Dans un rapport confidentiel jamais révélé au public, la Banque mondiale avait conclu une enquête, menée à la demande de l’Etat du Sénégal, que les sociétés commerciales et les immeubles attribués à Karim Wade sont partie intégrante du patrimoine d’Ibrahim Abou Khalil Bourgi dit Bibo.
Ce document qui innocente Wade-fils, était pourtant détenu par Macky Sall, le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, et les magistrats de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) qui l’ont tous mis sous le coude.
Au mois de juin 2012, Macky Sall nouvellement élu président de la République du Sénégal avait sollicité la Banque mondiale et l’Office des Nations-unies contre la drogue et le crime (Onudc) pour des enquêtes sur les biens prétendument mal acquis placés à l’étranger par vingt-cinq anciens dignitaires du régime. Cela au titre de l’initiative Star (Stolen Assets Recovery). Et lors d’un point de presse tenu en juin 2012, Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale, confirmait cette information et révélait qu’en plus de la Banque mondiale, le gouvernement de Macky avait approché les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne, pour recouvrer ces biens de l’Etat sénégalais spoliés et placés à l’étranger. En septembre de la même année, au cours d’un séminaire, l’ex-ministre de la Justice, Aminata Touré, confirmait toutes ces procédures déclenchées contre Karim Wade, Oumar Sarr, Madické Niang, Samuel Sarr, etc.
Il s’en est suivi une enquête planétaire et une traque internationale conduite par la Banque mondiale et plusieurs pays dont la France. Elles aboutiront, en mars 2014, au classement sans suite de la plainte de l’Etat du Sénégal à Paris contre Karim Wade qui sera finalement innocenté par la justice française dans une procédure ultérieure. Seulement voilà : depuis 2012, l’opinion nationale et internationale n’a plus jamais entendu parler de cette enquête de la Banque mondiale dont le rapport et les conclusions ont pourtant innocenté Karim et ses compagnons.
Ce rapport qui allait changer le verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) a été volontairement dissimulé par le président Macky Sall, par son ministre de la Justice, Sidiki Kaba, et par tous les magistrats siégeant à la Crei. Parce que ce document en faveur de Karim Wade et de ses supposés complices allait susciter un non-lieu, voire une relaxe pure et simple.
En effet, tout au long des années 2012 et 2013, des magistrats étrangers notamment français recrutés et missionnés par Macky Sall devenu président de la République du Sénégal ont travaillé dans le plus grand secret dans les bureaux de la Crei, à côté des magistrats sénégalais. Ils avaient pour seule et unique mission de contrôler et de superviser le travail des magistrats sénégalais de la Crei, en charge de l’instruction du dossier de Karim Wade. C’est ainsi qu’ils ont eu de nombreuses séances de travail avec l’ancien Garde des Sceaux, Aminata Touré, et son directeur de cabinet Mamadou Baal devenu, par la suite, juge à la chambre criminelle de la Cour suprême qui a confirmé la condamnation de Karim Wade. On ne peut, dès lors, s’empêcher d’être scandalisé par la présence d’un étranger, dans une procédure judiciaire d’un Etat souverain, en dehors de toute désignation par les juridictions sénégalaises compétentes. Cela ne traduit-il pas l’existence d’un complot visant à se débarrasser par la voie judiciaire d’un candidat gênant et menaçant la réélection en 2019 du président Macky Sall ?
Un rapport jamais versé dans le dossier du procès de Karim
Daté de novembre 2013, le rapport de la Banque mondiale a été rédigé par Jean Louis Herail, ancien commissaire de police et magistrat français détaché à la Banque mondiale. Il est intitulé : «Rapport sur les comptes bancaires d’Ibrahim Aboukhalil et de Karim Wade à Monaco – Synthèse des mouvements financiers opérés à partir des comptes bancaires contrôlés ou détenus par Ibrahim Aboukhalil et Karim Wade au sein de la banque Julius Baer à Monaco». Mais que fait la Banque mondiale dans cette procédure ? Est-elle au courant de l’immixtion d’un de ses agents dans une procédure judiciaire d’un Etat souverain ? Immixtion ayant pour unique objectif d’aider des «magistrats aux ordres» à trouver des éléments à charge pour se débarrasser du candidat déclaré du premier parti de l’opposition sénégalaise à une élection présidentielle. Ainsi, des clarifications des autorités françaises et de la Banque mondiale s’imposent. Le sommet sur l’éducation qui se tient à Dakar, les 1er et 2 février prochains et qui enregistrera la présence du président de la République française, Emmanuel Macron et celle du président Jim Yong Kim de la Banque mondiale, devrait être une opportunité pour éclairer l’opinion sur ce qui ressemble à un scandale sans précédent. Puisqu’il est synonyme à la mise sous tutelle de la justice sénégalaise pour liquider un opposant et un candidat à la prochaine élection présidentielle.
En outre, comment expliquer que ce rapport qui est entre les mains du président Macky Sall, de ses ministres de la Justice, de ses ministres des Finances, des juges de la Crei, du procureur spécial de la Crei et de l’agent judiciaire depuis novembre 2013 n’ait jamais été versé dans le dossier du procès Karim devant la Crei, ni à l’enquête, ni à l’instruction ou au jugement et n’aura pas été révélé au public ? Comment expliquer également qu’au moment où le magistrat français détaché à la Banque mondiale était saisi pour analyse des comptes bancaires de Monaco, l’expert-comptable Abo Mbaye Sall était aussi commis par la Crei pour analyser les mêmes comptes ? Mais surtout pourquoi les magistrats de la Crei ont-ils utilisé les résultats de l’expert sénégalais qui ne mettait pourtant pas en cause Karim Wade, feignant d’ignorer ceux du magistrat français qui l’innocentait alors qu’ils l’avaient commis ? Bien qu’il soit un intrus dans la procédure judiciaire sénégalaise, le magistrat français a fait preuve de plus d’indépendance que l’expert-comptable sénégalais Abo Mbaye Sall puisqu’il a affirmé, noir sur blanc, «avoir effectué son expertise sous la supervision des magistrats de la Commission d’instruction» de la Crei.
Le rapport du magistrat français de la Banque mondiale confirme ce que tout le monde savait : la condamnation injuste et politique de Karim Wade et de ses amis qui sont innocents. Ce document prouve l’instrumentalisation de la justice et l’immixtion du président de la République et de l’Exécutif dans les procédures judiciaires qui ne cessent d’être dénoncées par la société civile, les Ong, certains avocats et les magistrats eux-mêmes. Ledit document est un pavé dans la mare et vient confirmer les déclarations de Me El Hadji Diouf qui déclarait, lors du procès du maire de Dakar, Khalifa Sall, qu’«il y a au palais de Macky Sall un cabinet noir du palais qui œuvre pour la liquidation des adversaires politiques».
Pressafrik