Depuis l’occupation de Saint-Louis en 1653 par les Français qui en avaient fait un pôle négrier et esclavagiste, la France n’a plus jamais quitté le Sénégal. Après une indépendance obtenue en 1960, l’ancienne métropole continue de dominer le pays à tous les niveaux de l’activité économique, politique et culturelle. Et, de Senghor à Macky Sall, c’est une longue série de capitulation de nos élites dirigeantes à l’avantage dans l’ancienne puissance colonisatrice.
Remontant l’histoire, il est revenu sur le massacre du camp de Thiaroye, le 1er décembre 1944, presque à la fin de la deuxième guerre mondiale. «C’est une date inoubliable pour ces Africains qui ont risqué leur vie et qui ont laissé des centaines de morts sur les champs de bataille européens. Payés en monnaie de singe, lorsqu’ils revenus dans leur pays, ils ont tenu à réclamer leurs arriérés de soldes et leurs indemnités de captivité au même titre que leurs collègues blancs. Malheureusement, ils ont été répondus par la mitrailleuse du régiment d’artillerie coloniale et les survivants avaient été condamnés», raconte Dialo Diop.
Le pire aujourd’hui, c’est que les Français ne veulent entendre parler du mot repentance et refusent obstinément de faire la lumière sur cette affaire. «Ils ont tous les documents avec eux et font savoir qu’ils ont disparu. C’est pourquoi nous exigeons l’exhumation des corps pour avoir une idée sur le nombre réel de morts.»
La visite de Charles de Gaule en 1958 et le rôle de la France dans l’éclatement de la Fédération du Mali
Après cette tragédie qui a frappé des soldats qui ont participé à la libération de la France sous occupation allemande, plusieurs pays du continent luttaient pour leur accession à la souveraineté internationale. Au Sénégal, des hommes de valeurs avaient très tôt montré la voie en demandant l’indépendance. En face d’eux, il y avait un autre groupe qui n’en voulait pas, et Senghor en faisait partie. «Des évènements marquants de l’histoire franco-sénégalaise, il y a évidemment la visite de Charles de Gaule dans le cadre de sa campagne pour le référendum d’autodétermination de 1958 avec les porteurs de pancartes qui exprimaient la volonté du peuple, mais qui n’avaient pas été suivis par les dirigeants de l’époque. Comme vous le savez, Senghor, Mamadou Dia et Lamine Guèye étaient tous absents et c’était Valdiodio Ndiaye qui avait prononcé le discours d’indépendance», note M. Diop.
Rappelant que le Sénégal n’avait pas été indépendant tout de suite, il fait allusion à l’éclatement de la Fédération du Mali. «Le Sénégal a été indépendant dans le cadre de la Fédération du Mali. Bien sûr, Senghor qui était apparenté aux indépendants d’Outre-mer ne voulait pas de l’indépendance contrairement aux militants du Rassemblement démocratique africain (Rda) qui étaient porteurs du projet d’indépendance nationale et d’unification, malgré aussi la volte-face d’Houphouët Boigny», signale-t-il. Non sans dire qu’il faut se souvenir que l’éclatement de la Fédération du Mali a ensuite révélé le rôle que la France y avait joué sans parler de la liquidation de Mamadou Dia et de son groupe, en tant que nationalistes. «Là encore, la France y avait joué un rôle déterminant», persiste Dialo Diop.
La visite de Pompidou suivie de plusieurs condamnations
Décidé à démontrer que le Sénégal s’est toujours aligné du côté de la France, le patron du Rnd n’a pas manqué de revenir sur la visite au Sénégal du grand ami de Senghor en l’occurrence Georges Pompidou. «De notre côté, nous avions immobilisé la capitale un an à l’avance pour préparer la venue d’un Président qui n’allait faire que 24 à 36 heures à Dakar. Pour nous, c’était scandaleux et nous l’avions manifesté en brûlant le centre culturel français et en nous attaquant aussi au ministère des Travaux publics», dit-il. Ce qui n’a pas été sans conséquences, puisque Senghor, pour laver ce qu’il considérait comme un affront, leur a fait payer le prix. Deux condamnations à perpétuité, une condamnation à 20 ans et deux autres à 10 ans de prison.
L’ajustement de la tutelle
Les années passent. Dans une Afrique où des nationalistes continuent de dénoncer la présence néo-colonialiste de la France, des ‘’valets’’ de l’ancienne Gaule concrétisaient encore leur assujettissement aux colonisateurs. Malgré tout, ayant compris qu’il fallait à un moment donné de l’histoire changer son fusil d’épaule, la France s’est lancée au début des années 70 dans un réajustement de sa politique en Afrique et surtout au Sénégal. «Du point de vue structurel et importance historique, il y a le tournant des années 74 où, après une quinzaine d’années d’indépendance, la France ajustait maintenant sa tutelle et sa mainmise sur ses anciennes possessions africaines», déclare M. Diop. Le frère d’Oumar Blondin Diop mort dans les geôles de Senghor le 11 mai 1973 de poursuivre en signifiant que «c’est là où ils avaient renégocié les accords de coopération militaire ou encore d’assistance technique. Mais en réalité, ils changeaient le nom pour garder la chose. C’est le moment où les instituts d’Afrique français deviennent instituts français d’Afrique noire. C’est le moment où le dernier recteur français s’en va pour laisser la place au premier recteur sénégalais.»
Dévaluation du CFA : Quand les 2 Michel imposaient leur volonté au 14 Abdou
En dehors de l’instauration forcée des plans d’ajustement structurel, la France a aussi été au premier plan lorsqu’il s’est agi de dévaluer le franc CFA. «L’un des plus grands moments dans nos relations avec la France, c’est évidemment la dévaluation de 1994 qui était comme un coup de tonnerre dans un ciel serein où les deux Michel (Roussin et Camdessus) ont imposé leur volonté aux quatorze Abdou ici au Méridien Président», fait savoir Dialo Diop. Selon lui, malgré l’opposition de la plupart des Chefs d’État, ils ont forcé leur coup en menaçant systématiquement les Présidents africains.
Pour la petite histoire, Michel Roussin, est devenu par la suite le patron du Mouvement des entreprises de France (Medef) à l’international ; il a effectué plusieurs séjours au Sénégal et a souvent été reçu par le président Macky Sall. Quant à Michel Camdessus, il a été pendant longtemps le directeur général du Fonds monétaire international (Fmi).
Le génocide rwandais : Le Sénégal aux côtés de la France
Dans une histoire récente, le Sénégal a également montré qu’il ne lâcherait jamais la France même si ses mains sont tâchées de sang. «Il y a eu le génocide rwandais dans lequel la France sous Mitterrand est trempée jusqu’au coup. Il y a des documents qui indiquent que les Français ont totalement falsifié des documents qui établissent que l’armée française à Kigali a été aux côtés de l’armée rwandaise génocidaire, aussi bien pour abattre l’avion des Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi que pour armer les génocidaires et couvrir leur retraite avec l’opération ‘’Turquoise’’», fait-il remarquer. A ses yeux, là encore, nous retrouvons le Sénégal aux côtés des Français. «Les militaires sénégalais ont participé à cette opération et la base aéronavale de Dakar a servi de base logistique pour le déploiement français», argue-t-il. En vérité, Dialo Diop clame que «nous avons toujours été les supplétifs de l’infanterie coloniale française.»
La capitulation de nos élites dirigeantes
Le Sénégal, en tant que plus ancienne colonie, a une tradition spécifique et singulière en Afrique qui nous vaut notre réputation ‘’d’agent de la France’’. Ce n’est pas pour rien que le corps de militaires africains s’appelait le corps des tirailleurs sénégalais alors qu’il y avait plus d’Africains d’autres nationalités. Ce qui se vérifie encore mieux dans le comportement de nos élites dirigeantes de Senghor à Macky Sall qui a récemment signé plusieurs accords économiques avec la France au point de pousser d’aucuns à affirmer qu’il a livré notre économie à ce pays.
Pour le Sg du Rnd, «le Président Senghor, en tant qu’Africain à la peau noire, chantre de l’Eurafrique, a livré le pays, pieds et points liés à la France parce qu’il n’a jamais voulu de l’indépendance qui lui a été imposée», explique-t-il. Pour preuve, Senghor «a dirigé le pays pendant les vingt première années, choisit d’installer son successeur par des méthodes tout à fait dynastiques, avant de rentrer en France où il est mort 25 ans après. Pendant tout ce temps-là, il ne s’est occupé que de la défense et de l’illustration de la langue française. Il ne s’est occupé d’aucun problème africain alors que Julius Nyerere de Tanzanie qui a mené le combat de la libération de l’Afrique et qui avait quitté le pouvoir volontairement, jusqu’à sa mort, ne s’est occupé que de la question de la libération de pays d’Afrique australe, de la lutte contre l’apartheid, de l’unification des pays d’Afrique orientale et australe.»
Abdou Diouf, clone de son maître
Sous le magistère de Diouf, la démarche n’a pas changé. En réalité, il a eu le même comportement que son maître vis-à-vis de la France. «Abdou Diouf, clone de Senghor, n’a fait que consolider la mainmise française sur le pays. D’ailleurs, il a fait comme son maître. Quand on l’a remercié, il est allé prendre sa retraite en France. Il n’est pas allé à l’Académie, mais à la Francophonie. Depuis, on ne l’avait plus entendu sur les problèmes africains sauf quand la Francophonie avait décidé de devenir un instrument politique. Et là, il a commencé à interférer sur certaines questions selon les instructions de la France.»
Abdoulaye Wade, le complexé
Analysant toujours le comportement de nos élites dirigeantes face à la France, Dialo Diop constate qu’Abdoulaye Wade, malgré ses foucades, est aussi complexé que les deux premiers. «Il a le complexe du blanc. Lui aussi, après qu’on l’a chassé du pouvoir, il est allé prendre ses quartiers à Versailles. Tout cela est révélateur du degré d’aliénation de nos élites dirigeantes.»
Macky Sall le soumis
Que dire du Président Macky Sall, né après les indépendances et qui n’a pas vécu la période coloniale ? Là encore, M. Diop se veut clair lorsqu’il affirme qu’il est aussi aligné derrière la France comme ses prédécesseurs. Convoquant la signature de ce dernier de la Charte de gouvernance démocratique issue des Assises nationales dont l’un des piliers est le patriotisme économique, il observe que «la manière dont il livre toute l’économie du pays est inquiétante et révélatrice. D’ailleurs, sa déclaration consistant à dire que le franc Cfa est une bonne monnaie à garder jusqu’à preuve du contraire, prouve qu’il ne se soucie même pas de la souveraineté monétaire.»
Toutes griffes dehors, il pointe un doigt accusateur sur celui qui a signé les accords de défense négociés par Wade avec la transformation des forces françaises du Cap-Vert en Eléments français au Sénégal. «Il est en train de tout donner à la France. On rachète même l’ancien avion du Président de la France. En réalité, cette servitude volontaire des élites dirigeantes sénégalaises à l’égard de l’ancienne puissance coloniale a quelque chose d’indécent», termine Dialo Diop. Alors, à quand la vraie indépendance ?
(Par Abdoulaye Mbow)