J’avais plus de la quarantaine quand j’ai rencontré Fatoumata. C’était un matin d’extrême chaleur du mois d’octobre à la sortie de la direction d’une petite entreprise où je venais de passer à côté de mon énième entretien d’embauche. J’étais énervé et complètement déboussolé quand le freinage brutal d’une magnifique Mercedes m’a tiré de mes tristes songes.
J’étais là, ridicule et dégoulinant de sueur au milieu de la voie publique et à cinq centimètres près d’être renversé par une voiture. Après être revenu à moi, j’ai presque regretté de n’avoir pas été tué par le véhicule. Cela aurait au moins mis un terme à ma vie qui n’était qu’une succession d’échecs et d’humiliations.
Au volant de la superbe Mercedes était Fatoumata. Elle est descendue de sa voiture et s’est présentée à moi comme une riche femme d’affaires. Je me suis excusé auprès d’elle. Je lui ai dit que trop de choses se bousculaient dans ma petite tête et qu’il m’était difficile dans ces circonstances d’être maître de mes faits et gestes. Alors très sympathique, elle m’a invité à déjeuner pour voir ce qu’elle pouvait faire pour améliorer ma situation.
C’est en chemin et dans sa voiture que je lui ai résumé le film de ma vie. Depuis mon échec à l’Université jusqu’après mon limogeage dans un centre d’appels de la capitale. Je lui ai également dit combien j’étais dévasté par mon divorce d’avec ma femme qui a emmené avec elle mon unique enfant et qui vit désormais avec un directeur de société. Après m’avoir bien écouté, elle a paru triste et très abattue par ce qui m’était arrivé. Et c’est dans un chic restaurant dakarois qu’elle m’a fait croire qu’elle a été trompée par son ex-mari qui s’est barrée, à Londres, avec la moitié sa fortune en compagnie d’une mineure. A bien la regarder, j’ai retourné sa version des faits dans tous les sens, sans trouver la raison qui pousserait un homme sensée à abandonner une femme aussi belle, aussi charmante, aussi classe et aussi riche pour une jeune fille. J’ai finalement tout mis sur le compte de la stupidité des hommes, toujours enclins à dévaloriser ce qu’ils ont déjà.
Et puis, comme un clin d’oeil du destin, Fatoumata me déclara sa flamme deux semaines après notre rencontre et me demanda de l’épouser dans les plus brefs délais. Pour dire vrai, je n’en revenais pas qu’une femme aussi importante soit tombée amoureuse d’un raté comme moi au point de vouloir tout partager avec lui.
Mon père n’est plus de ce monde, alors j’ai appelé ma mère qui est au village pour l’aviser. Elle m’a tout de suite demandé d’emmener Fatoumata chez elle avant d’en parler avec mes oncles pour passer aux choses sérieuses. Quand j’ai proposé à Fatoumata de se rendre au village avec moi pour rendre visite à ma mère, elle a dit oui avant de trouver une excuse à la dernière minute. Elle devait se rendre à Paris pour un voyage d’affaires.
Et durant son séjour parisien, elle m’a tellement mis la pression que j’ai fini par convaincre ma mère de parler avec un de mes oncles par officialiser religieusement la relation. Elle a accepté, non sans me dire qu’elle avait un très mauvais pressentiments pour ma relation avec cette femme. Mais quand on est longtemps resté dans la pénombre d’une chambre sans espoir aucun de voir la lumière nous délivrer un jour des ténèbres, croyez-moi, le plus petit rayon de soleil qui percera les murs obscurs vous attire avec la force de l’aimant. Vous n’entendez plus rien, vous ne voyez plus rien.
Tout ce qui vous préoccupe, c’est comment vous tirer de ce trou noir. Tendez le sabre le plus tranchant à un individu qui est au milieu de l’océan et qui s’apprête à se noyer… La douleur que peut provoquer la lame, en lacérant les paumes de ses mains, devient nulle face à son instinct de survie.
Tout était une question de survie pour moi. J’étais si longtemps plongé dans une situation des plus défavorables qu’il me fallait nécessairement prendre une revanche sur le destin. Me marier avec Fatoumata me hisserait à un autre niveau de la société. Je pourrais avoir une belle villa, de très chics bagnoles et mon ex-femme, son mari et tous mes promotionnaires d’études cesseraient de me regarder de haut.
Depuis Paris, Fatoumata me donna le numéro de son oncle puisqu’elle disait avoir perdu très jeune ses deux parents dans un accident d’avion. Le mariage fut scellé un samedi après-midi dans la plus grande intimité. J’ai invité quelques amis, les rares qu’il me restait et deux promotionnaires de l’Université dont j’avais gardé les contacts et avec qui j’échangeais souvent. Le soir après la cérémonie, ma toute nouvelle épouse m’a appelé pour me dire qu’un chauffeur allait passer me prendre dans la chambre que je partageais avec un ami pour m’emmener dans mon nouvel appartement en centre ville.
Jamais je n’avais vu un aussi luxueux endroit de toute ma vie. Quand le chauffeur m’a remis les clés et que j’ai ouvert, j’ai failli m’évanouir de bonheur. Un appartement très spacieux avec une superbe vue sur l’océan, meublé chiquement avec une salle de bains dans laquelle on pourrait passer toute sa vie… A un moment donné, je me suis dit que le paradis existait ici-bas.
J’avais à ma disposition, au parking situé en bas de l’immeuble trois voitures. Une BMW X5, Une Mercedes Classe C deux portes et une Ferrari rouge. En attendant que Fatoumata ne revienne de son voyage, je faisais les boutiques pour garnir ma garde-robe d’ensemble costumes de marque, je trimbalais d’un coin à un autre de la capitale pour montrer à tout le monde mon nouveau statut social. Je suis même allé chez mon ex-épouse avec ma Ferrari pour soi-disant rendre visite à mon fils et le couvrir de cadeau. Quand elle a vu que j’avais complètement changé de standard, elle a enfin accepté que je vienne souvent voir notre enfant.
Tout était enfin beau et tout se déroulait bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que Fatoumata revienne de son voyage. Il fallait donc consommer notre mariage. Elle était si rayonnante dans une robe rouge quand nous sommes arrivés dans sa résidence de Toubab Dialaw pour y passer notre lune de miel. Vers 18 heures, elle m’a laissé sur le lit après deux séquences très torrides de jambes en l’air pour entrer dans les toilettes. J’étais aux anges sur cet immense lit en train de songer à ce que serait ma vie à cet instant si je n’avais pas fait la rencontre de Fatoumata cette fameuse matinée d’octobre. Une heure, puis deux, puis trois passèrent et elle était toujours sous la douche. J’ai frappé à la porte et demandé si tout allait bien.
Elle a répondu avec une voix très bizarre que oui. Je suis retourné me coucher sur le lit. J’étais encore plongé dans mes pensées de nouveau riche quand la porte des toilettes s’est ouverte et qu’un être mi-femme mi-serpent s’est présenté à moi. Je me suis évanoui sur le coup. Quand je me suis réveillé le lendemain matin, Fatoumata avait repris sa forme humaine. Et c’est là qu’elle m’a dit toute la vérité sur sa véritable condition.
J’avais donc épousé une Djinn (un esprit maléfique) et j’étais déjà condamné à mourir deux ou trois ans après notre union pour lui permettre de prolonger sa durée de vie sur cette terre. En fait, la Djinn Fatoumata se nourrissait de sang mâle. Il faut que ses proies atteignent la quarantaine pour pouvoir satisfaire sa demande en ce liquide vital. Après un an de mariage et d’union avec mon épouse, mon état de santé a commencé à se dégrader. Je perdais mes dents une à une.
Mes cheveux ne repoussaient plus et j’étais de plus en plus maigre et pâle. Le jour Fatoumata apparaissait irrésistible avec une beauté et un charme qui peuvent damner un saint. Je me jetais sur elle pour lui faire l’amour et lui laisser les dernières forces qui me restaient. Et après le crépuscule, elle reprenait sa forme de démon et s’en allait.
C’est au milieu de notre deuxième année de mariage que ma mère s’est pointée chez nous avec deux exorcistes du village pour me délivrer d’une mort imminente. Je ne sais pas comment elle fait pour me retrouver, mais quand j’ai repris tous mes esprits, j’étais au fond d’un puits de mon village natal. C’est par la suite qu’elle m’a raconté qu’il fallait que je passe quarante nuits dans le puits qui se situait sur le chemin qui mène vers les champs du village. Que c’était la seule manière pour les deux exorcistes de se débarrasser du sort que m’avait jeté mon épouse Djinn.
Après cette épreuve, j’ai commencé à reprendre des forces et à retrouver ma véritable nature. L’amour de ma mère m’a sauvé de l’amour que j’avais pour la vie et pour rien au monde, je ne retournerai dans la grande ville dans laquelle personne ne connaît absolument rien de personne et où la quête d’un statut social ou du bien-être peut mener vers l’enfer…
Par Autrui
Oh c’est aussi fantastique pour être vrai. On dirait vraiment une légende.
Très bon roman magnifiant l’amour materne et montrant le désarroi d’un jeune africain.