Mutisme dans le couple : quand le silence fait mal

Un cri strident perfore l’espoir d’une avancée ensemble et percute de plein fouet la confiance donnée à l’autre d’être là pour soi ! Cette boucle interactionnelle se répète quasiment à l’identique jusqu’à ce que la relation se déséquilibre dangereusement, provoquant une crise plus importante (en intensité et en durée) que les autres. Face au mutisme, l’autre finit par douter de la réciprocité des sentiments d’amour. En effet, est-il possible d’aimer et de le laisser dans la souffrance sans réagir, sans intervenir, sans réaffirmer l’importance qu’il a dans sa vie ? De déception en déception, les attentes se chargent de scepticisme, le doute se transforme en conviction de n’être rien pour lui.

Une violence sans coups

Le mutisme est une violence sans coups mais qui brise au-dedans, sans même ouvrir la bouche, mais qui à force de nier l’attachement fauche les jambes et coupe tout élan dans un vacarme intérieur assourdissant. Il laisse toute la place aux fantasmes, de l’un et de l’autre. Et pour l’autre, fantasmes pas si fantasques que cela puisqu’ils germent à partir de faits significatifs d’insignifiance. Le mutique peut même partir pendant qu’on lui parle, sans dire ni où il va ni quand il revient. Ultime provocation que de planter l’autre avec son discours qui se mue immédiatement en boule au travers de la gorge. Estomaqué, sonné, il est submergé d’émotions et de pensées, contradictoires, confuses, douloureuses, qui se heurtent les unes contre les autres dans la tête. À chaque nouvelle scène, elles s’estompent plus lentement, plus difficilement. Il faut dire que le mutique ne dit rien qui permettrait de les remplacer par de plus heureuses.

Une diabolisation de l’autre

Dans l’espace immense du non-dit, arrachés au mutique qui les lâche comme une grenade, les mots de désamour, les seuls dégoupillés, résonnent sans autre écho qu’eux-mêmes. L’autre ne peut pas les oublier, ces mots réitérés déjà plusieurs fois en dépit de leur brûlure, soit parce qu’ils sont la vérité finale du mutique, soit parce qu’il se sert de leur atrocité comme d’un bâillon. Seul lui importe leur pouvoir de réduire l’autre au silence.

Ces mots le tétanisent. Petit à petit, ils insèrent la peur au centre du cœur. Et quand il cherche à être rassuré, il n’obtient au mieux qu’un maigre « je ne sais pas » qui accentue encore le fait que rien ne fait sens, que le mutique est par avance convaincu d’avoir raison de se taire. Un filtre tronque toutes les perceptions ; il a pour nom : diabolisation. L’autre entend ce que le taiseux ne dit pas, il ressent ses pensées, souvent. C’est assez facile. Les yeux se détournent, les réponses sont laconiques… L’inconscient reçoit les messages du corps.

Lassitude pour l’un, impuissance pour l’autre, encamisolé dans les hantises, mis dans le même sac que ses congénères. Les phrases qui commencent par « vous, les gonzesses (les mecs, les ados, etc)… » sont révélatrices de stéréotypes, de réduction de la personne à une classe, de décontextualisations et de généralisations hâtives. Quand elle résiste contre cette perte d’unicité, ses réactions sont à nouveau isolées de ce qui les précède et jugées incongrues. L’un se déresponsabilise de l’évolution désastreuse de l’interaction et l’autre retrace encore et encore l’historique pour recadrer les choses. Vainement. Le mutique en profite pour requalifier son attitude en trêve, arrêt des hostilités qu’il décide unilatéralement. Il se plaint des longues litanies de l’autre, mais ne lui donne jamais le sentiment d’être compris.

Un dialogue impossible

Pourtant, dans un couple, les désaccords sont inévitables. On doit pouvoir en parler, échanger les points de vue, réfléchir aux arguments ou aux objections, établir des compromis. Rien de tel avec un mutique barricadé dans sa subjectivité. Ce ne sont que des concessions qui l’incitent à se cloîtrer de plus en plus. L’autre ressent cela comme une insuffisance d’amour, sans quoi il lui concéderait du temps, de l’investissement et de l’importance. Il arrive aussi qu’il remette la relation en question, creusant ainsi l’insécurité affective, ou alors qu’il fournisse des efforts inutiles sans répondre aux besoins. À la suite, une baisse de moral, un oubli… tout prend la couleur du manque d’attrait. L’autre navigue entre le chagrin, l’angoisse, la révolte et les revendications tandis que le mutique se réfugie dans la sinistre pensée que la vie de famille ne lui convient pas.

« Est-ce mieux seul ou à deux ? »

Le conjoint parvient péniblement à la conclusion qu’une question existentielle n’a pas été réglée par son partenaire : « Est-ce mieux seul ou à deux ? » et qu’elle ne peut pas l’être en deux coups de cuillère à pot mais il n’a pas le courage de s’éloigner pour qu’il ait à se positionner. À intervalles réguliers, elle revient sur le tapis, lancinante. Elle taraude l’un et mine l’autre. Obsédante, elle occupe toute la place et fait obstacle à l’intimité et au dialogue. Elle ruine l’harmonie tant qu’elle n’a pas de réponse arrêtée une fois pour toutes. Il ne peut pas cohabiter avec elle, qui se love entre eux.

Rien que de sentir ce danger, là, dans les parages, toutes les plaies se rouvrent. Il sait qu’il ne compte plus quand l’autre danse avec ses doutes. Ils l’ensorcellent et effacent tous les charmes de la vie à deux. Cette question, du simple fait qu’il se la pose de façon récurrente, le convie à des noces avec la solitude. S’il rompt ses vœux, ce sera pour rejouer le même théâtre… un peu plus tard, ailleurs. Chaque fois qu’elle sonne à la porte, il s’empresse de lui ouvrir. De n’avoir pas reçu de réponse définitive, elle revient sans qu’il découvre les véritables raisons de sa venue incessante : son infidélité à l’amour dans lequel il ne s’engage pas.

Au centre : la question de l’engagement

Les reproches non formulés à voix haute sont une toxine dont on ne peut pas se défendre. Sans doute le mutique n’a-t-il pas conscience qu’ils tuent et que de ne pas les mettre au débat, ils le rongent. Souvent, la relation est mise au rebut et avec elle, le conjoint. La problématique du mutisme soulève la question de l’engagement. Quiconque pour s’épanouir dans une relation a besoin que l’autre l’inscrive lui aussi dans la continuité, qu’il s’ouvre, donne accès à son intimité psychique et pas seulement physique. De cheminer ensemble, désireux d’avancer main dans la main – d’un désir sans défaillance –, l’un et l’autre peuvent aller, parce que confiants, au-delà d’eux-mêmes et dans des contrées inconnues.
Le mutisme traduit l’ambiguïté d’un ni avec ni sans. Je suis là sans être là pour toi. Je ne suis vraiment ni avec toi ni sans toi.

Source: psychologies.com

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