L’Hizmet (services, en turc), très puissant mouvement créé dans les années 1970 par Fethullah Gülen et associant modernité et islam, est présent dans près de 120 pays. Il est puissant dans une quarantaine de pays africains, particulièrement sur le plan éducatif, avec une centaine d’ »écoles Gülen » souvent considérées comme des établissements de prestige. Très chères, sauf pour les boursiers, elles sont fréquentées par les enfants de l’élite du continent. L’Hizmet a longtemps été une arme du soft power à la turque qui s’est développé avec l’arrivée au pouvoir de l’AKP dans les années 2000.
Mais le divorce idéologique, dès 2014, entre Erdogan et son ancien allié Gülen, affaiblit le mouvement. Depuis le putsch raté de 2016, le président turc présente le mouvement güleniste comme « terroriste » et tente de l’éradiquer.
Maarif, l’anti-Hizmet
Recep Tayyip Erdogan se rend fréquemment en Afrique, où il compte renforcer la présence turque, à travers des investissements, des partenariats, la création d’ambassades ou la desserte de la compagnie aérienne Turkish Airlines. Il en profite pour demander aux dirigeants leur « soutien pour combattre les gülenistes ». Beaucoup ont obtempéré sans sourciller, soucieux de conserver leurs bonnes relations avec le nouveau géant turc. Et pour cause : Ankara a fait passer son volume d’échange avec l’Afrique de moins d’un milliards de dollars en 2000 à plus de 23 milliards en 2014, et compte atteindre les 50 milliards en 2018.
La Somalie, dès le lendemain du putsch, a été la première à agir, en fermant tous les établissements de l’Académie du Nil, comprenant notamment des écoles et des hôpitaux, « compte tenu de la demande de notre pays frère la Turquie », comme l’affirmait un communiqué du gouvernement. Le Niger, la Guinée Équatoriale, le Maroc ou le Tchad ont suivi, soit en fermant les écoles, soit en changeant les dirigeants de ces établissements.
C’est notamment ce qu’il se passe depuis la rentrée au Mali, où les écoles du groupe Horizon, parmi les meilleurs du pays, ont été reprises par la fondation turque Maarif, très proche de l’AKP d’Erdogan, et dont la vocation est de remplacer, à terme, l’Hizmet. C’est cette même fondation qui a pris le contrôle du groupe scolaire La Citadelle en Guinée à la rentrée 2016, remplaçant l’administration par du nouveau personnel de Turquie.
« Lobotomisés »
L’ambassadeur turc au Mali, Hikmet Renan Sekeroğlu, donnait en janvier sa position sur ces fermetures, sans mâcher ses mots : « La tentative de coup d’État perpétrée par [le mouvement Gülen] a démontré que les individus aux cerveaux lobotomisés formés dans les établissements gérés par cette organisation terroriste ne respectent ni la loi ni l’humanité et mis en lumière le danger que peuvent représenter […] les activités en matière d’éducation d’une telle organisation ».
L’allégation, largement reprise par le président turc et ses soutiens, est réfutée tant par les écoles visées que par les associations de parents d’élèves. « Les enseignants turcs appartiennent vraiment au réseau Gülen, ce sont des religieux engagés depuis longtemps » dans la confrérie, explique à l’AFP Gabrielle Angey, politiste spécialiste de l’islam en Turquie et des réseaux gülenistes en Afrique subsaharienne. Mais « la dimension religieuse apparaît si peu que beaucoup d’étudiants ne comprennent même pas que leur école appartienne au mouvement ». « Il n’y a pas de cours d’éducation religieuse », relève la chercheuse, à part au Sénégal où ils sont obligatoires. Ni la situation politique turque, ni les cas de Fethullah Gülen et Recep Tayyip Erdogan n’y sont non plus enseignés.
Le Sénégal est dans une situation encore différente. Ses établissements gülenistes, les neuf écoles Yavuz Selim, fermées par les autorités depuis deux semaines, sont dans une situation de blocage total. Les dirigeants de l’institution sont parvenus à écarter Maarif, engageant des discussions avec le gouvernement. Ce dernier a alors proposé de reprendre les écoles à son compte, faisant face, là aussi, à un refus catégorique.
« L’État n’a pas les moyens de l’administrer, et en plus on connaît l’état des écoles publiques au Sénégal. Les parents ne l’accepteront pas, et il n’y a pas de fondement légal pour qu’ils administrent une institution privée », s’insurge auprès de France 24 Madiamba Diagne, président du conseil d’administration de Yavuz Selim. Lundi, les dernières négociations ont échoué et, déplore l’intellectuel, « les écoles vont fermer ». Avec ses avocats, il compte attaquer l’État en justice mais prévient que pour l’heure, « 517 employés seront licenciés, 403 élèves boursiers perdront leur allocation, et les 2 500 autres élèves vont devoir aller chercher ailleurs ».
Les seuls États à résister au président turc sont ceux qui ont les épaules assez solides pour faire face aux risques de baisse de subventions ou d’investissements. C’est le cas du Kenya, de Madagascar, de la Tanzanie, du Nigeria et de l’Afrique du Sud, où les écoles affiliées au mouvement Gülen, figurant parmi les meilleures disponibles, restent ouvertes. « De fait le gouvernement turc n’a aucun pouvoir direct de fermeture de ces écoles », de droit privé et placées sous la tutelle des ministères de l’Éducation des pays concernés, affirme Gabrielle Angey.
Avec France24