Durant les toutes premières années du règne de Me Abdoulaye Wade, nous avions engagé une conversation dans les couloirs du Groupe de presse Wal Fadjri, au sujet de l’avenir politique du Sénégal. Nous étions presque unanimes à croire que Me Wade ne ferait pas de vieux os au pouvoir vu son âge ; ses prédécesseurs Abdou Diouf et Léopold Sédar Senghor avaient quitté le pouvoir pratiquement à l’âge où lui, Abdoulaye Wade, était arrivé au pouvoir. Cette conviction tenait aussi au fait qu’il s’était engagé avant son élection en 2000 de ne réaliser qu’un seul mandat à la tête du pays. Nous évaluions les chances des uns et des autres qui pouvaient être les poulains de Abdoulaye Wade. Son plus proche collaborateur de l’époque, Idrissa Seck, semblait remporter largement la faveur des pronostics. Ce dernier était l’homme fort du régime de Wade et ses excellentes relations avec le Président Wade laissait croire qu’il était le dauphin que celui-ci se serait choisi. D’autres pouvaient estimer que Me Wade pourrait être tenté de retourner l’ascenseur à un Moustapha Niasse dont le soutien avait été déterminant en 2000. Sidy Lamine Niasse était l’une des rares personnes à ne pas être de cet avis.
«Le Mollah», sobriquet dont nous l’affabulions, s’échinait à convaincre qu’il ne saurait envisager que Me Wade ne fît qu’un seul mandat. Mais là où Sidy Lamine Niasse nous apparaissait renversant, était quand il nous disait, avec un certain aplomb, que Abdoulaye Wade ne céderait, volontiers, le pouvoir et son parti le Pds à personne d’autre que son fils Karim Wade. Le fils de Me Wade était encore inconnu du grand public et n’avait pas encore commencé à occuper des fonctions officielles dans l’entourage de son père. Franchement nous en riions. Une telle prédiction tenait-elle d’une confidence, d’une lecture de l’avenir par des procédés ou des moyens ésotériques ou simplement d’une conclusion d’un analyste lucide qui a connu l’homme, sa façon de penser et de réagir ? De toute façon, l’Histoire continue de donner raison à Sidy Lamine Niasse.
Ses alliés qui l’avaient porté au pouvoir dans une dynamique de coalition dont Moustapha Niasse, Abdoulaye Bathily, Landing Savané, Amath Dansokho, n’ont pas pu accompagner Abdoulaye Wade jusqu’à son départ du Palais présidentiel. Tous ses anciens compagnons et camarades de parti qui semblaient pouvoir jouer les premiers rôles après la cessation de ses activités politiques y sont passés. Les personnalités politiques avec lesquelles il entrait dans les gouvernements de Abdou Diouf comme Idrissa Seck, Aminata Tall, Jean-Paul Dias, Ousmane Ngom, n’ont pas ses faveurs pour hériter du parti. D’autres cadres, proches collaborateurs comme Habib Sy, Cheikh Touré, Pape Diop, Souleymane Ndéné Ndiaye, ont eux aussi été obligés de quitter le parti comme Me Doudou Ndoye ou Ahmed Khalifa Niasse par exemple, qui l’avaient aidé à fonder le Pds en 1974. Tous ceux qui avaient des velléités de se positionner pour succéder à Me Wade à la tête du Pds sont passés à la trappe et ont été poussés au départ. Macky Sall en a lui aussi fait les frais. Son expérience semble l’avoir si bien servi qu’il conseillait aux responsables politiques en désaccord avec Abdoulaye Wade sur le mode de management du Pds et sur les modalités de sa succession de quitter le parti.
Aux yeux de Macky Sall, il n’y aurait aucune stratégie de résistance à l’intérieur du Pds qui pourrait prospérer. Modou Diagne Fada qui pourtant donnait l’air d’avoir réussi ces derniers mois à en imposer à Abdoulaye Wade, vient d’être rattrapé par une vérité qui semble absolue et selon laquelle, seul Abdoulaye Wade fait les destins au sein du Pds. Pourtant, Modou Diagne Fada devait avoir bien assimilé la leçon car, dans un moment de désaccord profond au moment où Abdoulaye Wade était encore au pouvoir, il avait tenté une expérience de garçon affranchi avec une coalition électorale «Waar wi» qui n’avait pas manqué de succès. Fada s’opposait farouchement au leadership de Macky Sall qui s’affirmait au Pds. Il reviendra dans les bonnes grâces de Me Wade à la faveur des tribulations politiques de Macky Sall après ces élections législatives de 2007.
Modou Diagne Fada a revendiqué un intérêt pour diriger le Pds. Pour cela, Abdoulaye Wade le lui fait payer et a donné des instructions aux députés libéraux de choisir la députée de Bambey Mme Aïda Mbodji comme présidente de leur groupe parlementaire. Si la consigne passe, Me Wade aura réussi à neutraliser le chef de file d’une fronde interne en mettant en selle une autre figure frondeuse qui constituerait pour lui le moindre mal. Mme Aïda Mbodji est cependant assez légitime pour la fonction. Elle fait partie des responsables du Pds qui gagnent régulièrement dans leur fief électoral et elle a aligné de nombreux mandats parlementaires et des portefeuilles ministériels. Elle a assurément le profil pour l’emploi et dispose d’une autre qualité ou atout non négligeable pour un président de Groupe parlementaire, à savoir que cette dame a du caractère et n’a pas sa langue dans son sac à main. Qu’adviendra-t-il du mouvement politique déjà initié par Aïda Mbodji et qui avait pour vocation de travailler pour sa candidature à la prochaine Présidentielle ?
Au cas où la candidature de Karim Wade devenait infructueuse, Abdoulaye Wade ne devrait pas avoir de scrupule pour faire investir éventuellement Aïda Mbodji à la candidature du Pds à la Présidentielle à venir, d’autant qu’il avait songé en 2009 à en faire la Vice-présidente du Sénégal après avoir fait adopter par l’Assemblée nationale une réforme constitutionnelle instituant cette fonction.