Un certain nombre de leçons se dégagent de ce qui se passe sous nos yeux, au Burkina Faso, pour nous autres, militants de la Démocratie et des Etats Unis d’Afrique. Nous avons en particulier mis en exergue, dans ces notes, le rôle peu glorieux de Macky SALL et ce que nous devons en retenir à l’avenir.
Après 27 ans de pouvoir alors que tout le monde pensait que Blaise Compaoré était indéboulonnable, le peuple burkinabé, par une de ces ruses de l’histoire, l’avait renversé à travers les insurrections des 30/31 octobre 2014. Beaucoup de choses ont été écrites et dites, mais l’élément déterminant a été l’engagement soutenu du peuple, et notamment de sa jeunesse. Certains dirigeants africains sont apparus ainsi comme des « lions en bois », une détermination et une mobilisation ciblées les terrassent dès les premières heures d’un combat. Les Africains ne veulent plus de ces programme-mirages comme le PSE. Ils ont, avec eux, le nombre, les pauvres, les chômeurs, les jeunes, tous ceux qui n’ont plus aucune illusion. Les Etats Africains tels que les colons les ont façonnés sont encore là, gardant les frontières issues de 1884, ce qui justifie en partie l’existence des armées nationales.
La force réelle de nos dirigeants est le soutien des anciens Etats-colons ainsi que, sur place, de l’armée et de la police. Or, tout le monde peut le percevoir maintenant, les soldats et les policiers ne sont pas des détachements séparés du peuple. Ils vivent dans les mêmes conditions pénibles que le reste du peuple. Ils n’ont, en plus, qu’un « permis de tuer ». A un moment du combat, ils se détachent forcément du camp de la répression et rejoignent le camp des réprimés, celui du peuple. C’est une loi de l’histoire des hommes.
Pour en revenir au Burkina, déterminés, engagés jusqu’au péril de leur vie, les Burkinabé ont, par une insurrection populaire, chassé Blaise Compaoré du pouvoir, sans mettre en place immédiatement un gouvernement issu des forces en lutte, notamment les partis et les syndicats qui en étaient les initiateurs.
Une des particularités de la révolution burkinabé est son caractère inachevé. Très vite, au lieu de perdre tout, une partie de la hiérarchie militaire s’est ralliée, en partie pour contenir les revendications populaires qui ne s’arrêtaient pas au départ de Blaise Compaoré et à l’opposition à une modification de la constitution. Les Burkinabé voulaient en finir définitivement avec l’armée de coups d’Etat, ils voulaient éliminer cette armée et cette police de répression. Il semble que l’International a freiné comme il a pu. En tout cas, in fine, la révolution Burkinabé n’a pas atteint ses objectifs ultimes : instaurer une véritable démocratie, satisfaire les revendications populaires, et mettre en place un Etat de droit qui en finit avec les corruptions, les concisions, l’armée et la police de répression etc., un Etat qui pourra être un nouveau fer de lance pour le panafricanisme et les Etats Unis d’Afrique.
Paradoxalement, la « révolution contenue » du Burkina Faso a créé ses institutions de transition, en mettant à la tête un républicain et un militaire. Cette bicéphalie au sommet de l’Etat annonçait les problèmes d’aujourd’hui.
L’insurrection populaire pensait en avoir fini avec l’armée en chassant Blaise Compaoré alors que le premier ministre post-insurrection était militaire ainsi que plusieurs ministres, plusieurs députés etc. La frange de l’armée qui était au pouvoir était celle en charge de la répression et qui était responsable des morts d’homme. La contradiction entre l’armée de répression et les acteurs de l’insurrection ne pouvaient qu’aller crescendo tandis que la contradiction entre les acteurs de l’insurrection devant se dérouler, plus tard, à partir du terrain électoral.
Là aussi, sur le terrain électoral, l’armée a voulu prendre position et orienter. Dans ces conditions, la contradiction s’est propagée dans la frange de l’armée au pouvoir. le colonel Zida n’ayant pas pu, de sa position, prendre en charge totalement les intérêts du Régiment de Sécurité de Blaise Compaoré (RSP) et respecter les ordres du Général Diendéré, le chef de ce RSP. Les intérêts de Zida et Diendéré étaient devenus inconciliables. Pour l’armée de répression, il suffisait de trouver un prétexte, avant les élections, pour reprendre tout le pouvoir et opérer au coup d’Etat, ce qu’ils savent faire dans les conditions normales. Le prétexte fut trouvé avec le code électoral.
Le code électoral a été élaboré par le camp des vainqueurs de l’insurrection. Il devait permettre d’organiser les élections présentielle et législatives du 11 octobre, et les élections municipales en janvier 2016.
Ce code électoral, qui contient beaucoup d’avancées en termes de contrôle et transparence des élections, se fixait aussi pour objectif d’éliminer des courses électorales ceux qui ont soutenu jusqu’au bout Blaise Compaoré. Or des Burkinabé qui ne sont pas condamnés ou contre qui aucune poursuite judiciaire n’est engagée ne peuvent pas être interdits de candidatures. Ils doivent être électeurs et éligibles. C’est une règle de la démocratie universelle.
Les partis de l’ancienne majorité présidentielle ont saisi, bien entendu, la cour de justice de la CEDEAO qui, évidemment, leur donna raison.
Le gouvernement Burkinabé a déclaré immédiatement qu’il respecterait les décisions de cette cour. J’ai écrit à cette occasion un article intitulé « J’ai honte de Macky SALL » parce que Macky SALL, Président en exercice de la CEDEAO, refusait d’appliquer les décisions de la cour alors qu’un gouvernement avait décidé de l’appliquer après qu’il soit élu président en exercice. Quelle honte !
Malheureusement, le gouvernement Burkinabé s’est rebiffé. Un des acteurs de la transition avec qui je suis en relation m’avait dit à ce propos « Pourquoi voulez-vous que nous appliquions les décisions de cette cour chez nous alors que le Président en exercice de la CEDEAO ne l’applique pas chez lui ? »
Officiellement, c’est ce refus d’appliquer la décision de la CEDEAO qui a déclenché en dernière analyse le coup d’Etat. Je dois préciser que je suis absolument contre tout coup d’Etat militaire et je pense que les forces politiques civiles proches de Compaoré auraient dû utiliser le terrain politique et judiciaire pour avoir gain de cause. Un coup d’Etat est abject !
Pyromane au Burkina Faso parce qu’il a donné un prétexte au Coup d’Etat (non application de décisions de justice), Macky SALL s’est présenté comme pompier en sa qualité de Président en exercice e la CEDEAO pour éteindre un feu qu’il a lui-même allumé.
Les Burkinabé n’avaient pas attendu la CEDEAO pour se soulever et mettre fin au coup d’Etat militaire. Sans attendre qui que ce soit, le peuple s’est organisé et mobilisé pour s’opposer au coup de force du RSP.
Dans un reportage du journal le Monde, ce cri de cœur d’un étudiant résume à lui-seul la situation et le niveau de détermination
« On a fait partir Blaise. C’est pas pour qu’il revienne ou pour voir revenir son aide de camp un an plus tard. Nous sommes là pour montrer au RSP notre mécontentement. Il faut qu’ils partent ».
Les brigades des jeunes contre le coup d’Etat sont constituées partout dans le pays. A Bobo Dioulasso, le couvre de feu n’est même pas respecté.
« On ne veut pas des bandits du RSP. On fait de la résistance active », explique selon le journal Le monde un jeune vêtu d’une veste militaire « Je suis officier du peuple ». Selon ledit journal, il conteste les négociations avec la junte et notamment la mission de Macky SALL « il n’aurait pas dû discuter avec lui à l’aéroport. Il le crédibilise. On ne doit pas négocier ».
A Houndé, un éducateur déclare au journal « S’ils ne partent pas, on va prendre les armes et monter à Ouagadougou » Tout est dit. Une détermination sans faille. Les images à la télévision ne mentent pas. Avec ou sans négociation, le RSP ne peut rester longtemps au pouvoir.
« Samedi, aucun membre des forces de l’ordre n’était visible alors que jeudi et vendredi des membres du RSP avaient tenté de disperser les manifestants parfois en faisant usage de leurs armes. Dix personnes ont été tuées et 113 blessées, de source hospitalière, tandis que les syndicats parlent eux d’une « vingtaine de morts » affirme le journal précité.
L’Union Africaine (UA), dès le 18 septembre, a pris des mesures hardies contre le RSP. Elle a :
rejeté avec force le coup d’Etat, la dissolution des institutions de la Transition,
demandé la libération immédiate et sans condition de toutes les personnes arrêtées,
– suspendu avec effet immédiat le Burkina de toutes les activités de l’UA
– interdit de voyage et gelé les avoirs des putschistes
– qualifié de terroristes les éléments du RSP
– initié des démarches pour le jugement des putschistes
– suspendu et demandé à tous les partenaires bilatéraux et multilatéraux de suspendre les programmes de coopération.
– mis en relief la nécessité d’une réforme en profondeur du secteur de la défense et de la sécurité au Burkina Faso.
Ces mesures appliquées fermaient la parenthèse du coup d’Etat. L’Union Africaine a pris cette fois-ci les bonnes mesures dans la diligence, au bon moment.
6. La CEDEAO
En résumé, sur 13 points, les propositions de la CEDEAO (représentée par Macky SALL et Yayi Boni) peuvent se résumer ainsi :
retour à la Présidence de Michel Kafando avec pour seule mission organiser les élections du 22 Novembre 2015
éviction du Premier Ministre Zida comme premier Ministre et de tous les militaires du gouvernement
amnistie totale des putschistes et maintien du RSP
application des décisions de la cour de justice de CEDEAO et mise en berne de l’assemblée de transition et report élections au 22 novembre 2015.
Tout porte à croire que la CEDEAO va en deçà de l’Union Africaine. Les propositions de la CEDEAO font la part belle aux putschistes et subséquemment appellent à des coups d’Etat militaires partout pour régler les problèmes politiques. La CEDEAO n’a pas parlé le même langage que l’UA et finalement a différé les problèmes. En partie responsable de ce qui s’est passé, en véritable pyromane, Macky SALL diffère la crise. Et tout le monde sait que les militaires vont mieux se préparer et le président élu le sera dans un Burkina en ébullition. La CEDEAO, au lieu d’éteindre le feu, l’attise.
Guy-Hervé KAM, du mouvement BALAI CITOYEN a raison de dire : « Ce sont des propositions honteuses. Ils ont cédé à toutes les demandes des putschistes. La CEDEAO a payé la rançon de la prise d’otages. J’ai honte pour l’Afrique. J’ai honte pour la CEDEAO. Nous allons résister . Mieux vaut mourir debout que vivre couché. »
Beaucoup de gens pensent que, pour ces résultats, « les médiateurs auraient mieux fait de ne pas venir »
7. Que conclure ?
Il est très tôt pour tirer toutes les leçons d’une situation qui est en cours de développement. Nous y reviendrons certainement. Ce qui se passe là-bas induit un cours nouveau dans l’Afrique de l’Ouest.
La première leçon consiste à revenir sur le rôle et la place de la CEDEAO. Le Président Wade avait élaboré des propositions pour un glissement progressif vers une organisation plus politique. A son départ, ses propositions ont été enterrées mais du fait même que la crise en Afrique semble en ce moment concentrée sur l’Afrique de l’Ouest, nous sommes obligés de travailler sur ses propositions et de faire l’Afrique de l’Ouest, non pas le centre de la crise, mais le point de départ de la solution c’est à dire les Etats Unis d’Afrique.
Cette crise montre, hélas, que nous n’avons pas nos meilleurs aux commandes de la marche de l’Afrique. Ces contradictions manifestes entre la CEDEAO et l’UA montrent que le chemin est encore long.et ne sera certainement pas facile. En tout état de cause, l’Afrique nouvelle est à l’horizon : elle s’appuiera sur la démocratie, les libertés et la justice. Elle demeure notre objectif.
La deuxième leçon concerne encore nos dirigeants. Nous savons qu’ils peuvent être balayés, à tout moment, par le mouvement de nos peuples. Mais comment comprendre un Macky SALL qui refuse d’appliquer chez lui les décisions de la cour de la CEDEAO et qui demande à ce qu’un autre pays l’applique ? C’est ce qui rend incohérentes les propositions de la CEDEAO venant de Macky SALL. Les dirigeants qui refusent les libertés chez eux et bafouent la démocratie et la justice chez eux ne doivent pas être impliqués dans les crises en cours. Ils sont de fait des facteurs aggravants.
La troisième leçon concerne nos peuples. Contrairement à e que l’on peut penser de l’extérieur, ils ont mûri. On ne peut plus les manœuvrer et les transformer en chair électorale. Contrairement à toutes les prévisions, ils ont défait Blaise Compaoré au Burkina Faso. Malgré une mobilisation lente au départ, ils s’opposent vaillamment à la machine putschiste au Burkina par leur détermination. Ces brigades des jeunes contre le coup d’Etat sont des modèles d’organisation que nous pouvons importer et généraliser partout en Afrique pour atteindre notre objectif.
La quatrième leçon concerne la clairvoyance de nos peuples. Concocter un plan et l’imposer à nos peuples sont des actes totalement différents. Le Burkina refuse les cocktails explosifs des dirigeants qui, au nom d’une paix immédiate, installent une guerre durable dans nos pays. Nous savons tous qu’au Burkina, la contradiction à l’intérieur de l’armée n’a pas atteint son point culminant, tandis que la rupture entre l’armée de Coups d’Etat et le peuple Burkinabé est définitive. L’existence du RSP est un élément important de la crise. Il faut apprendre à résoudre les problèmes et arrêter de les différer indéfiniment. Toute solution qui part du postulat qu’on peut tromper le peuple est vouée à l’échec
Oumar SARR
SGA/Coordonnateur National du PDS
Ancien Elève du Prytanée Militaire de Kadiogo (Ouagadougou)