L’un après l’autre, les bûcherons ont été appréhendés et sommés de se coucher. La sentence était déjà prononcée. Quatorze (14) d’entre eux devaient mourir comme des animaux. Un destin auquel ils ne s’attendaient pas. De quoi affliger les Ziguinchorois. Les familles des victimes perdent leurs moyens d’autant plus que rien ne présageait d’une telle pénombre. Certaines d’entres elles ont accepté de raconter à Dakaractu les dernières heures des leurs qui ont perdu la vie dans cette tragédie.
Expatrié Bissau-Guinéen basé à Ziguinchor, Ousmane Baldé projetait de prendre épouse cette année. D’ailleurs, les fiançailles ont été célébrées. Quant à son frère Ablaye dont nous avons interviewé le père, il était marié et menait une vie normale jusqu’à ce qu’il croise le chemin de tueurs froids. Le jeune Kaoussou Gassama avait tout son avenir devant lui. Son seul désir, était de soutenir sa mère dont l’activité génératrice de revenus consiste à vendre de la patate pour faire bouillir la marmite. Marié à une jeune femme, Daouda Manga du nom de la quatorzième victime avait demandé à son épouse Fanta Diaiteh de lui préparer le petit déjeuner. Mets qu’il ne mangera point. Il sera à l’instar de treize autres bûcherons tués froidement dans la foret de Boffa, dans la partie Bouhouyou.
Après la survenance du drame, c’est le temps de la résilience. Concernées au premier chef en raison de la résidence des victimes dans la commune de Ziguinchor, les autorités municipales vont au chevet des familles et prennent des mesures d’urgence. Ainsi, les dépouilles sont disséminées dans les morgues de la ville de Ziguinchor étant entendu que celle de l’hôpital n’est pas totalement opérationnelle. Les autorités étatiques ne sont pas en reste. Le ministre de l’Intérieur se rend à Ziguinchor le lendemain et remet le “diaxal” de l’Etat aux familles des victimes. Chaque famille perçoit un million de francs tandis que les blessés sont entièrement pris en charge. Trois d’entre eux seront même évacués à l’hôpital principal de Dakar.
Mais comment en sommes nous arrivés là ? A cette question, le chercheur anthropologue Abdu Ndukur Ndao et le journaliste Ibrahima Gassama ont apporté un début de réponse. Si le premier soutient que ce qui est arrivé samedi 06 janvier découle d’un différend qui n’a pas été résolu à temps, le second fait des révélations sur des faits troublants qui se sont passés la veille de la tuerie.
Indexé du doigt dès les premières heures du drame, le Mfdc se lave à grande eau et annonce même une enquête interne pour montrer sa bonne foi. Pour Oumar Ampoi Bodian chargé de mission du mouvement irrédentiste, celui-ci n’a rien à voir dans le drame de Boffa Bayotte. Quant aux accusateurs du MFDC, il leur demande d’apporter les preuves de leurs accusations.
A Bourofaye Baindouck d’où les victimes ont été conduites à Ziguinchor, l’omerta est érigée en loi. Quoiqu’ayant reçu Dakaractu chez lui, le chef de village s’est refusé à tout commentaire devant notre caméra. Ses premières sorties dans la presse n’auraient pas plu aux militaires qui l’ont sommé de ne plus l’ouvrir.
Si le mobile du crime reste pour l’heure inconnu, il est évident que toutes les victimes étaient à la recherche de bois pour leur usage personnel ou à des fins commerciales. Ce trafic de bois en effet, fait fureur dans la forêt casamançaise “même s’il n’aime pas le bruit” à t’on l’habitude de dire dans ces recoins. Qui pille la forêt casamançaise ? Qui en profite ? Comment y mettre un terme ? Des pistes sont suggérées par le journaliste Ibrahima Gassama. Le chercheur anthropologue Abdu Ndukur Ndao pour sa part, accuse l’Etat d’avoir entretenu le “pillage de la forêt” à travers ses démembrements.
Le trafic de bois attire pour une raison simple. Pour les jeunes de Ziguinchor, trouver un emploi à même de leur permettre de subvenir à leurs besoins relève presque du rêve pieux comme le déplore le président du mouvement Vision Citoyenne.
Face à cette absence de perspectives, les jeunes n’ont d’autres choix que de braver les dangers de la forêt. Quitte à y laisser leurs vies, et en dépit du véto de leurs proches.
Le drame de Boffa Bayotte a eu le don de réveiller de sombres souvenirs, mais a aussi remis au goût du jour la fragilité du processus de paix en Casamance. Mais pour le journaliste Ibrahima Gassama, il ne faut pas jeter l’eau quand bien même milite-t-il pour que force reste à la loi. Une mission à laquelle s’est attelée l’armée sénégalaise. Dans un point de presse donné à la base de la zone militaire numéro 5, le Chef d’état major des armées se veut impitoyable contre les auteurs de l’innommable qu’il a promis de traquer et de neutraliser au besoin.
Les forces armées sénégalaises ont déclenché des opérations pour retrouver les auteurs de la tuerie du samedi 6 janvier. Pour autant le dialogue avec le MFDC n’est pas rompu. Mais avec qui dialoguer ? Eclaté en mille morceaux, le mouvement indépendantiste ne doit il pas d’abord faire la paix avec lui-même avant de rejoindre la table de négociation ? Mais le MFDC impute sa division à l’Etat du Sénégal.
Artisan du dialogue, la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance qui qualifie la tuerie de Boffa Bayotte d’incident de parcours, entend mettre les bouchées doubles pour que des efforts de plusieurs années pour rabibocher les deux parties ne tombent à l’eau. Pour atteindre ces objectifs, elle préconise un changement de méthode.
Dakaractu