e 16 janvier dernier dans ENQUÊTE D’AFRIQUE, nous retracions le parcours incroyable de Bouna Ndiaye, un gamin de Dakar devenu agent de joueurs NBA multimillionnaire aux Etats-Unis. Il aime le répéter : c’est à sa mère qu’il doit son succès ! Extrait
Bouna Ndiaye, l’homme derrière les contrats records de Gobert et Batum
PORTRAIT – Loin de la cité de Grigny où il a grandi, ce descendant d’un roi sénégalais s’est fait une place en or dans le business de la NBA. Les Frenchies du basket américain lui doivent (en partie) leur fortune.
dans ses bureaux parisiens, le 12 octobre. (Nicolas Marques pour le JDD)
C’était moins une, mais Bouna Ndiaye a réussi sa vie : pour ses 50 ans l’année dernière, il a reçu une Rolex. Un anniversaire surprise organisé par ses proches trois mois avant la date officielle en décembre, histoire de réunir ses protégés labellisés NBA, avant qu’ils ne regagnent les États-Unis. Dans la griserie de la soirée parisienne, l’un d’eux glisse à l’agent, patron de la société ComSport : « On est là, on bouge pas. L’an prochain, tu vas prendre du lourd! »
Ce n’était pas une promesse en l’air. Ces derniers mois, la planche à billets a chauffé. En point d’orgue, lundi, la prolongation de contrat signée par Rudy Gobert avec les Utah Jazz : 102 millions de dollars sur quatre ans. De quoi offrir à cet élastique de 2,16 m et 24 ans la plus grosse fiche de paie du sport français : plus de 23 millions d’euros annuels à compter de l’an prochain. Et passer ainsi devant un autre joueur de l’écurie Ndiaye, Nicolas Batum, tout en mettant à nette distance les footballeurs Paul Pogba et Karim Benzema.
Dans le Top 5 des Frenchies les plus bankables de la ligue de basket américaine, dont vient de sortir Tony Parker, Bouna Ndiaye en cornaque quatre. Total de leurs nouveaux contrats : 371 millions de dollars. Le pactole ne passe pas inaperçu, même dans une ère d’opulence née de droits télé boursouflés. Au passage, une commission de 4 % et de sacrés galons pour l’agent, négociateur à sang-froid mais mine de gamin réjoui une fois apposée la signature en bas de page. « Dans ces moments, on se dit « Waouh, quel chemin parcouru! » On n’oublie pas les échecs et les bâtons dans les roues pendant vingt ans.
De la Grande-Borne aux Champs-Élysées
Devenu le référent dans l’export de joueurs français, Bouna Ndiaye dit « on » parce qu’il a une équipe derrière lui, dix salariés, mais surtout un associé de la première heure, Jérémy Medjana. Leur histoire a débuté par la création d’une troupe de smasheurs, la Slam Nation. C’est l’époque du QG décrépi de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), 15 m² et trois ordinateurs. Aujourd’hui, ils occupent 150 m² de bureaux cossus près des Champs-Élysées, pour un portefeuille de 80 joueurs, agrémenté du sélectionneur des Bleus, Vincent Collet.
Pour bien saisir le cheminement du gaillard, mieux vaut rembobiner plus loin encore. S’arrêter sur les années Grigny (Essonne), cité de la Grande-Borne. Bouna Ndiaye débarque adolescent dans ce triangle ultrasensible, en provenance du Sénégal, avec quatre frères et sœurs et une mère célibataire, petite-fille d’un colon français. Le père, entrepreneur et diplomate, est resté au pays. Le train de vie aussi. « On est repartis tout en bas. Ma mère travaillait à la cantine de l’école et faisait des ménages. J’avais des potes qui piquaient des 103 SP [mobylettes des années 1980], d’autres qui donnaient dans la drogue. » Les études lui parlent davantage. Pour financer son cursus en économie d’entreprise, il nettoie les avions à Roissy, tâte du marteau-piqueur, organise des soirées sur le campus.
Mais son vrai truc, c’est le basket. Il sera un joueur modeste, un pic en deuxième division, 8.000 francs par mois et « une R5 fatiguée pour faire un peu le con ». Son sourire enjôleur et un sens certain du contact tissent les premiers réseaux. Sous les paniers, le sage. « Bouna était très présent dans le phénomène streetball des années 1990. Il avait un côté grand frère pour les joueurs de banlieue parisienne », se souvient George Eddy, voix du basket sur Canal + et ex-coéquipier au Vésinet.
Avec ComSport, l’idée est de dénicher les joueurs à fort potentiel pour les développer jusqu’en NBA. Osé. « On n’avait pas un rond, on dormait à deux dans des Formule 1, se remémore Jérémy Medjana. Alors on essayait de sauver les apparences. On se garait loin de la salle, de peur qu’on voie le standing de la voiture. » Si le jeune Tony Parker est démarché en vain, l’escouade finit par prendre forme. Mais le rêve américain passe par une licence. Pour l’obtenir, un numéro de Sécu local est impératif. Ndiaye passe en force, en attaquant la puissante association des joueurs NBA.
En 2005, la draft, foire aux jeunes joueurs appelés à intégrer le grand monde, dessine un autre tournant. Drôle de souvenir. « Entre les billets d’avion pour New York, les costumes pour la cérémonie, les frais de la famille, une draft coûte au moins 25.000 dollars. Et là, alors qu’on est endetté jusqu’au cou, on a trois joueurs sélectionnés. On va fêter ça dans un resto lounge, une vingtaine de convives. La facture arrive : 37.000 dollars! Qui paie? L’agent bien sûr! J’étais en sueur… » Dès le lendemain, le banquier appelle. Ce sont les années redressement judiciaire.
Car signer un joueur en NBA ne rapporte guère au premier contrat, plus sûrement au deuxième, revalorisé. Dans l’intervalle, un suivi et d’incessants déplacements sont nécessaires. Histoire d’abord ne pas se faire piquer son protégé, qui peut rompre les liens d’un simple fax et quinze jours de préavis. « Les grosses agences démarchent sans cesse et nous ont longtemps dénigrés. Elles racontaient tout et n’importe quoi à nos joueurs : « Ton agent ne parle pas anglais, il ne connaît personne dans les clubs, etc. » » De fait, Ndiaye s’est souvent fait plaquer. Le départ le plus douloureux? Celui de Ronny Turiaf, à l’orée d’un contrat de 17 millions de dollars. « On s’était investis onze ans auprès de lui. Il s’était fait opérer à cœur ouvert, on s’est occupés de ses parents. Au final, un e-mail à 2 heures du matin : ‘‘Tu es comme un père pour moi mais tu n’as jamais négocié de gros montants… » Il avait promis de régler la moitié de la commission [soit 340.000 dollars]. Promis seulement. »
Par son père, le descendant du dernier roi djolof
Pour mieux s’affranchir, Ndiaye est installé à Dallas depuis 2007, avec femme et enfants. C’est là-bas qu’il avait placé son premier joueur. Vingt ont suivi. En tête de gondole, Nicolas Batum, pris en main à 16 ans, dont la trajectoire exponentielle a permis de lever les doutes sur le savoir-faire du chaperon. « La différence, c’est que nos joueurs, on les connaît vraiment. Et qu’on les aime », assure Ndiaye. Sans pour autant les caresser dans le sens du poil, dit-on. « Bouna a une vraie aptitude à les challenger, assure Medjana. Même un Batum, il lui rentre dans le chou s’il le faut. Mais avec pédagogie. Sa femme est psychologue, peut-être que ça aide. » « Je suis toujours content de le voir arriver, et pas seulement pour parler business. Son agence est un peu devenue une famille », confie l’arrière d’Orlando Evan Fournier, assis à 24 ans sur un matelas de 85 millions de dollars.
Dans le Landerneau français, les jalousies bruissent mais jamais publiquement. « On ne peut qu’applaudir à sa réussite, d’autant qu’il n’a jamais eu la réputation de faire des coups tordus », résume Nicolas Paul, un concurrent. Des coups tordus, en revanche, Ndiaye aurait tendance à en voir davantage dans le football, où son activité commence à se décliner : « Zéro loyauté dans ce milieu. Des intermédiaires sur chaque deal, des parasites et des parents qui veulent croquer. C’est plus compliqué mais je persiste quand même. Une envie de challenge. » Il dit qu’il n’est « pas un expert du foot, mais du haut niveau » et qu’au fond, « le métier d’agent est le même pour tous les sports ».
Cette année, lui qui jongle entre avions et fuseaux horaires, a pris le temps d’un retour aux sources. Quarante ans qu’il n’était pas retourné à Linguère, 300 km au nord-est de Dakar. On l’a accueilli avec égards, pas tant pour saluer son succès que sa généalogie. Par son père, il est le descendant du dernier Bourba, le roi qui régna sur le royaume djolof avant son annexion par la France en 1890. Il en a gardé le même patronyme, Bouna Alboury Ndiaye, qui s’affiche sur le fronton des écoles et hôpitaux du coin. Il a envie de perpétuer la trace familiale, projette d’y construire une école. Autour, il y aura des terrains de basket.
Source: JDD papier