Le procès de Khalifa Sall et ses coïnculpés s’ouvre ce jeudi 14 décembre devant le tribunal de grande instance de Dakar. Les dix avocats du maire de Dakar affûtent leurs armes et sont décidés à défendre crânement leur client. Ils ont été à la prison de Rebeuss ce mercredi pour affiner leur stratégie et briefer le prisonnier sur la manière dont ils comptent assurer sa défense. Mais la rencontre n’a pu se tenir, l’administration pénitentiaire ayant refusé l’accès à l’un des avocats, Me El Hadji Diouf en l’occurrence, qui n’a pu présenter sa lettre de constitution. Une autre étape de la procédure démarre. Après la bataille, ils vont enclencher la guerre judiciaire, ce jeudi.
Le maire de Dakar, Khalifa Sall, placé sous mandat de dépôt à la prison de Rebeuss depuis le 7 mars dernier, sera extrait de sa cellule ce jeudi 14 décembre 2017. Avec ses coïnculpés, Mbaye Touré, Yaya Bodian, Fatou Traoré, Ibrahima Touré, Ibrahima Yatma Diao, Amadou Moctar Diop, ils seront présentés devant la deuxième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar. Ils y seront jugés pour « escroquerie portant sur des deniers publics, détournement de deniers publics portant sur 1,8 milliard, association de malfaiteurs, blanchiment de capitaux » et complicité de ces délits.
Maguette Diop, l’ancien président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums) et membre de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), présidera l’audience. Il sera assisté de deux assesseurs, Papa Abdoulaye Dondé et Elisabeth Thiam.
Antoine Diome, le bourreau de Karim
L’Agent judiciaire de l’Etat, Antoine Félix Diome, qui a décidé de se constituer partie civile, sera également de la partie pour défendre les intérêts de l’Etat. Antoine Diome, successeur du magistrat Aïssé Gassama Tall à ce poste, est connu pour avoir joué un rôle prépondérant dans la condamnation de Karim Wade. Il était, en effet, l’adjoint du Procureur spécial près la Crei et a mené la traque des biens mal acquis de bout à bout. Il a déjà annoncé la couleur en s’opposant à la caution proposée par les avocats du maire de Dakar. Le magistrat, connu pour son éloquence et sa maîtrise de ses dossiers, compte démontrer au juge comment et par quels procédés le maire de Dakar et ses coïnculpés auraient pillé les deniers publics avant de demander une réparation du préjudice financier qu’aurait subi par le Trésor public.
10 avocats pour Khalifa Sall
Quant au maire de Dakar, il sera défendu par dix avocats, des ténors du barreau : Mes El Mamadou Ndiaye, Moustapha Ndoye, François Sarr, Demba Ciré Bathily, Ciré Clédor Ly, Mohamed Seydou Diagne, Issa Diop, Cheikhou Khoureychi Bâ, Ndèye Fatou Touré et Ndèye Fatou Sarr. Ils sont connus comme des procéduriers chevronnés qui ont fait annuler, à plusieurs reprises, des procédures judiciaires.
Me Ciré Clédor Ly, par exemple, avait sauvé Alassane Sy « Alex » de la bande à « Ino » (Alioune Abatalib Samb). Le caïd n’a jamais été jugé pour la mutinerie du dimanche 15 juillet 2001 au cours de laquelle « Ino », Abdou Konté « l’homme à la Kalachnikov », Pape Ndiaye, Moussa Dioum avaient réussi à s’évader. Me Ly ayant réussi à convaincre le tribunal correctionnel de Dakar des manquements de la procédure qui ont finalement profité à son client.
Me Ciré Clédor Ly, avocat depuis 1983, est, en effet, un spécialiste des grands dossiers, surtout de détournement de derniers publics au Sénégal depuis 1983 (Sicap, Ipres, Caisse de péréquation et de stabilisation des prix, détournement par des Inspecteurs du Trésor, des Impôts et Domaines, Détournement à la Poste, Affaire Adel Korban, etc.). Surnommé « Maître de la Procédure », il est inscrit sur la liste des avocats près la Cour pénale internationale (Cpi) et près le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir).
À côté de lui, il y a Me Demba Ciré Bathily, ancien président de la section sénégalaise d’Amnesty international. Militant des droits de l’homme, Me Bathily a toujours été du côté des « opprimés ». Lui aussi est un procédurier et un pénaliste reconnu.
Autre ténor qui défendra Khalifa Sall, c’est Mohamed Seydou Diagne. Avocat depuis 1999, inscrit à la 224ème place au tableau de l’Ordre des avocats, Me Diagne est un procédurier chevronné, au point d’être un spécialiste du droit sportif, réputé très complexe. Il est d’ailleurs le conseiller juridique du Comité national olympique et sportif sénégalais (Cnoss) et membre de la Fédération équestre.
Ce trio de choc est complété par Mes El Mamadou Ndiaye, Moustapha Ndoye, François Sarr, Issa Diop, Cheikhou Khoureychi Ba, Ndèye Fatou Touré et Ndèye Fatou Sarr. Des procéduriers réputés, qui donneront, à coup sûr, du fil à retordre au juge et à ses deux assesseurs. La guerre procédurale est donc inévitable.
Des exceptions de nullité dès l’ouverture du procès
La guerre procédurale est donc inévitable à partir de ce jeudi. Avant l’audition dans le fond de Khalifa Sall et Cie, notent des sources de Seneweb, leurs avocats vont soulever des exceptions in limine litis (exceptions de nullité pour vice de forme et nullité de la procédure). L’objectif étant d’amener le juge et ses deux assesseurs à considérer que les droits de Khalifa Sall n’ont pas été respectés et à l’amener à annuler la procédure avant même d’évoquer le fond du dossier.
Les avocats qui l’ont toujours dénoncé, à travers leurs multiples recours, pensent que tout au long de la procédure d’instruction et de la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, élu député entre temps, les droits de la défense ont été bafouillés. Ce qui est un motif d’annulation de la procédure, suivant les dispositions du code de procédure pénale sénégalais.
Procès renvoyé
Selon des sources de Seneweb, il est fort probable que le procès de Khalifa Sall soit renvoyé. Une source judiciaire renseigne que le plus souvent, un dossier correctionnel n’est pas jugé dès sa première évocation devant le tribunal.
« Le juge note les constitutions (des avocats de la partie civile et de la défense), procède à l’appel des mis en cause et des témoins, histoire de voir si le dossier est en état d’être jugé, détaille notre interlocuteur. Le plus souvent, toutes les conditions ne sont pas réunies pour le démarrage du procès. Le juge devra alors décider de renvoyer d’office le jugement. Un renvoi qui peut aussi être demandé par le parquet ou un avocat qui vient de se constituer. Ce qui fait qu’à 90% au moins, le dossier sera renvoyé. »
Notre source de poursuivre : « Et même si le procès est ouvert, les avocats de la défense vont soulever des exceptions, c’est sûr. Le juge devra statuer sur les arguments invoqués avant d’entrer dans le fond du dossier. »
Sur le plan politique, les proches de Khalifa Sall soutiennent qu’ils ne comptent pas se laisser faire et ne permettront jamais que l’édile de Dakar subisse le même sort que Karim Wade. Ils vont passer à la vitesse supérieure dans leur combat. D’ailleurs, ils vont organiser une conférence de presse ce jeudi à 16h à Sacré Cœur, histoire, disent-ils, de prendre l’opinion à témoin. La bataille politico-judiciaire est donc terminée. Place à la guerre !
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