proche du clan Wade. Abdoulaye n’était pas souvent là et il a pris de gros risques pour ses activités politiques, notamment sur le plan financier. »
Lors de ses études supérieures à Paris, Karim passe de temps en temps au siège français du PDS. Ceux qui le côtoient se rappellent un jeune homme discret et intéressé par les activités du parti, mais pas d’un militant pur et dur. En 2000, la vie de son père et la sienne basculent avec la première alternance.
« Karim avait une double obligation : montrer qu’il pouvait réaliser de grands projets et ne pas décevoir son père »
Une fois au pouvoir, Wade appelle les jeunes Sénégalais de la diaspora à revenir pour l’aider à développer le pays. « Je ne peux pas demander ça aux autres sans que mes enfants donnent l’exemple », ajoute-t-il en privé. Karim, alors banquier à Londres, et sa sœur, Syndiély, auditrice dans un cabinet de conseil à Genève, rentrent donc au Sénégal.
Nommé conseiller spécial à la présidence, Karim est d’abord chargé de dossiers techniques. Son père, qui apprécie son côté méthodique, lui confie ensuite l’organisation du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), qui doit se tenir en 2008 à Dakar. « Karim avait une double obligation, se rappelle un de ses anciens collaborateurs : montrer qu’il pouvait réaliser de grands projets et ne pas décevoir son père. Il a donc travaillé nuit et jour pour la réussite de l’OCI. »
Par la suite, tout s’enchaîne très vite. Aux élections locales de 2009, Karim Wade échoue à se faire élire dans le bureau de vote familial du Point E, à Dakar, mais est nommé ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures.
Succession
Début 2011, son père envisage de modifier la Constitution pour créer un poste de vice-président. Beaucoup y voient les prémisses d’un plan de succession taillé sur mesure. Des années plus tard, El Hadj Amadou Sall s’en agace encore : « L’opposition a mis dans la tête des Sénégalais cette histoire de dévolution monarchique, mais c’était totalement faux. Wade n’a jamais voulu que son fils lui succède. Qui pouvait sérieusement imaginer qu’il envisage de le désigner vice-président ? »
Nombreux sont les ténors à avoir cru un jour faire office de dauphin aux yeux du « Vieux » : Idrissa Seck, Macky Sall, Pape Diop, Abdoulaye Baldé…
Au sein du PDS pourtant, voilà déjà longtemps que la place prise par le fils est devenue un sujet de discorde. Dans ce parti géré comme une grande famille, où le chef pouponne ses cadres et entretient avec eux des rapports teintés d’affection, nombreux sont les ténors à avoir cru un jour faire office de dauphin aux yeux du « Vieux » : Idrissa Seck, Macky Sall, Pape Diop, Abdoulaye Baldé…
Tous sont tombés en disgrâce ou ont fini par quitter le PDS, parce qu’ils n’avaient pas été adoubés pour reprendre le flambeau jaune et bleu. Modou Diagne Fada complète cette liste des fils spirituels déçus. « Quand Wade est resté secrétaire général du PDS après sa défaite en 2012, j’ai compris qu’il préparait le fauteuil pour son fils, se rappelle cet ex-ministre. J’ai lancé un mouvement de réforme pour réclamer un plan B, mais le père ne voulait pas entendre parler de renouvellement. J’ai fini par être exclu du parti, en octobre 2015. »
Abdoulaye, le patron
Selon les proches de l’ancien président, plusieurs raisons expliquent ce choix. « Il y a d’abord celle du sang. Karim est son seul fils, pour lequel il a une profonde affection », confie un cadre du PDS. « Wade se sait proche de la fin et veut préserver son héritage politique. Le meilleur moyen pour s’en assurer, est de soutenir son fils », ajoute un second.
Abdoulaye Wade s’est retrouvé, à 91 ans, tête de liste de la coalition formée par le PDS pour les dernières législatives
En attendant un hypothétique retour de son fils au Sénégal, Abdoulaye Wade reste le patron incontesté du PDS. « Il ne veut pas de bicéphalisme à la tête du parti. Même pour son fils. Tant qu’il est là, il reste le seul et unique chef. Il déteste qu’on lui fasse de l’ombre », analyse un de ses proches.
Un leadership tellement incontesté que l’ancien président s’est retrouvé, à 91 ans, tête de liste de la coalition formée par le PDS pour les dernières législatives. Élu député, il ne siège pas à l’Assemblée nationale mais continue à gérer les affaires du parti. S’il s’appuie notamment sur son secrétaire général adjoint, Oumar Sarr, il consulte aussi régulièrement son fils, à qui il a rendu visite à Doha avec Viviane pour les fêtes de fin d’année. Nul doute qu’entre le plat et le dessert, le père et le fils ont causé stratégie politique en vue de 2019.
Viviane Wade, le soutien discret
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